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Billet de blog 8 août 2024

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JO: L'insupportable extase narcissique des vainqueurs

Le spectacle de JO, quel que soit leur intérêt par ailleurs, est désolant quant on voit les vainqueurs d'une discipline verser dans une extase "narcissique" exprimant leur "ego". Il oublient les vaincus et transforment le sport en moyen pour des fins personnelles peu reluisantes. Et ils en arrivent même à mettre leurs exploits au compte de la France, versant dans un nationalisme contraire aux JO.

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                                JO : L’insupportable extase narcissique des vainqueurs 

J’ai déjà eu l’occasion de critiquer ici la dénaturation actuelle du sport par sa commercialisation, spécialement à travers la publicité médiatique, et je pourrais accentuer cette critique quand je vois à quel point les journaux s’y prêtent. Et c’est même le cas, spectaculaire, d’un journal comme Le Monde, journal dont j’ai longtemps apprécié l’information politique, l’ouverture et la sobriété, même si je n’en partageais pas les idées. Or ces temps-ci c’est le comble : des pages entières profitent des JO pour célébrer, contre argent, des produits commerciaux, le sport ou tel sportif en en étant le support.

Pourtant, ce n’est pas de cela dont je vais parler et je voudrais d’abord qu’on me comprenne bien. Je n’ai rien contre le bonheur que le spectacle du sport, en direct ou télévisé, suscite en France - qui n’est pas complètement le mien - à la manière d’une drogue qui fait oublier la dureté des temps présents en politique : on s’en divertit comme on peut ! « L’opium du peuple », depuis Marx, a changé de nature… Non, ce que je vais examiner est plus subtil ou pervers : c’est la manière dont le sport est vécu chez le vainqueur d’une compétition ou, simplement, chez celui qui accède à une place remarquée. Or il y a là  un véritable délire dans l’extase narcissique ou dans l’orgueil qui me sidère, voire me désole, à travers sa manifestation médiatique (cris de victoire, images, interviews, etc.).  Plusieurs points, donc.

D’abord le vainqueur (ou la victorieuse) se soucie peu de ceux ou celles qui ont été battus et qui en sortent, par comparaison, abattus psychologiquement. Surtout quand le succès sportif est le moyen de faire carrière et d’échapper à une condition sociale modeste d’où ils (elles) viennent et où ils (elles) vont retourner. Déception qui se traduit souvent par des larmes ou des rictus, qui font de la peine !

Ensuite, il y a, surtout, le délire narcissique ou d’orgueil qui les atteint, qui atteint leur ego à un point rare, les faisant quasiment monter au ciel, et qui me gêne terriblement! Or ce qui est en jeu ici c’est, plus que le niveau de la performance, la première place obtenue, avec donc ses conséquences pour la carrière et c’est alors comme une ivresse qui les atteint ! Et si cela peut s’accompagner de virtuosités proprement sportives -  pensons au saut en hauteur ou au saut à la perche - qui sont belles et réjouissantes en elles-mêmes pour l’exploit personnel qu’elles représentent, ce qui intervient surtout et manifestement, ce n’est point seulement cela : c’est la victoire en tant que rapport à l’autre ou aux autres : orgueil, vanité ou narcissisme donc. Et cela peut intervenir dans des sports comme la nage où l’on n’assiste visiblement (au deux sens du terme) à aucun exploit du corps qui nage quasiment sous la surface de l’eau : le plaisir du spectateur réside seulement dans la victoire de son favori s’il a pu l’identifier et s’y identifier. Par opposition, il y a des sports où c’est la prouesse individuelle qui plait, voire fascine, même dans un cadre collectif et, donc, pour elle-même, quelle qu’en soit la conséquence en terme de victoire ou pas. C’est ainsi qu’au tennis on peut admirer pour lui-même un geste ou un échange par delà  sa conséquence pour l’un ou l’autre des joueurs : le public applaudit- voir ce qui se passe à Rolland Garros. De même, une passe ou un but merveilleux en football peut réjouir, quelle que soit l’équipe qui en profite. Le sport retrouve alors sa dimension de jeu, hors de la seule compétition et les deux joueurs peuvent s’en trouver gratifiés ; ce n’est pas l’extase individuelle mais la satisfaction  de bien jouer pour lui-même! Ils peuvent alors, hors de toute compétition, s’en féliciter à deux en s’en congratulant mutuellement, au final.

