yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

526 Billets

2 Éditions

Billet de blog 8 novembre 2020

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

Pour la liberté de caricature, absolument

La liberté de caricature dans le domaine religieux se fait attaquer ces jours-ci dans une certaine presse, alors qu'un enseignant est mort pour l'avoir commentée en classe. La religion y est présentée comme une consolation pour les pauvres ou les incultes, qu'il ne faudrait pas leur enlever. Et ceux qui défendent le droit de la critiquer sont des "héros de papier". Scandaleux!

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                     Pour la liberté de caricature, absolument 

Décidément on n’en finira pas avec le droit absolument légitime à la caricature des religions ainsi que celui de la montrer et de la commenter en classe, dans le cadre d’une réflexion légitime  au sein d’une  République ou  d’une démocratie laïque destinée à développer l’esprit critique. Je dis cela pour saluer un article courageux et absolument pertinent de l’écrivaine Abnousse Shalmani paru récemment (le JJD de ce 8 novembre) qui le défend en signalant que si nous capitulons dans ce domaine de la liberté d’expression, nous capitulerons dans d’autres domaines comme « la liberté de conscience, de choix, de destin ». Mais elle a aussi le courage de s’en prendre à un intellectuel connu comme L Ferry qui dénonce dans les caricatures de Charlie Hebdo une manifestation de « pornographie » et donc d’indécence : on l’aurait cru mieux inspiré ! Et tout autant, elle a le mérite de s’en prendre aussi, rétrospectivement, à la manière scandaleuse dont Virginie Despentes avait exprimé son « empathie » pour les tueurs de Charlie Hebdo (son « amour infini même » - Y. Q.) sans que personne ne s’en soit vraiment ému à l’époque et que peu nombreux sont ceux qui le lui reprochent aujourd’hui : l’aura médiatique vous autorise à dire n’importe quoi !

C’est dans la perspective de Shalmani  que je voudrais ici dénoncer un article effarant de O. Mongin et J.-L. Schlegel, anciens responsables de la revue Esprit, occupant une page entière du Monde (après que ce même journal m’ait refusé une tribune d’esprit inverse et acceptée tout de suite par Marianne). Je vais le résumer, avant d’indiquer ce que signifie « critiquer » les religions en les « caricaturant ». Il y a d’abord un mépris inacceptable à l’égard de ceux qui défendent le droit à la caricature, lesquels feraient preuve d’un « héroïsme de papier » : bravo pour ceux qui y risquent leur vie, comme Salman Rushdie ! Mépris accompagné d’ironie visant ceux qui critiquent les religions au nom de la raison et ridiculisant le mot de Voltaire « Ecrasons l’infâme », tout en le dénaturant implicitement (« Ecrasons »  ne signifie pas «  Tuons » !). Mépris redoublé aussi, mais inversé, quand il s’agit de parler des croyants : ceux-ci seraient de pauvres incultes, voire des pauvres tout court, que la critique irréligieuse agresserait dans ce qui leur resterait comme seule consolation, la foi et le culte. Nos deux auteurs se soucieraient-ils seulement de tenter d’abolir les conditions sociales et culturelles qui poussent ces croyants à trouver dans la religion une consolation imaginaire à leur triste situation, consolation qui les enferme dans cette situation ? Et soupçonnent-ils, malgré leur culture, que ceux qui critiquent les religions, y compris en les caricaturant, n’ont d’autre objectif que de les aider à s’en émanciper et à s’émanciper de l’aliénation qu’elles induisent? L’invocation du respect des « faibles » qu’ils formulent est une forme d’insulte à leur encontre en même temps que de conservatisme politique, dû lui-même à leur idéologie religieuse (Esprit est une revue d’inspiration chrétienne, qui refuse la critique du capitalisme et de ses effets sur la conscience humaine, j’ai pu le constater !). Enfin, il y a à plusieurs reprises dans cet article une critique totalement infondée et profondément réactionnaire de l’«universalisme abstrait » : il est à la fois vanté et, surtout, attaqué sous le prétexte qu’il serait potentiellement totalitaire. Ils reprennent ici une antienne envahissante aujourd’hui dans une partie de la gauche intellectuelle, qui est celle du « différentialisme », sinon du « racialisme », qui fait de la revendication de l’Universel une forme de pensée « néo-coloniale » ; sur cette base on laisse des pans entiers de la population mondiale s’enfoncer dans leur misère sociale et culturelle sous prétexte de respecter leur « différence ». Où est la référence aux valeurs universelles de « l’esprit », si je puis dire, dont ils se réclament officiellement ?

Dernière chose, enfin, différente mais importante dans le débat actuel : la mise en cause, même si c’est à voix feutrée, de l’insulte faite aux croyants que constitueraient les caricatures quand elles sont montrées en public. Or pour m’être renseigné avec précision sur le délit d’insulte, susceptible d’une condamnation juridique, il faut indiquer ceci, qui est capital : ce délit n’existe que quand l’insulte vise les personnes et non leurs idées ou leurs comportements quand ils découlent de ces idées (songeons aux pratiques religieuses), sauf s’ils contreviennent aux impératifs de la justice. Traduisons ce point par rapport à l’islam et aux musulmans : dans notre société démocratique on a parfaitement le droit non seulement de se moquer de certaines croyances religieuses, en les déconstruisant sur la base de la raison, comme l’ont fait les grands philosophes des Lumières et les penseurs qui ont suivi au 19ème siècle (j’en ai parlé abondamment sur ce blog, quitte à me faire « insulter !), mais aussi les conduites qu’elles induisent quand elles sont contraires aux valeurs de notre république. Pour faire bref et s’agissant de l’islam : il y a un fond de violence idéologique à l’égard des infidèles et des incroyants qui est inhérent à l’islam et seuls ceux qui n’ont pas lu le Coran peuvent le nier, et ce fond doctrinal explique le comportement meurtrier des « islamistes ». Or dénoncer cela avec vigueur et rigueur ne relève en rien d’une quelconque insulte faite aux personnes : c’est critiquer des idées et des actes que la raison morale universelle (eh oui !) condamne et les dénoncer dans certains cas, comme lorsqu’ils appellent à la haine ou au meurtre et qu’ils tombent sous le coup de la loi républicaine. Les caricatures se situent à l’inverse : elles entendent neutraliser la haine religieuse, elle-même susceptible de produire de la haine, en réaction, et elles veulent nous en distancier. Et ceux qui la provoquent ne méritent que notre pitié, rien d’autre, sauf lorsqu’ils entrent en fait  dans le cycle de violence que leur doctrine professe ! Ce qui fait apparaître le non-sens et le danger du « différentialisme »  à la mode : il nourrit les conflits interculturels qu’il entend éteindre !

                                                                Yvon Quiniou

NB : Je laisse de côté ce que les ex-responsables d’Esprit disent de la mondialisation. Qu’ils lui reprochent d’alimenter les conflits inter-religieux à l’échelle de la planète  me paraît juste. C’est pourquoi ils devraient aussi dénoncer la mondialisation capitaliste en tant que capitaliste. C’est elle qui fait le malheur des peuples et nourrit leurs fantasmes religieux imaginaires, mais réellement belliqueux !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.