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Billet de blog 10 mai 2025

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La régression idéologique de la presse

La presse actuelle, y compris en France, est en pleine régression idéologique. D'abord sur un plan général elle passe à coté de la mondialisation, de ses méfaits écologiques et du nouvel ordre mondial que la Chine contribue à équilibrer. Mais tout autant dans les échos suscités par la mort du Pape et, exemple terrible, dans la régression politique populiste du journal Marianne!

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                                            La régression idéologique de la presse 

Les temps vont très mal ces temps-ci pour la presse et ce en liaison, bien entendu, avec notre immense malaise politique, national comme international. C’est un peu délicat d’en parler, mais Médiapart est dans son rôle quand il autorise à le faire ou le fait lui-même.

Un point général d’abord. Il y a sa commercialisation hallucinante, effet de la mercantilisation de notre société, visible dans les annonces publicitaires avec de jolies femmes (en particulier) pour promouvoir tel objet commercial de luxe, et qui rompt avec l’objectif normal de la presse (ou d’un autre média audio-visuel) : non vendre ou faire vendre, distraire et rendre superficiel, mais informer, faire réfléchir et élever le niveau de conscience citoyenne. Il suffit ici de voir ce qu’est devenu un journal comme Le Monde dont parfois des pages entières (en particulier dans son supplément du week-end devenu journal de mode) sont offertes à cette dérive : je le cite parce que dans l’univers de la presse disons « bien pensante", il a fait longtemps exception… je ne développe pas ! Or tout cela alimente bien idéologiquement un consumérisme qui médiocrise notre existence collective, sans que cela améliore l’accès réel à la consommation indispensable et de qualité des classes défavorisées !. Par contre cela aggrave leur malaise social et la tentation corrélative d’une extrême-droite totalement mensongère et démagogique. Et je n’étends pas cette critique à l’ensemble de ce qui se présente dans notre univers commercial urbain !

Non, le point le plus grave tient à la dérive idéologique de l’information générale qui tend vers la droite, malgré des efforts ici ou là - dont spécialement dans la presse communiste, il faut le souligner fortement. Il faudrait ici toute une longue analyse, voire un livre entier, pour éclairer ce point par rapport à la situation mondiale telle que les médias la rapportent ou, si l’on préfère, ne nous en informent pas sérieusement. Je me contenterai de quelques indications avant d’en venir à un cas spectaculaire. Cette situation est marquée (avant que Trump ne la modifie dans un sens encore plus abominable) par :1 Une mondialisation de l’économie au profit d’une classe capitaliste non « inter-nationale » (ce qui supposerait des nations ayant une forme réelle d’autonomie ou de souveraineté, donc de liberté) mais « trans-nationale » et « supra-nationale », au-dessus des nations et de leurs peuples, et les subordonnant aux grandes fortunes de la planète. Heureusement, quelques spécialistes sont en train de relancer le concept de souveraineté, qui n’est pas une autarcie nationaliste, voire  belliqueuse. Et on devrait se souvenir de cette affirmation de Jaurès, que j’aime à répéter : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie (= la nation), beaucoup en rapproche ». Comprendre : « doit en rapprocher ». 2 Un refus de voir et de pointer clairement la responsabilité de la crise écologique catastrophique que le monde connaît de plus en plus, qui se trouve non dans les modes de consommation individuels (même si cela joue un rôle) mais dans la marchandisation des échanges commerciaux mondiaux qui provoquent une dépense d’énergie ahurissante et catastrophique pour le climat et la nature, mortelle à terme s’agissant de l’humanité si l’on continue ainsi (j’en parle dans un livre à paraître). 3 Une vision du monde qui est politiquement partiale : même si le nationalisme hideux de Trump à l’échelle du monde nous incite à réfléchir aux nouveaux rapports de force mondiaux qu’il est urgent de mettre en place pour diverses raisons, y compris sociales, on oublie trop dans une grande partie de la presse (et autres médias) le nouvel équilibre mondial que la Chine est en train de mettre en place grâce au « Sud global » et ses partenaires. Celui-ci, et contrairement à ce qu’on dit ou ne dit pas (il faut lire Bruno Guigue à ce sujet), est centré à la fois sur la paix (la Chine est le seul pays important à ne pas avoir fait de guerre (sauf en un seul cas peu grave) depuis 70 ans et, tout autant et contre une propagande hostile et mensongère, elle pratique des échanges commerciaux, en particulier avec des pays sous-développés, qui sont de l’ordre du « gagnant-gagnant », sans volonté d’exploitation économique (même si tout n’y est pas parfait). Or, et même si l’analyse interne de son système social ne peut virer dans  l’apologie,  il y a un aveuglement devant ses acquis incontestables (niveau de vie d’ensemble pour un milliard et demi d’habitants, santé, éducation, etc.) qui relève tout simplement d’un anti-communisme foncier, lequel procède d’un a priori qui oublie que si elle tend au communisme dans un lointain futur et au socialisme dans un futur bien plus proche, elle n’est pas communiste de fait, et l’argument nominatif du « communisme » à son encontre renvoie d’ailleurs à un contresens sémantique qui valait encore plus pour l’URSS. Cette accusation vaut pour une grande partie de l’information journalistique, un peu partout, avec l’idée absurde que le « communisme », donc, aurait échoué en URSS : quelle erreur de jugement que j’ai analysée abondamment par ailleurs !

