Quand Houellebecq et Onfray délirent lamentablement
Une précision d’abord, après le titre accusateur de ce billet : j’admire l’écrivain qu’a été Houellebecq et j’ai eu de l’estime, il y a longtemps, pour le penseur que voulait être Onfray, malgré sa conception d’un Nietzsche « libertaire » qui n’a aucun fondement. Et pourtant je vais dire la honte que j’éprouve à leur égard devant ce qu’ils disent dans leur long entretien du denier numéro de la revue Front populaire du même Onfray : vraiment leurs propos sont globalement lamentables, surtout ceux de Houellebecq et ils traduisent bien la crise idéologique et morale, autant que politique, que traverse une large partie de notre milieu intellectuel à la mode, que j’ai du mal à nommer « intelligentsia ». Je ne peux tout résumer et ne contenterai d’indiquer quelques unes de leurs saillies les plus détestables.
1 On apprend par exemple que si Onfray demeure bien athée et guère « pro-religieux », Houellebecq, qui est « agnostique », se dit fasciné par la religion comme « ensemble communautaire » dont il regrette l’amenuisement en France alors qu’il serait le seul phénomène, en dehors de la croyance subjective isolée, capable de donner du « sens » à la vie et d’unir les être humains. Du coup, il va chercher du côté de l’islam un modèle de ce qui nous manque et dont nous devrions nous inspirer. Rien que cela ! Mais ce n’est pas le cas d’Onfray, heureusement, qui ne va pas chercher du côté de Dieu et de la pratique religieuse une réponse à nôtre malaise existentiel.
2 S’agissant du rapport à la nature, il y a une claire opposition entre un Onfray qui la respecte et demande qu’on la respecte, et un Houellebecq qui en a une vision catastrophique, n’y voyant que violences entre espèces vivantes, fait l’apologie de la techno-science, voire du transhumanisme et du coup s’en prend d’une manière indigne aux écologistes, y voyant « la lie de l’humanité », tel quel.
3 Celui-ci avoue alors son amour de la chasse, quitte à la nuancer pour la réserver à l’usage quotidien, chez les paysans par exemple. Il n’empêche : l’idée de tuer, ne l’indigne pas, il ne valide pas intellectuellement l’idée de « morale » et l’on le trouve alors en train du justifier la violence, inhérente à l’homme selon lui, y compris chez l’enfant dont il nous offre un portait déplaisant. Il la considère même comme l’illustration du « pêche originel », ce fantasme chrétien, et il ignore le rôle que l’éducation peut jouer pour améliorer et apaiser l’individu.
4 On comprend alors, tout en en étant atterré, son attraction pour la violence (qui est peut-être une projection de la sienne), y compris en politique. Cela l’amène à s’opposer rudement à Rousseau et à l’Emile, quitte à affirmer même que « il suffit de dire le contraire de lui pour être dans le vrai »… sans être contredit par Onfray qui, auparavant, avait lui-même reproché à Rousseau d’être partisan d’une « pédagogie très autoritaire » et suggéré que » l’eugénisme est un produit des Lumières » au prétexte que ce mouvement philosophique était pour un progrès de l’humanité ! Je n’ai pas rencontré la moindre dérive en ce sens chez ses représentants, encore moins chez Condorcet.
5 Sa séduction pour la violence en politique l’amène à se déclarer partisan de la peine de mort – alors qu’elle est en elle-même un crime injustifié, y compris et paradoxalement vis-à-vis d’un criminel, dont elle redouble la criminalité – et justifier cette violence dans l’ordre de l’organisation étatique. Je cite : « C’est plus facile de conduire les peuples avec la haine qu’avec la grâce », cette même grâce qu’il n’exclut pas par ailleurs. Il est vrai qu’il avoue, à titre personnel, son plaisir de tirer sur une cible avec une arme à feu
Je laisse de côté bien d’autres thèmes sur lesquels ils convergent, y compris quand on peut leur donner partiellement raison, mais partiellement seulement. C’est ainsi qu’ils critiquent l’Europe, mais au nom d’un souverainisme national exacerbé, pas loin de la position de Zemmour, qui est cité, et d’un souci culturel de l’identité nationale que je paratage. Or il faut être clair : on peut et même on doit critiquer l’Europe actuelle avec son organisation libérale et se préoccuper des diversité nationales. Mais il ne faut pas verser dans un souverainisme absolu, qui se transforme vite en nationalisme proche des postions de l’extrême-droite et il convient de se rappeler un propos de Jaurès disant que « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup en rapproche ». Mais Jaurès était un marxiste à sa manière, animé par un souci de la justice en politique qui l’éloignait du populisme dont Onfray se réclame, avec son compère ! En tout cas nous voila bien en présence de cette catastrophe idéologique, intellectuelle et politique, que j’ai signalée d’emblée et qui n’augure rien de bon pour notre humanité… sans compter la catastrophe écologique dont il n’est pas question dans leur dialogue qui se veut pourtant éclairé et éclairant.
Yvon Quiniou