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Billet de blog 9 novembre 2024

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"Trois amies": un film sur le badinage?

Le film "Trois amies" ne mérite pas l'encensement quasi unanime qu'il a reçu de la part de la critique . Car s'il est très bien réalisé et joué, il aborde l'amour sous un angle qui l'enracine dans le seul désir sexuel, le vouant à la multiplicité et à la superficialité. L'amour, s'il a le désir comme source, le dépasse en profondeur affective. Le film s'en tient au badinage sexuel!

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                                                  « Trois amies » : un film sur le badinage ?

Le film d’Emmanuel Mouret « Trois amies » qui vient de sortir, a reçu un remarquable accueil de la critique, qui m’interroge intellectuellement et je voudrais dire pourquoi. Il se trouve que je suis un ardent cinéphile depuis ma jeunesse et, de ce point de vue, je dois dire que c’est un film totalement réussi, question réalisation et question jeu des acteurs. Ce n’est donc pas de ce point de vue que je vais m’interroger et l'interroger. Non, il s’agit de l’appréciation éthique que l’on doit en avoir s’agissant de la question de l’amour car c’est bien, au premier degré, une romance cinématographique sur le badinage amoureux où les personnages - les trois femmes amies -  ne cessent, sous prétexte de désamour, de tromper l'autre et  même de se tromper,  sans le moindre souci moral, voire dans une euphorie étrange, sinon choquante, et même désespérante pour qui a une vision opposée du rapport amoureux. Comme si le plaisir était premier dans celui-ci, pouvant le détruire quand il s’épuise! Or pour m’y être intéressé par mes lectures (dont celle de Stendhal) et par écrit, comme par expérience personnelle, je dois dire que le désir à lui seul ne suffit pas à provoquer l’amour, même s’il lui est indispensable. L’amour va au-delà de lui, dans une visée proprement affective qui peut et doit le transformer en amour-amitié sous peine de dépérir en raison de toutes les complications que la seule sexualité peut entraîner.

Car le poids du seul désir tel qu’il s’exprime clairement dans ce film, entraîne la tromperie et donc la douleur de celui (ou celle) qui en est victime : le mensonge suivi de la souffrance imposée, ce n’est pas rien et ce n’est guère estimable moralement. On me dira : qu’est-ce que vient faire la morale dans ce domaine ? Eh bien, tout simplement, il se trouve que l’amour implique une relation inter-personnelle et que toute relation relève d’un jugement moral… à l’exception des couples libertins qui s’autorisent une liberté sexuelle réciproque, bien entendu : voir, dans une période pas si éloignée, la manière dont Robbe-Grillet a vécu avec sa femme et assumé, pour lui et elle, de s’émanciper ensemble et de transformer l’autre, en dehors du couple, en simple « objet sexuel » !

Dans ce film, pratiquement rien, chez les trois femmes et entre elles, n’évoque cette dimension douloureuse de ce qu’elles font en toute innocence revendiquée : inconscience, cynisme, amoralisme ? Mais il se trouve qu’il y a autre chose. Laissons de côté le problème réel du désamour - Belinda Cannone l’a théorisé dans un livre pour vouer la vie amoureuse à une multiplicité successive, trois ou quatre épisodes dans une vie !- car le film se place à l’ombre complète, quoique sous-jacente ou effleurant parfois d’une manière fantasmatique à l'écran, d’un personnage masculin tout à fait opposé : le mari de la première femme, qui se suicide dans un accident automobile parce que, tout simplement, il n’est plus aimé par la femme qu’il aime profondément. C’est bien là le seul élément de cette évocation, mais réel et oublié par la critique, où l’amour véritable est pris au sérieux, valorisé… sans que la veuve en paraisse blessée sur le plan amoureux et sans que cela la fasse réfléchir à ce qu’elle a vraiment éprouvé dans ce registre, qu'elle rejette très vite, ne pensant qu’à son sexe.

Au final, on est bien dans l’ordre de l’amour comme divertissement  au sens pascalien du terme qui en fait quelque chose qui nous détourne de nous-même dans notre profondeur psychique, nous en distrait, nous fait oublier le drame du désamour dans le plaisir superficiel du badinage. On est loin, côté féminin s’entend, de ce que je continue d’appeler et de souhaiter pour beaucoup : l’amour-toujours !

N B : Par opposition on songera à l’amour tel que l’ont apprécié à leur manière des écrivains comme Balzac, Flaubert, Stendhal en partie dans De l’amour et Proust, ou encore des poètes comme Aragon malgré ses ambiguïtés imaginaires réelles chez lui ou bien René Guy Cadou ! Même des cinéastes l’ont admirablement filmé dans sa profondeur douloureuse comme Antonioni, Resnais ou Duras !

                                                                         Yvon Quiniou

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