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Billet de blog 12 décembre 2025

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Bien comprendre la laïcité

La question de la laïcité envahit le médias cette semaine, mais le vocabulaire employé pour en parler n'est pas approprié. Dans une République marquée par la valeur de l'Universel, il ne s'agit pas de respecter les croyances religieuses, mais de les tolérer avec leur irrationaité propre et malgré les souffrances qu'elles peuvent susciter.. Démonstration.

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                                                     Bien comprendre la laïcité

La laïcité étant en débat ces temps-ci, j’en suis les commentaires un peu partout et je constate malheureusement un défaut de rigueur dans la compréhension de ce qu’elle est. L’ayant déjà défendue en vain dans les médias, spécialement  dans Le Monde après que Macron ait réuni les quatre religions pour saluer leur force d’unité après son arrivée au pouvoir - propos ahurissant-,  je vais me contenter ici de clarifier le vocabulaire qui est employé tant il est mal maîtrisé et donc dangereux, sur quelques points.

1 La tolérance est traitée comme une vertu inconditionnelle sans considération de ce qu’elle signifie : elle consiste à accepter de fait ce qui n’est pas respectable en droit. Exemple tout simple : accepter des convictions religieuses comme celles que véhicule l’Islam auprès de ses « fidèles » se heurte à la domination des hommes sur les femmes que professe cette religion et que le port public du voile par celles-ci traduit scandaleusement, alors que les habits neutres masculins y sont de droit.

Sans compter, pour exemple anecdotique mais significatif, que dans ma ville de province des réunions d’hommes musulmans se tiennent tout au long de la journée à la terrasse de cafés dont les femmes sont absentes ! Domination inacceptable du masculin sur le féminin, donc, qui n’a pas à être « respectée » en droit - sans compter bien d’autres mœurs - mais seulement acceptée de fait pour diverses raisons, y compris politiciennes ! Or ce que je dis là vaut pour d’autres religions comme la catholique avec son pouvoir ancestral des hommes sur les femmes, dans la vie quotidienne ou publique du passé… ainsi que dans les fonctions religieuses !

2 Mais il y a tout autant la question de la croyance, en l’occurrence des croyances dont les religions sont le support et l’agent de transmission. Ce qui est jeu ici est crucial pour n’importe quel esprit philosophique : l’opposition de la foi et de la raison, donc de l’irrationnel et du rationnel. Or toutes mettent la foi au-dessus de la raison sous des formes souvent scandaleuses qui ont été rejetées par la philosophie, spécialement à partir du 17ème siècle : Spinoza, Hume lui-même, les philosophes des Lumières, dont Rousseau et Kant qui récusaient ou critiquaient les croyances d’Eglise (voir Kant : « La religion dans les limites de la simple raison ») ;  et, ensuite bien entendu, toute la critique rationaliste et humaniste à partir de Marx y voyant « l’opium du peuple », Freud y diagnostiquant  une « illusion » maladive », etc. Plus généralement, c’est au nom de la raison scientifique, agnostique quoique non nécessairement athée sur un plan métaphysique, que l’on a été amené à rejeter justement ce qui dans les croyances religieuses s’opposait à des résultats théoriques indubitables et vrais  concernant notre monde et qui, en plus, alimentaient par leurs conséquences pratiques une liberté concrète de l’humanité dans bien des domaines et donc son bonheur de vivre. Je signale un seul exemple précis, double en plus : le refus de l’évolution naturelle conçue par Darwin parce qu’elle révolutionne d’une manière matérialiste la conception du monde et de l’homme en lui (des élèves musulmans d’une classe de Mathématiques supérieures où j’enseignais avaient commencé par s’y opposer) et le pape Jean-Paul II lui-même n’accepta tardivement l’évolution qu’en en excluant l’esprit !

3 On voit alors ce qu’il en est de la liberté de pensée, en l’occurrence celle, religieuse, qu’on nous demande de « respecter » dans la foi au nom de la liberté individuelle de conscience et non seulement de l’admettre. Or il y a là une imposture intellectuelle tant les croyances, d’une part, sont souvent des dogmes imposés au sujet de l’extérieur par une prise en charge coercitive précoce (milieu, famille, Eglise, Etat parfois) où le « libre-arbitre » intellectuel est absent : il s’agit d’un endoctrinement dont les périodes de notre passé religieux, en France, ont été un exemple malheureux et qu’on retrouve pleinement dans les pays sous-développés depuis longtemps. Mais d’autre part, il faut savoir quelle explication on en donne désormais hors de la conscience qu’elles ont d’elles-mêmes : elles ne sont pas fondées sur des raisons issues d’une authentiques réflexion personnelle, donc sur des motifs intellectuels individuels et autonomes, donc libres,… mais sur des causes inconscientes que les sciences humaines ont mises en avant. Je rappellerai d’abord que c’est Marx qui en a fourni la base générale en affirmant d’une manière magistrale que « c’est la vie qui détermine la conscience et non l’inverse », la vie désignant ici la vie historico-sociale liée à l’économie et faisant alors des croyances un domaine privilégié de l’idéologie, devenant alors un « opium du peuple ».  Pour Freud, sur la base du même schéma, la vie c’est la vie psychique et inconsciente issue de l’enfance qui fait de la conscience religieuse une « illusion », laquelle apaise  l’individu de ses souffrances tout l’y enfonçant. Enfin, et même si son discours est  contestable par ailleurs, il y a Nietzsche avec sa conception de la vie faible des faibles, lesquels doivent s’en consoler  dans l’acceptation de la puissance des forts. Dans tous ces cas probants, où est la « liberté de pensée » que l’on devrait « respecter » en régime laïque (affirmation que je viens de lire dans un journal que j’estime par ailleurs) si l’on admet qu’il n’y a pas plusieurs « vérités » sur le même sujet ? Ici aussi c’est d’acceptation (critique) qu’il doit s’agir, et non de respect.

