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Billet de blog 8 décembre 2023

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Le drame de la mondialisation capitaliste

La mondialisation capitaliste à l'échelle de la planète produit des effets catastrophiques, dont la perte d'autonomie des nations et la propagation d'un type de société et même de civilisation qui fait mal aux peuples. D'où une réaction lamentable, hélas, des populations en faveur de l'extrême-droite et de son nationalisme un peu partout, à laquelle il faut impérativement s'opposer.

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                                   Le drame de la mondialisation capitaliste 

Texte légèrement corrigé sur l'Europe

Nous vivons une époque dramatique à un niveau inouï, que je n’aurais jamais imaginé, ni d’autres avec moi. Car la mondialisation a d’abord été conçue comme une forme d’unification du monde humain par-delà la séparation des nations et leur hostilité réciproque potentielle, vu la différence de leurs identités et de leurs niveaux de développement. C’est Kant qui, selon moi, l’a le premier pensé dans sa philosophie de l’histoire débouchant sur un Projet de paix perpétuelle visant à instaurer la paix dans les nations et également entre elles, ce qui a entraîné par la suite la création de la  SDN, avant-garde de l’ONU. Mais il y  aussi l’approche de Marx à ce niveau, dès le Manifeste communiste, fondamentale selon moi : après avoir dénoncé la croissance du capitalisme et de ses malheurs humains liés à l’exploitation du travail en Occident, il y voit tout autant la possibilité matérielle d’un dépassement de l’isolement des nations, des conflits nationaux que cela peut entraîner et celle de l’extension des acquis de la civilisation aux nations moins développées.

Or ce projet, enthousiasmant à tous points de vue, n’entraînait en rien la suppression totale des identités nationales, avec leur singularité et leur richesses culturelles propres, dès lors que cette inter-nationalisation était décidée par les nations elles-mêmes en toute autonomie politique, ce qui était alors une forme de démocratie mondiale. Et dès lors, comme l’avait magnifiquement dit Jaurès, en terme de « patrie » : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup en rapproche », ce qu’on peut transposer en terme de « nation ».

Or le drame aujourd’hui, sinon même la tragédie, et au-delà des deux grands guerres mondiales qu’on croyait définitivement dépassées, c’est que nous assistons non à un phénomène d’inter-nationalisme (avec un tiret toujours) ou, si l’on préfère à cause du terme « nationalisme », d’internationalisation des rapports entre les pays, mais à la prédominance d’un transnationalisme de nature capitaliste qui écrase les nations par son seul souci de la recherche d’un profit toujours croissant au bénéfice des capitalistes du monde entier, lesquels sont parvenus à constituer une classe économique et culturelle transnationale, au-dessus des nations donc, les dominant et abîmant les conditions de vie de la majorité travailleuse de leurs peuples. Cela se fait de multiples manières : à travers des traités commerciaux profitant en priorité aux classes dirigeantes unies dans leurs intérêts économiques et financiers  au-delà des frontières (voir en Europe l'adhésion à l'Union européenne, imposée au peuple français  contre son vote négatif de 2005, prétendu souverain) ; mais au moyen aussi d’investissements économiques hors des frontières nationales dans des pays où le coût du travail est moindre et les conditions de travail plus pénibles, ce qui augmente le profit des capitalistes au détriment de « leurs » classes ouvrières, voire produit des faillites et du chômage chez eux. A quoi s’ajoute la fuite des capitaux dans des niches fiscales de pays étrangers qui s’en sont fait une spécialité et dont l’argent ne peut donc être réinvesti dans les pays d’origine. On peut aussi signaler, mais avec prudence, l’appel aux populations immigrées pour des travaux ingrats et des conditions de vie également ingrates, et les risques de conflits interculturels et même de racisme, alors que la vraie aide aux pays sous-développés devrait se trouver dans le « co-développement » de ces pays financé par les pays développés. On indiquera également que ce capitalisme transnational produit des échanges commerciaux au niveau de la planète qui sont directement responsables de la terrible crise écologique qui s’amorce au sein de toutes les nations. Enfin, et ce n’est pas le moindre aspect de notre situation, ce même capitalisme mondialisé est en train de répandre sa culture ou son modèle de vie spécifique et lamentable, caractérisé par le commerce, la consommation et l’appât du gain ou de l’argent, qui affecte des domaines de plus en plus nombreux comme celui, navrant, du sport qui y perd ce qui faisait sa beauté propre, tout en étant rongé par une violence inédite en même temps que par sa mercantilisation.

Ce contexte, qu’on pourrait décrire davantage, nous met en présence d’une forme de « décivilisation », avec la connotation morale négative que cette expression comporte, à savoir la perte de points de repères normatifs essentiels pour vivre « bien » ensemble. En en sens inverse, on voit apparaître un appel cette fois-ci nationaliste à la revendication nationale comme forme de réassurance imaginaire face au désarroi dont on a indiqué les causes et les formes concrètes. Or c’est justement ce terrain de réassurance nationaliste, et non seulement nationale, qu’exploite en France le Rassemblement national de Marine Le Pen, avec toutes les régressions que cela peut comporter dans le recours et le retour à des identités fallacieuses : l’identité nationale absolutisée, voire racisée ou ethnicisée, les identités sexuelles ou de genre durcies, les croyances et pratiques religieuses les plus rétrogrades valorisées et même, du coup, la haine de l’étranger.

Or tout cela, qui se propage un peu partout en Europe et ailleurs - voir ce qui se passe dans le monde et spécialement au Moyen-Orient avec le colonialisme israélien en Palestine - est en train de séduire des pans entiers de populations en déshérence qui sont attirées par le vote d’extrême-droite et qui peuvent entraîner le renforcement de l’extrême-droite, comme cela s’est produit dans divers pays qu’on croyait à l’abri de cette menace,  telle la Suède, et même son installation au pouvoir comme en Italie. En France même, pays des droits de l’homme, du suffrage universel et de l’égalité républicaine, héritages de la Révolution française, cette hypothèse se précise, avec toutes les conséquences désastreuses que cela aura sur un peuple qui n’en a pas conscience.

Face à ce danger de dimension mondiale, une seule lueur politique existe : celle d’un rééquilibrage des rapports de force mondiaux contre la domination de l’impérialisme économique des USA, grâce à la constitution d’un pôle alternatif, le « Sud global » et les Brics, dont font partie des nations progressistes dont le Brésil de Lula et la Chine, progressiste elle aussi selon moi. Ce pôle devrait au minimum empêcher la progression du capitalisme mondial avec ses souffrances, voire pacifier les rapports internationaux, et c’est pourquoi il faut le soutenir sur la base d’un optimisme qui n’est pas seulement celui de  la  volonté » que vantait et préconisait Gramsci mais aussi celui de « l’intelligence ». A quoi il faut ajouter l’indispensable retour de la morale en politique pour lequel je milite intellectuellement depuis longtemps dans mes écrits.

                                                                                                              Yvon Quiniou

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