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Billet de blog 14 février 2025

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Quelle laïcité républicaine?

Le contexte politique et social, dramatique, nous oblige à réfléchir rigoureusement sur la laïcité pour éviter d'en donner une interprétation libérale et laxiste, qui fait le jeu des fanatismes, spécialement celui des religions. Indépendamment de leur contenu de croyances hostiles aux sciences, il y a leur dogmatisme, y compris public, et leur opposition entre elles qui nuisent à la paix sociale.

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                                          Quelle laïcité républicaine?

Dans le contexte dramatique d'agressions et de crimes sociaux que nous connaissons, où le facteur religieux joue hélas un rôle, il nous faut revenir une fois de plus, sur la laïcité française inscrite dans notre Constitution depuis 1905 (issue lointainement de la Révolution française de 1789) pour en préciser la signification hors de toute complaisance libérale et politicienne: notre pays n'est pas l’Angleterre ni l'Allemagne... pour ne citer qu'eux! Cet impératif est d'autant plus urgent que la présence de Retailleau au gouvernement comme ministre de l'Intérieur, avec son catholicisme fervent, mais sectaire et guère laïque en lui même (voire proche de celui de l'extrême-droite) nous y oblige.

La Constitution en question (Article  1er)  déclare que la France est une " République laïque laïque, démocratique et sociale" et qui va assurer "l'égalité des citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion" (souligné par moi). Et si l'on arrive à sa version actuelle datant de 2022), légèrement modifiée, il est dit que "la République assure la liberté de conscience" et qu'elle garantit le libre exercice des cultes sous la seule restriction édictée (...) dans l'intérêt de l'ordre public". Enfin, la Convention européenne des droits de l'homme affirme la "liberté de manifester sa religion (...) sauf si la la sécurité publique, à savoir l'ordre, la santé et la morale publique (...) sont menacés" et cela s'applique à l'expression artistique qui ne doit pas subir de restrictions idéologiques (je résume). Or on voit tout de suite qu'il faut être attentif à la sémantique de de ces différentes déclarations, quitte à en contester l'interprétation pratique, au nom même de la laïcité revendiquée, ou à la compléter, et ce en rappelant la devise principielle de la République : "Liberté, égalité, fraternité". Je me contenterai de la liberté de conscience et de sa manifestation externe ou publique, spécialement ou fondamentalement dans le domaine religieux.

1 Liberté de conscience ou de pensée (ou encore d’opinion), d’abord. Question intempestive : a-t-on le droit de penser n’importe quoi, surtout si on extériorise ce qu’on pense intimement dans ce cas ? Il me paraît essentiel de dire « non », avec précision mais aussi  prudence : on peut certes délirer en soi-même involontairement et verser dans des illusions irrationnelles (voir Freud pour la religion), on en a le droit évidemment, si l’on peut dire et d’autant plus quand cela nous échappe comme la vie intérieure, mais il y a un devoir d’intelligence opposé et d’accès à la vérité qui constitue la dignité de l’homme par ailleurs et que la philosophie a mis en avant d’emblée, quitte à le déléguer ensuite à la science dans le cadre du matérialisme qu’elle impose désormais, à distinguer de l’athéisme. Car il faut admettre que c’est la vérité qui unit les hommes dans l’égalité des convictions assurées scientifiquement et, du coup, qui  assure la fraternité du « vivre-ensemble », même au prix de discussions internes inhérentes au débat scientifique ou rationnel. Et tout autant, c’est elle qui assure à l’homme un pouvoir sur la réalité empirique globale et donc sur lui-même : l’histoire de l’humanité et de ses acquis scientifiques et techniques nous en apporte pour une large part la preuve. Or il suffit ici de constater, en toute lucidité et honnêteté, à quel point les religions renoncent à cette tâche, voire la récusent. Dans le domaine théorique elles se sont toujours opposées à la vérité scientifique, quelle soit physique avec Copernic et Galilée, biologique avec Darwin ou encore avec les sciences humaines contemporaines révélant les multiples déterminismes qui pèsent sur l’homme et dont seule la connaissance nous assure la maîtrise - contrairement la thèse du libre-arbitre mythique professée par les courants religieux… quand ceux-ci ne vouent pas l’homme à un destin malheureux en dehors de la foi (voir son expression extrême chez Pascal). Dans le domaine pratique, ensuite, des valeurs et donc de la morale et du modèle de vie à laquelle elle nous oblige, nous assistons depuis très longtemps à une incandescence du déraisonnable, qui meurtrit notre vie. D’abord il y a l’origine  de cette « morale » qui est attribuée - dans toutes les religions : christianisme, judaïté, islam - à une instance surnaturelle supérieure, en l’occurrence divine - et non à une capacité humaine profane que l’évolution de la nature a fait émerger et que tout le monde peut connaître et reconnaître (voir Darwin) dans la paix des intelligences. Ensuite, il y a le contenu de ces morales religieuses qui peuvent varier concrètement mais qui, toutes, reposent sur la dévalorisation de la vie terrestre et la centration normative sur un au-delà surhumain et donc inhumain - avec le « pêché de la chair » pour les chrétiens, dispensé au surplus par des membres de clergés monopolisant la transmission de ces valeurs, en l’occurrence leur imposition, laquelle assure leur pouvoir temporel. Quelles que soient leurs spécificités qui les opposent dans leur contenu, ces « morales » ont en commun la définition d’une vérité « morale » religieuse, déclarée vraie catégoriquement et devant régir nos comportements, sous peine de blâme au minimum.