Mais  il me faut quitter cette approche globale ou « macro » au profit d’une approche locale ou « micro », pour signaler des dérives récentes en France, tout aussi idéologiques, dont l’une me paraît extrêmement choquante et révélatrice. J’en choirai deux, en faisant abstraction de l’inertie de ces mêmes médias devant la régression démocratique et sociale à laquelle procède notre gouvernement, qui n’a pas tenu compte de la majorité relative de la gauche (= le NFP) aux dernières législatives et qui mène une politique sociale totalement régressive par rapport à notre passé : est-ce que beaucoup d’informateurs en parlent vraiment, y compris quand un Retailleau tient des propos éthiques, an niveau des mœurs, proprement indignes ? Passons donc aux dérives.

La première, c’est tout simplement, et j’en ai déjà parlé ici, la manière dont la mort du pape (et c’est aussi les cas de la nomination du nouveau) a fait l’objet d’un retentissement totalement irresponsable quand on sait à quel point l’Eglise, papauté en tête, est une puissance idéologique réactionnaire qui se nourrit du malheur des peuples, spécialement dans les pays sous-développés, en leur apportant une consolation illusoire qui les enfonce dans ce malheur et qui nourrit son propre pouvoir à elle  en tant qu’institution : quels sont les journaux qui osent faire référence à tous les grands philosophes ou penseurs qui, depuis le 17ème siècle, ont dénoncé implacablement et courageusement cela pour  faire profiter le peuple de leur message critique, même quand ils étaient partisans d’une « religion naturelle » distincte des « religions positives »? En France et pour être clair, seuls les organes de « La libre pensée » et de « L’Union rationaliste », ou encore des organisations laïques locales, ont le courage de se situer dans ce sillage intellectuel autant que moral et politique !

La deuxième dérive idéologique m’a été fournie tout récemment par le journal Marianne et sous une forme tellement explicite que j’en ai été catastrophé et que j’ai cessé de l’acheter. Je présente la chose tant on peut l’ignorer ou ne pas s’en être rendu compte. Cet hebdomadaire a été créé par J.-F. Kahn, homme progressiste au minimum  (que j’ai un peu connu) : il avait une claire orientation de gauche et comprenait même dans sa rédaction un ancien journaliste communiste, Jack Dion. Et sa lecture hebdomadaire, en complément de la presse communiste, me fournissait des éclaircissements critiques de détail qui me réjouissaient. Or voici qu’il vient de changer radicalement dans sa rédaction d’ensemble (pour l’essentiel)  et surtout, et du coup, dans son orientation qui a viré « à droite » ou, si l’on préfère, reculé dans son orientation de gauche, sans doute sous l’influence des financiers qui le soutiennent - phénomène qui n’est pas inédit en France avec Bolloré. . Deux exemples spectaculaires et incroyables a priori. La décision des juges condamnant M. Le Pen à l’inéligibilité pour cause de malversation financière inexcusable dans le cadre de ses fonctions politiques européennes, a été totalement critiquée par le journal, en trois chroniques officielles incarnant la position du journal, comme si la morale en politique n’existait pas, y compris celle qui condamne les pratiques « immorales » du Rassemblement national ! Autre exemple : la critique outrancière cette semaine de Mélenchon et de la FI. On peut y lire une interview des auteurs du livre qui voient dans LFI une « meute sectaire » et dans Mélenchon un chef « dictatorial », politicien, avide de pouvoir et même, oui, « antisémite ». On peut accueillir plus ou moins les précédentes critiques - je dis bien « plus ou mois » car combien d’autres partis ou chefs de partis pourraient faire l’objet de critiques pareilles ! Mais l’accusation d’antisémitisme non seulement est scandaleuse par rapport à lui, mais elle n’a aucun sens.  Il faut rappeler qu’il n’y a pas de « race » sémite, comme il n’y a pas de « races » du tout, et que Mélenchon le sait très bien, ayant en plus une formation philosophique. Par contre il est antisioniste ou hostile à la politique d’Israël qui atteint un degré rare d’horreur dans une stratégie meurtrière à l’égard des Palestiniens - ce que des  intellectuels français comme BHL, entre autres, ne condamnent pas  sans qu’on s’en émeuve. Et enfin, on a parfaitement le droit d’être hostile intellectuellement à la religion juive comme à l’égard des religions en général : voir l’attitude de Spinoza autrefois et ce qu’il dut en subir personnellement…de la part des juifs  en Hollande! Et j’ajoute, à titre personnel, que j’ai du mal à estimer une religion qui s’attribue, d’une manière parfaitement déraisonnable autant qu’irrationnelle, un territoire au nom de Dieu !

Je m’en tiendrai là et je ne me ferai pas l’écho des dérives qui atteignent le monde des intellectuels aujourd’hui, avec l’impasse faite sur la production marxiste dans le champ intellectuel… alors que l’heure devrait être au réveil de l’intelligence critique, théorique et morale, sur fond de référence à l’Universel humain !

                                                                Yvon Quiniou

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