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Billet de blog 11 février 2024

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Quelle laïcité?

Les maladresses insupportables du gouvernement à propos de la laïcité imposent de revenir brièvement sur cette question. S'agissant des croyances, spécialement religieuses, il faut distinguer la tolérance et le respect. La première accepte de fait, dans certaines limites, ce qui n'est pas respectable en droit au nom de normes théorique ou morales incontestables et que la République impose..

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                                                                        Quelle laïcité ? 

La laïcité refait surface dans le débat aujourd’hui au niveau gouvernemental, avec les errements de la récente ministre de l’Education qui a dû démissionner car on a  appris qu’elle avait mis ses enfants dans une école privée catholique, aux mœurs très peu républicaines et refuge des « bourgeois riches ». Passons, mais cela est révélateur de la manière dont la laïcité est traitée dans les milieux du pouvoir ou proches de celui-ci ! Et le décès de cette grande personnalité politique que fut Badinter, avec ses deux anciennes décisions courageuses sur la peine de mort et l’homosexualité, réveille aussi le débat sur la laïcité républicaine dans la société et à l’école, dont il fut un ferme partisan.

Or, justement, j’ai eu l’occasion d’en entendre parler lors d’une bonne  émission de France Inter rendant hommage à Badinter et dans laquelle Catherine Kintzler se fit la porte-parole de cette exigence laïque, mais dans des termes que je récuse en partie et je voudrais dire pourquoi. Elle a ainsi préconisé un principe de tolérance et même de respect à l’égard des religions, au nom de la République, qui n’est pas acceptable tel qu’elle l’a présenté et qui contredit ce qui a été dit par toute une tradition intellectuelle depuis la philosophie des Lumières et que je précise plus loin

Ce qui est en jeu, c’est le principe de la tolérance, qui est à la fois valorisé et mal compris. La tolérance consiste à admettre de fait ce que l’on conteste en droit et que l’on ne doit  pas respecter à ce niveau au nom des normes théoriques ou morales, universelles et incontestables, de la vérité ou du bien. Deux exemple très simples, en commençant par un cas, banal, qui se réfère au "bien": peut-on tolérer à l’école du bruit dans une classe alors que celui-ci n’est pas respectable et doit être interdit ? Sur un tout autre plan,  celui du "vrai", il y a ce que j’ai rencontré dans une classe préparatoire face à des élèves musulmans : doit on respecter des croyances irrationnelles comme le refus du darwinisme et du matérialisme qui lui est lié, qu’ils manifestaient lors d’un cours sur « L’homme et la nature » (avec Condillac au programme) et dans lequel j’ai donc dû leur indiquer qu’ils n’avaient pas le droit intellectuel de croire (désormais) que l’homme n’était pas issu d’une évolution de la nature ! L’Ecole peut tolérer provisoirement l’expression d’une pareille croyance, mais elle ne saurait la respecter à terme en elle-même, sauf à faillir à sa mission  d’éducation de l’intelligence !

Plus largement, on voit que la laïcité, si elle peut et doit tolérer les religions dans l’espace public, mais dans la mesure où elles ne se combattent pas entre elles (ce qui a été longtemps le cas et continue de l’être), ne saurait les respecter dans leurs dogmes et leurs pratiques qui aliènent les hommes. Affirmer leur droit au respect, c’est là faire preuve d’une naïveté ou d’une hypocrisie qui ne sont pas acceptables, car elles ne distinguent pas les deux plans. Et surtout, cela revient à oublier ou à occulter à quel point les religions sont elles-mêmes intolérantes, non seulement entre elles donc (voir les guerres de religion) mais dans leur aspiration à la domination sur les corps et les esprits comme l’Islam actuel en est encore un sinistre exemple, mortifère au surplus (l’interdiction de l’homosexualité en fait partie). Et un défenseur de cette même « tolérance », John Locke, dans son traité du même nom, a été capable de préconiser celle-ci dans son pays en proie à des conflits religieux insupportables, en en excluant… l’athéisme, ce que personne ne lui reproche, à ma connaissance : l’athéisme serait alors une position intellectuelle (ou spirituelle)  non respectable et intolérable ?

Or ce qui est en jeu aussi, dans cette situation, c’est ce qui doit se penser philosophiquement en droit et là les choses se compliquent. Sans vouloir insister sur ce que j’ai écrit à ce sujet, je rappelle seulement que tous les philosophes rationalistes après Descartes, à commencer par Spinoza, puis Rousseau, Kant, leurs successeurs matérialistes comme Feuerbach, Marx puis Freud et, enfin, des esprits rationalistes comme Russell ou Dawkins, ont critiqué fortement les religions en droit  et donc préconisé leur critique publique en fait :  ils visaient leurs pratiques cultuelles et sociales et leurs dogmes qui les inspiraient au profit d’un clergé dominateur et avide de pouvoir, soutenant les pires régimes politiques qui opprimaient les êtres humains dans leur vie concrète Je ne développe pas, l’ayant fait ailleurs dans un livre. De ce point de vue, l’idée défendue par certains « républicains » qu’il ne faudrait pas dénoncer ou critiquer les religions au nom de la laïcité  ne tient pas : il faut, sur la base de l’esprit critique (distingué de l’esprit de critique) lié à la raison, théorique autant que pratique, les examiner normativement et les récuser quand elles le méritent. Sachant que ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas la foi subjective, dont le statut est indécidable et donc en soi respectable (et pas seulement « tolérable »), mais la religion en tant qu’institution idéologique et sociale, qui n’a guère amélioré le sort de l’humanité, hormis dans quelques-uns de ses aspects charitables ou dans ses rares inspirations progressistes en politique lorsqu’elles étaient inspirées par « l’amour du prochain ». C’est pourquoi l’esprit de tolérance de fait, dans les limites que j’ai indiquées, doit être accompagné d’un esprit critique de droit à leur égard, mais aussi de fait et public, indispensable à l’examen de toutes les croyances, lequel esprit critique fait l’honneur de l’intelligence rationnelle mais aussi celui de la raison morale qui doit fonder la vie politique concrète et selon laquelle « pour l’homme, l’Etre suprême, c’est l’homme ».                                                                

                                                                 Yvon Quiniou

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