2 D’où ensuite un problème de fond qui concerne la co-existence des religions dans une vie sociale laïque en principe, ouverte au pluralisme des convictions de « pensée », mais qui est ici celui de « croyances » irrationnelles quand on songe à leur dogmatisme intrinsèque qui les oppose et donc à l’impossibilité de les faire s’entendre sans hypocrisie fondamentale. Il suffit de se souvenir de ce qu’a été cette co-existence historiquement, à commencer par les guerres de religion en Europe, dont la France, avec leur barbarie sanguinaire. Car ce qui est en cause ce n’est pas seulement leur contenu de croyance, mais la manifestation, précisément, de celui-ci à travers une militance publique institutionnalisée, de type idéologique au sens de Marx, incarnée dans des « Eglises » aspirant au pouvoir temporel et tentant de l’imposer. C’est là qu’on voit que le respect des communautés religieuses exigé officiellement par la laïcité républicaine au nom de la tolérance et du pluralisme, qui paraît généreux et respectueux de la différence, débouche sur le contraire si l’on n’y prend garde : l’aspiration à la domination, le conflit, sinon la guerre parfois des religions entre elles et dans la société prétendue « libre, égale et  fraternelle ». La revendication d’une identité communautaire, disons spirituelle ou culturelle, qui serait à respecter et devant elle même respecter celle d’autrui au sein de « communautés » différentes, se transforme alors en un identitarisme intolérant et conflictuel ou guerrier, dogmatisant, naturalisant ou substantifiant l’identité et la transformant en altérité agressive : celle-ci met en cause, précisément, au nom d’une conception abstraite ou nominale de la liberté, l’égalité et la fraternité, indissociables pourtant de la République laïque et de la République tout court. C’est dire que la liberté individuelle et contrairement à ce que l’on croit spontanément, n’est pas une valeur inconditionnelle : tout dépend de l’usage qu’on en fait - ce dont le libéralisme n’a cure - et elle est donc subordonnée à l’égalité et à la fraternité, ce qui en limite très normalement l’usage pour l’empêcher de virer dans la concurrence sauvage de tous contre tous. En disant tout cela qui vise les dangers de l’intolérance religieuse, je ne remets pas en cause le droit officiel à la croyance religieuse, bien évidemment - comme à l’athéisme d’ailleurs -  mais le droit sans limites à sa place dans l’espace public qu’elle ne cesse de réclamer. Or celui-ci, dans un pays laïque comme le nôtre, est désormais normalement restreint : l’affichage de convictions pareilles dans les établissements publics comme l’école, les administrations ou les mairies, est interdit, tout comme leur manifestation ostensible dans les rues, tel le port du voile islamique intégral, signe visible d’une domination intolérable de l’homme sur la femme, fût-ce avec son consentement, subjectif ou apparent.

