La Nupes : fin de la crise du politique ?
Le succès relatif, mais réel, de la Nupes aux législatives de dimanche dernier, nous invite à réfléchir sur ce qu’il veut dire contre les commentaires imbéciles qu’il suscite, spécialement dans le camp de Macron : radicalisme dangereux, irréalisme économique, fin de l’Europe, j’en passe et ne compte pas les injures personnelles. Or tout cela (sans exclure une indigne complaisance pour le RN parfois, pour le second tour) cache l’essentiel. Après des décennies où la gauche dite « socialiste » s’est retrouvée souvent au pouvoir (Mitterrand, l’épisode Jospin, puis Hollande), c’est une crise de confiance dans la politique ou, mieux, le politique qui s’est manifestée spectaculairement jusqu’à récemment, avec j’y reviens, le rôle désastreux de Hollande initiant une politique libérale, accomplie pleinement ensuite par son successeur et ancien ministre, Macron.
Pourquoi alors une pareille crise – seconde interrogation ? Je fais partie d’une génération engagée très tôt dans un combat pour le socialisme ou, si l’on préfère, le dépassement du capitalisme à partir des années 1970, avec le programme commun. Mais je me souviens aussi des acquis de 1936 et du programme du CNR à la Libération, avec toutes ses mesures qui consistaient en des « éléments de socialisme » par avance : nationalisations, sécurité sociale, enseignement, mesures sociales pour les plus défavorisés, droit de vote pour les femmes, etc. Or tout cela incarnait à mes yeux et aux yeux de beaucoup, avec ou sans Marx (avec plutôt !) la capacité de la politique de changer le sort des humains en l’améliorant et de transformer la société comme les « Trente glorieuses » l’avaient un peu confirmé. Ce qui faisait du politique un phénomène essentiel au cœur de la vie collective et attestant (un peu dans l’ancienne optique des Lumières) la capacité de celle-ci de se transcender et de transcender l’économie pour la mettre au service des besoins humains, ceux de tous et non d’une minorité capitaliste privilégiée. Or c’est cela qui a disparu lamentablement en 1983 avec Mitterrand avec son parti- pris européen et son acceptation des lois du marché qui dominent l’Europe, et cela encore plus depuis la disparition de l’URSS et la déferlante néo-libérale, inspirée par les Etats-Unis, qui a suivi. Macron aura été la pointe extrême de ce mouvement, même masqué : il suffit de lire son livre-programme Révolution (sur lequel j’ai écrit un essai critique) pour s’apercevoir à quel point notre président adhère, sans le dire clairement, aux dogmes théoriques d’un libéralisme inspiré du théoricien Hayek pour qui seul l’individu et ses rapports concurrentiels avec les autres individus sur le marché comptent : point de classes sociales, de propriété privée capitaliste et d’exploitation donc, point d’influence du milieu inégalitaire (Macron ne semble pas connaître la sociologie critique), réussite des meilleurs, apologie de la croissance à tout prix (il ignore la crise écologique) et dédain pour les pauvres, les chômeurs, etc. Rarement la France aura connu un pareil projet cynique qui fait de la politique un appendice de l’économie capitaliste et auquel nombre de dits « socialistes », avides de pouvoir, auront adhéré !
Justement : c’est cela que le projet de la Nupes remet fondamentalement en cause avec l’ensemble des forces de gauche encore présentes, en tournant le dos à un passé récent et en reprenant le fil d’un passé ancien, audacieux et généreux, qui me redonne une confiance apaisée, même si elle doit rester prudente. Songeons : attention portée au peuple, augmentation importante des salaires les plus bas, retour à la retraite à 60 ans qui permet de vivre celle-ci dignement, sans avoir été épuisé par un travail souvent pénible, aide aux chômeurs avant d’en réduire le nombre, revalorisation des services publics comme l’hôpital ou l’enseignement, sacrifiés lamentablement par Macron au profit du privé, révision de l’impôt qui aujourd’hui bénéficie aux plus riches et aux milliardaires, révision aussi des traités européens au service du libéralisme économique, sans oublier le souci de l’écologie, absolument impératif aujourd’hui, etc.
Je n’en dis pas plus, mais l’on aura compris : nous sommes en présence d’un projet où le souci moral de l’humain dans sa vie concrète est à la base et qui retrouve l’inspiration émancipatrice de la véritable gauche dès son origine. En ce sens, c’est bien, au-delà de tout le concret que j’ai souligné, en présence d’une révolution culturelle dans la définition de ce qu’est aussi le politique que nous sommes, ce « politique » dont la Révolution française a été le premier exemple. Sa réussite dépendra de la manière dont les classes populaires verront les avantages qu’elles peuvent en tirer, car c’est elles qui fondamentalement s’abstiennent et c’est à elles (et à la grande majorité des français) que la Nupes s’adresse prioritairement. Alors oui, et sans garantie absolue car la Nupes est « composite » tout en étant unie, il faut voter pour elle : pour « l’humain d’abord », contre les puissance mortifères et dégradantes de l’argent.
Yvon Quiniou