Lire impérativement Danièle Sallenave !
Danièle Sallenave vient de publier un livre formidable intitulé La splendide promesse. Un itinéraire républicain qui, si j’ose dire, tient parfaitement sa « splendide promesse ». Mais pour comprendre l’éloge que je vais en faire, il faut commencer par rappeler ses titres officiels : normalienne, agrégée de lettres, enseignante longtemps à l’Université de Nanterre et, surtout, membre de l’Académie française. Car c’est ce titre, disons « académique » avec ce que cela peut impliquer de conformisme idéologique et politique, qui ne l’a pas empêchée d’avoir un engagement républicain d’un courage rare, avec, tout autant, les positions radicalement de gauche qui furent les siennes tout au long de sa vie, malgré les difficultés qu’elle rencontra parfois pour les soutenir subjectivement et les surmonter avec un courage rare, lié à la profondeur de ses convictions.
Elle nous raconte donc, dans un style d’une clarté extrême, ce que fut son itinéraire depuis son Anjou natal avec des parents instituteurs socialistes qui l’encouragèrent à étudier et, surtout, qui l’imprégnèrent d’un idéal républicain qui ne la quitta jamais, mais en le détachant de la vision minimale « socialiste » de l’époque qu’ils en avaient, pour le radicaliser dans un sens plus profondément socialiste, davantage à gauche donc. C’est de là qu’il faut partir pour comprendre son parcours politique autant qu’intellectuel qui anima sa vie jusqu’à présent : elle s’appuie sur l’idée de République telle que 1789 nous l’a léguée, mais en ne l’édulcorant pas comme on le fait trop souvent. Car elle y lit une promesse de « liberté, d’égalité et de fraternité » pour tous les êtres humains, sauf qu’elles ne sont pas seulement formelles ou juridiques, mais doivent recevoir un contenu social et économique qui leur donne une traduction réelle. Au point qu’à un moment elle rappelle que le révolutionnaire Babeuf y voyait même une anticipation du communisme !
C’est sur cette base générale qu’elle va pouvoir alors développer son constant engagement républicain qu’on ne peut que résumer tant il est long (près de 500 pages) et riche, avec ses arrêts, ses doutes, ses rebonds en avant, étonnants quand on se souvient à quel point notre histoire, marquée par le soviétisme et son communisme dit « réel » (alors qu’il en était un contresens en acte(s)), a pu le contredire pour une part. Rebonds en avant, dis-je, et donc maintien d’une conviction profonde mais sans œillères (dans laquelle, au surplus, je me retrouve pleinement) et qui s’affronte à divers épisodes ou tentations comme l’Union de la gauche avec Mitterrand, mais un Mitterrand en lequel elle ne croyait guère - la suite lui ayant donné raison - ou encore l’attirance pour un Chevènement dont elle perçut vite les limites avec son culte de la « nation ». Dans ce contexte de convictions personnelles maintenues, même si elles furent ébranlées par les conjonctures historiques successives, on la voit s’ouvrir aux pays de l’Est avant la chute de l’URSS et même après. Elle s’y rend, surtout à Prague, ville qu’elle admire mais dont elle a constaté l’état lamentable sous la domination soviétique, mais tout autant après, avec ses inégalités de richesses croissantes et le consumérisme capitaliste médiocre qui a suivi et qu’elle déplore avec un courage lucide ! Et son parcours final jusqu’à aujourd’hui reste fidèle à ses convictions originelles pour l’essentiel. Disons pour faire écho à des formules d’elle : avant c’était pas bien, mais aujourd’hui c’est pas mieux !
On laissera alors de côté délibérément toutes ses incursions dans d’autres domaines de la réalité mondiale et ses options progressistes constantes ici (anti-impérialisme, Tiers-monde, anticolonialisme, antiracisme, etc.) pour s’interroger sur ses convictions intellectuelles qui approfondissent son idéal de la République et en proposent une traduction concrète. Point important : elle est athée, résolument, et antireligieuse (comme moi : elle se réfère à mes idées dans L’églantine et le muguet) : elle ne supporte pas la religion avec ses méfaits humains, ses croyances irrationnelles et déraisonnables, ses complicités politiques avec les pires régimes, même si, et comme il se doit, elle en respecte de fait l’existence à condition qu' elles respectent elles-mêmes l’Universalisme républicain qui constitue, en quelque sorte et si l’on peut dire, sa « Bible rationnelle » : elle ne veut pas exercer à l’égard des religions le fanatisme outrancier qu’elles exercent contre la raison et la laïcité !
Mais comment alors s’y prendre pour activer l’idéal dont elle se réclame ? Que préconise-t-elle ? C’est ici que sa démarche est d’un grand courage tant elle peut heurter certains préjugés à la mode du côté de l’Education nationale : elle distingue « éducation » et « instruction » et elle valorise résolument et même principiellement l’instruction, n’y voyant en rien un rapport présumé de supériorité méprisant entre l’enseignant et l’enseigné ; elle y voit au contraire le projet, mais sur cette base de départ nécessairement inégalitaire, le projet réel de supprimer l’inégalité pédagogique de départ - c’est en quoi il n’est pas inégalitaire Et justement, alors, l’instruction devient éducation, faisant advenir l’instruit à une égalité de vie, fût-elle partielle, avec l’enseignant. D’autant plus qu’elle indique remarquablement que l’accès à la culture, ainsi diffusée, est l’accès à une forme de vie qui vous enrichit ! « Apprendre c’est apprendre à vivre » dit-elle magnifiquement ! L’instruction publique, pour laquelle elle n’aura eu de cesse de militer et de dénoncer sa dégradation actuelle, contribue ainsi à l’accès à l’égalité citoyenne et existentielle qui promeut la vie de tous fût-ce à des degrés divers.
On pourrait multiplier les éloges de ce livre dans une situation idéologique où beaucoup de choses « vont à vau-l’eau » : il me suffira d’en avoir fait l’« éloge républicain » avec ses prolongements, d’autant plus, et c’est très émouvant, que l’intellectuel que je suis y retrouve comme une mémoire de soi ! C’est donc un livre qui, avec en plus l’art de la nuance dans le détail de ses analyses, sort de l’ordinaire et est donc « extra-ordinaire » au sens exact de ce terme !
Yvon Quiniou
Danièle Sallenave, La splendide promesse. Mon itinéraire républicain, Gallimard