Pour mieux me faire comprendre, je vais procéder à une autre comparaison. Il est vrai que l’activité artistique peut elle aussi, surtout dans notre société dominée par l’argent et le commerce, cesser d’être une fin en soi, en tout cas à un certain niveau (voir L’homme unidimensionnel de Marcuse). C’est ainsi que, en littérature, l’on écrit aussi pour le succès de vanité personnel ou d’orgueil, et tout autant pour le succès social : l’accueil des médias, la reconnaissance publique, l’accès à un statut officiel ou académique et, bien entendu, les retombées financières. L’art comme moyen donc, aussi. Sauf que cela n’est pas vrai des grands artistes. Je vais en citer quelques uns. En littérature, les grands écrivains du 19ème  siècle comme Balzac, Stendhal ou Flaubert, puis au siècle suivant et sans conteste, Proust. En poésie Baudelaire avec son statut de minoritaire longtemps et surtout Rimbaud, cet « illuminé » que seule l’inspiration poétique guidait,  ou encore d’autres au 20ème. Je songe ici seulement à René Guy Cadou, pour l’exemple étonnant qu’il fut : des poètes célèbres l’invitèrent à venir à Paris pour y faire carrière, mais il refusa, préférant rester dans sa province pour « l’odeur des lys » qu’on y trouvait et qui l’inspirait… et il demeura un modeste instituteur ! En peinture, qui niera que Van Gogh resta fidèle à son inspiration picturale qui ne plaisait pas vraiment, le vouant à une vie difficile… alors que son œuvre après sa mort valut des fortunes ! Pour la musique, je n’insiste pas, même si elle eut aussi dans le passé un statut social récompensé ; mais personne n’oubliera qu’elle est expressive d’une affectivité dont l’expression, avec sa beauté formelle propre, inspirait avant tout le musicien ! Enfin et je m’en tiendrai là, dans le cinéma comment contester que Antonioni ou Godard, parfois délaissés par les médias et le succès financier, soient restés fidèles à leur passion pour le cinéma en lui-même ?

Il y a aussi une autre dimension déplorable, y compris parfois pour les sportifs eux-mêmes : celle de leur formation à outrance  en vue d’une carrière future, même incertaine. C’est ainsi qu’ils son souvent pris en charge très jeunes dans une perspective de stricte carrière, dont l’activité sportive n’est alors que le moyen, à nouveau, avec ses retombées déjà indiquées et ce à l’aide de sponsors « intéressés » et même cupides. Or cette formation, qui vise le corps, ses muscles, ses articulations, ses gestes techniques cent fois répétés, est d’une intensité rare, occupant fortement la vie du sportif au détriment parfois d’une autre formation, et pouvant le fatiguer gravement : où est le plaisir corporel pris comme fin intrinsèque, lui aussi, du sport ?

Enfin, et pour conclure sur un point qui touche aussi malheureusement à la politique, il y a la question du rapport du sport à l’exaltation de la nation. Chose délicate à aborder, car double. D’un côté les Jeux olympiques ont pour vocation, en tout cas désormais, de célébrer une entente des nations dans une orientation universaliste censée étouffer les nationalismes et les partis pris racistes, qui divisent et opposent. En cela, il faut soutenir le principe de ces Jeux. Mais d’un autre côté, il y a d’abord l’hypocrisie de l’invocation à cet Universel qui cache le contraire de ce qui se passe dans la réalité mondiale : une division rare des nations, des conflits et des guerres d’une gravité rare et qui dépassent ou pourraient dépasser la réalité du siècle précédent… et dont les responsables étaient là sans s’en soucier, souriant dans « l’extase narcissique » eux aussi, sous la direction de Macron, comme si de rien n’était. Et tout autant, il y a de la part des acteurs sportifs, spécialement français du coup, une revendication de la fierté nationale - Vive la France ! - comme si le sport était là pour la célébrer orgueilleusement, drapeau en main, parfois. Non, c’est là une contradiction interne insoutenable pour le sport lui-même !

                                                                  Yvon Quiniou

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