4 Les valeurs ou la morale. Ici le problème s’aggrave encore et la terminologie s’embrouille, voire devient insupportable. D’abord, sur le plan des normes de vie les contenus religieux différent souvent beaucoup, jusqu’à devenir immoraux, contraires à la morale universelle que la République défend depuis son origine. Je ne développe pas beaucoup, l’ayant fait dans un livre intransigeant au service de la cause l‘humain. Mais il faut voir à quel point des valeurs comme l’égalité sociale ou entre les femmes et les hommes n’ont guère été admises dans l’histoire religieuse, y compris occidentale, de même que le respect du corps, de la sexualité (voir « le pêché de chair ») y compris dans son libre exercice partagé, le refus de la guerre, la sacralisation de l’identité ethnique ou nationale, la condamnation souvent violente de l’incroyance, etc. Je ne précise pas davantage ce lourd bilan.

Mais tout autant il y a la radicalité de chaque système de croyances avec son hostilité aux autres : les guerres de religion l’ont prouvé et aujourd’hui on assiste à une radicalisation dogmatique de ces croyance un peu partout, s’accompagnant d’une haine, au minimum, des convictions religieuses inverses, devenues adverses et parfois condamnées avec violence sur fond, aussi, d’un racisme enrobé de religion. Comment nier que l’Islam ne soit habité, de fait (j’ai lu en partie le Coran), par un fanatisme de type islamiste, même si c’est sur fond de volonté politique de pouvoir, qu’on ne saurait approuver et qu’un Etat républicain se doit de s’employer à en limiter les effets inhumains ? Dois-je rappeler qu’à la fin du 19ème siècle un ministre d’Etat pouvait s’enorgueillir publiquement qu’il n’y avait pas un philosophe matérialiste à l’Université ?

5 D’où, pour finir brièvement, la difficulté de respecter en droit (à nouveau) les religions positives dans leurs dogmes théoriques et les pratiques qu’ils alimentent, au nom même de la raison intellectuelle et morale : on ne peut que les tolérer de facto, sans les approuver, et dans certaines limites indispensables à la vie en commun.

6 Une remarque terminale iconoclaste, cependant. Tout ce débat critique ne concerne que ce que les êtres humains peuvent penser ou croire s’agissant du monde physique ou matériel dans lequel nous vivons tous, incroyants ou croyants. Il ne porte en rien sur la sphère métaphysique - hors de la réalité physique - dont le statut ne peut recevoir de solution définitive ou certaine parce que vraie, contrairement à ce qu’en disent les religions (mais d’une manière plurielle) : ce monde, notre monde à tous, est-il fini ou infini, créé ou incréé, la mort est-elle définitive, etc.,  nous ne pouvons le savoir… même si la philosophie passée a cru pouvoir se prononcer en vérité  à ce sujet et en élaborant une ontologie à chaque fois particulière : Platon, Descartes, Kant, Bergson, etc., avec les religions qui s’en réclamaient ensuite plus ou moins. Or, et c’est là le parallèle avec la critique des religions, Marx, sur la base des sciences dont il s’inspirait et qui unifiaient progressivement  le réel empirique à leur lumière rationnelle et expérimentale, a définitivement mis fin à cette ambition immédiatement philosophique en n‘y voyant qu’une spéculation devant être éliminée par l’explication scientifique permettant de transformer le monde au bénéfice de l’homme : voir sa 11ème thèse su Feuerbach ; Or ce diagnostic, oublié par nombre de nos contemporains, est théoriquement définitif… sauf à y ajouter un autre avenir pour la philosophie qu’il n’a pas explicitement prévu : celui de réfléchir sur leur sens quant au réel au regard des grandes questions qui ont occupé les philosophes du passé  et qui sont éclairées désormais par l’intelligence scientifique en progrès constant: objectivité de la réalité matérielle, statut de l’homme en lui, matérialité de sa pensée, nouvelle définition de la liberté, etc. -  Engels s’en étant, lui, un peu occupé et bien. Le parallèle avec les religions s’éclaircit alors dans notre rapport à elles : le pluralisme philosophique, s’agissant de notre monde physique, n’est pas plus respectable que le pluralisme métaphysique puisqu’il ne peut y avoir plusieurs vérités à ce sujet, par définition, malgré la prétention des religions de se prononcer de diverses manières dans ce doamaine.

Conséquence ultime : la dimension métaphysique de notre monde est hors de portée de notre connaissance - Wittgenstein a déclaré lucidement que « ce qui est inintelligible c’est que le monde soit intelligible ». Dont acte à l‘agnosticisme, donc, contre les prétentions des religions. Cette modestie est ce qui convient aux croyances religieuses dans une société laïque qui doit éviter les conflits dont elles sont porteuses !

                    Yvon Quiniou, auteur en particulier de Critique de la religion. Une imposture intellectuelle, morale et politique (La Ville brûle).

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