Pour prolonger et justifier davantage ma position de principe, je veux simplement citer brièvement quelques exemples de philosophes du passé, partisans de la raison et hostiles à l’intolérance religieuse : Spinoza dénonçant les fantasmes de l’imagination religieuse qui enferment l’homme dans l’ignorance et mutilent sa vie dans son Traité théologico-politique ; Hume disant à peu près la même chose dans ses Dialogues sur la religion naturelle où, au nom de celle-ci, il dénonce impitoyablement les religions positives et va, dans un des ses textes directement politiques, jusqu’à nous proposer une analyse étonnamment et  terriblement caustique du goût égoïste du pouvoir chez les membres du clergé ; ou encore Kant dans son ouvrage La religion dans les limites de la simple raison où il s’en prend à la religion positive avec ses défauts intellectuels et moraux, contraires à la raison et abîmant l’homme comme la vraie religion issue de la raison. Je m’arrête là sans évoquer davantage les philosophes français des Lumières ou la dénonciation politique de la religion chez Rousseau, ni les penseurs qui suivront à partir du 19ème siècle avec leur critique anthropologique ou socio-politique, comme Feuerbach, Marx, etc. Mais pour conclure sur ce point, je rappellerai, à l’inverse, deux exemples précis ou en acte de l’intolérance religieuse, directe ou indirecte. D’abord, l’exemple étonnant, sinon même contradictoire, de Locke dans sa Lettre sur la tolérance : confronté à une multitude de conflits entre des courants religieux intolérants dans l’Angleterre de son époque, il tente d’influer cette situation en faisant appel, précisément, au principe de tolérance pour le faire admettre à une religion qui le nie - ce qui est parfaitement louable. Sauf que, et contradictoirement, à la fin de son livre il supprime cette injonction en ce qui concerne l’athéisme, qui doit être condamné et refusé, comme le font les religions en question ! Voilà donc où mène la religion chez un philosophe qui prétend s’appuyer sur la raison et qui a paradoxalement intégré ce qui est bien le fanatisme religieux ! Autre exemple, factuel mais révélateur, celui de l’enseignement au 19ème siècle, avant l’arrivée de la seconde République en France : le gouvernement de droite de l’époque, sous Napoléon III, orientait le contenu de l’enseignement secondaire et universitaire dans un sens clairement religieux et donc anti-matérialiste, excluant la liberté de l’esprit critique. Au point que Victor Duruy, ministre de l’Education national, et en raison d’avancées positives contre l’obscurantisme d’Etat qui le rendirent suspect, se sentit obligé de se « dédouaner » et décida d’interdire l’enseignement du matérialisme philosophique dans les lycées et à l’Université, et s’en glorifia ! Voilà où mène la religion qu’il faudrait ne pas critiquer idéologiquement et respecter, bien évidement,  malgré ses excès publics ou sociaux! La laïcité républicaine, dans ce cas, nous oblige à tolérer de fait ce qui n’est pas respectable en droit, tout en nous autorisant pleinement à en faire la critique publique, rationnelle autant que raisonnable.

Je voudrais cependant conclure en déplaçant, d’une manière qui va étonner ou surprendre, l’angle de perspective à l’aide de penseurs politiquement et franchement de gauche, à savoir Ken Loach et Edouard Louis, dans un livre récent, Dialogue sur l’art et la politique.. Car ce qui est impliqué dans l’intolérance religieuse c’est bien une forme de violence non seulement intellectuelle mais humaine à l’égard de qui ne pense pas comme vous ou, plutôt, ne croit pas comme vous, violence que la République laïque entend effacer. Or nos deux auteurs ouvrent, pour une part, le problème en dégageant son arrière-fond social. Pour eux et d’une manière générale la violence n’est pas inhérente à la nature humine mais l’effet d’une violence sociale que la majorité des hommes subissent dans leur travail et donc dans leur vie, elle en est le « continuum » : le malheur qu’on subit nous rend violents et nous transférons cette violence réactive dans des idéologies où elle est sublimée et qui en nous en consolent tout en la compensant sans la supprimer. Cette violence peut être raciale, nationaliste ou religieuse quand elle se couvre d’un appel à une transcendance surnaturelle : hormis notre passé français où ce fut évident (voir plus haut), il suffit de voir la violence judaïque au Moyen-Orient contre la Palestine, sur la base d’une référence à un Dieu qui aurait institué le peuple juif propriétaire d’un « terre » considérée comme « sacrée » ; sans compter le motif que cette violence répondrait à l’antisémitisme, lui-même violent, des Palestiniens en tant que partisans de l’islam, lequel rejette avec virulence les autres croyances tout autant que l’incroyance Violence religieuse contre violence religieuse, donc, mais avec ce supplément social s’agissant de la population palestinienne : celle-ci adhère à fond à cette haine anti-juive  présente dans ses croyances au sein desquelles elle est enfermée, alors que, par ailleurs, elle vit majoritairement dans la difficulté, sinon la pauvreté et qu’elle est donc victime d’une souffrance sociale qu’elle transporte et compense dans sa haine religieuse des juifs !

 Je n’en dis pas plus mais il est clair que la violence religieuse, avec son fanatisme propre, est  aussi, je le répète délibérément en m’inspirant de Ken Loach et d’Edouard Louis, une violence sociale qui s’ignore (comme beaucoup d’autres violences) et c’est donc sur cette base qu’il faut agir pour contribuer à la faire disparaître : République laïque signifie aussi République sociale !

                                                            Yvon Quiniou

NB : Mes propos sur la religion, que l’on peut hélas ne pas partager, sont éclairés en profondeur dans mon livre déjà ancien : Critique de la religion. Une imposture intellectuelle, morale et politique, La Ville brûle, 2014.

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