La complexité de la vie de couple : comment y faire face ?
Les affaires de couple qui surgissent dans l’actualité et qui me désolent, voire me dépriment par l’audience médiatique qui en est faite au détriment systématique des hommes, justifient le commentaire « critique » (au sens de l’esprit critique) que je vais en faire, en plusieurs points.
1 D’abord si l’écho qui en est donné est nouveau et s’inscrit dans la lutte disons « féministe » qu’on peut soutenir sur le fond (sur la forme, c’est autre chose), il convient de rappeler que cette réalité n’est pas neuve et que les histoires d’amour sont rarement paisibles – même si cette paix s’est effectuée longtemps sous l’emprise artificielle de mariages impliquant la domination sociale imposée à la femme, sur la base de stéréotypes de genre et d’intérêts masculins. Voir, très simplement, la littérature déjà ancienne comme celle de Flaubert (Madame Bovary) ou, plus près de nous, celle de Mauriac dépeignant ce qu’était le couple en régime de mariage bourgeois et catholique provincial, quitte à ce que la solution de ses difficultés se fît au prix d’un homicide renversant l’inégalité homme/femme, si je puis dire (voir Thérèse Desqueyroux). Et je n’insisterai pas sur les aventures douloureuses d’Annie Ernaux ! Mais je rappellerai seulement l’évocation par Stendhal (dans De l’amour) des « amours à querelles » et la distinction qu’il faisait entre celui où le « querelleur » aime et celui ou le « querelleur » n’aime pas ou, si l’on veut, n’aime plus : suivez mon regard dans notre actualité.
2 Cela m’entraîne à « juger les jugements » qu’on en fait, spécialement sur la place publique, voire dans les tribunaux de justice. Or c’est là que les choses se compliquent, selon moi, quand on mêle ce problème à celui des comportements honteux de bestialité sexuelle accomplis consciemment et délibérément comme ceux de PPDA ou DSK, qui tombent directement sous le coup de la loi. Je laisse de côté le cas de Quatennens, dont j’ai déjà parlé ici, pour m’intéresser malheureusement à celui d'Aurélie Filippetti et Thomas Piketty, d’une rare et pourtant banale complication. C’est donc l’histoire d’un « amour à querelles » entre deux vedettes politiques ou intellectuelles dans laquelle la rivalité des conjoints, après la séduction venant des succès de l’un et de l’autre, l’a emporté sur celle-ci. Et cela n’a pas été le seul cas du côté d’un accusé présumé, puisqu’elle a eu des amours successives conclues par des échecs (voir son histoire avec Montebourg). Or le procès qu’elle fait tardivement à Piketty vise des violences « conjugales » dont on ne sait pas bien, à l’entendre ou la lire, si elles sont physiques – ce qui est condamnable – ou psychologiques – ce qui relève d’un tout autre registre moral. A quoi s’ajoute et en sens inverse, dans la défense par Piketty de son propre cas, l’accusation, récusée par elle, de violences qu’elle aurait exercées sur ses ou leurs enfants.
3 On voit alors la difficulté qu’il y a à se prononcer dans cette histoire assez typique d’un couple qui ne s’entend plus sur fond de compétitions et d’insatisfactions réciproques. Car la montée des tensions dans la vie intime a une origine psychologique au sein d’un déterminisme affectif, sans doute lié aussi à l’enfance, et dont les acteurs ne sont pas vraiment responsables, surtout si l’on songe que les violences peuvent venir de part et d’autre, dans des circonstances non prévues, même si leur dimension physique est l’apanage de l’homme… vu tout simplement la supériorité de sa force. Et elle peut être une réponse car une femme peut très bien agresser psychologiquement un homme : la pulsion de mort ou d’agressivité (voir Freud) n’est pas une caractéristique seulement masculine !
4 et conclusion. On comprend du coup comment il faut appréhender ces drames et éviter les attitudes sommaires et intempestives. D’abord essayer de comprendre, dans toute sa complexité, ce type de situation qui n’est pas à sens unique, donc, ni le résultat d’une décision libre, avant de juger sur un plan normatif, Et sur ce plan, il est délicat de se prononcer brutalement, même s’il faut condamner (voire guérir ensuite) le ou les coupables. Mais de quelle manière condamner ? Pas sur le mode dont on condamne les agressions sexuelles avérées. Pour me faire comprendre, je vais distinguer philosophiquement, avec Kant, les devoirs de droit et les devoirs de vertu. Les premiers relèvent directement de la morale et ils s’inscrivent dans un Droit officiel dont l’Etat est garant et dont il impose l’application : leur transgression est alors condamnée et punie par la loi : vol, agression avérée, meurtre, etc., et, ici, la violence sexuelle imposée. Les devoirs de vertu, eux, ne peuvent s’inscrire dans une loi objective, et leur transgression ne peut être punie par la justice officielle : la gentillesse, la franchise avec l’autre, la sincérité, le soutien, le partage des tâches, etc., nombreux sont ce genre d’obligations qui, ici, « assurent la paix dans les ménages », mais leur violation dans la vie interindividuelle comme dans celle du couple, ne saurait être condamnée et punie par une loi juridique externe. La condamner relève d’un jugement de valeur qui est bien moralement justifié, mais qui ne saurait aller au-delà. Et sa punition se trouve alors tout simplement dans la mésentente et la fin probable de la vie à deux (ce peut être le cas aussi dans l’amitié) ou dans la fin de la coopération. C’est là une punition immanente, qui atteint le fautif, et cette immoralité devrait être accompagnée de remords, ce qui est le cas souvent – sinon toujours car le cynisme égoïste existe aussi – et suivie d’un comportement tout simplement meilleur où autrui est tout simplement non seulement respecté mais aimé. Et je ne crois pas du tout que Piketty ou sa victime supposée en soient incapables et incapables de dire non à un Nietzsche affirmant sans raison que « l’amour est au-delà du bien et du mal » !
Conséquence générale : contre un amoralisme ambiant en politique et qui a été scandaleusement défendu par une génération de philosophes soit disant « modernes » (je pense à Foucault, à Deleuze et, à un moindre niveau de réflexion, à Comte-Sponville), il ne s’agit pas de verser, en sens inverse, dans un moralisme emphatique et sectaire, sinon totalitaire. Mais il s’agit de réhabiliter l’instance de la morale non seulement dans la vie politique (voir son ignorance par le libéralisme, y compris chez Macron), mais dans la vie individuelle sous la forme d’une moralité subjective ou intersubjective capable d'améliorer la vie de couple.
Yvon Quiniou