Joseph Macé-Scaron, la lucidité face aux religions
Enfin le sens critique à l’égard des religions se réveille, alors que l’esprit du temps, autre nom de l’idéologie dominante, fait tout pour l’étouffer ! José Macé-Scaron, du journal Marianne, vient de publier un ouvrage qui le prouve et dont le titre annonce sans hésitation la couleur : L’horreur religieuse.
La conjoncture l’exigeant malheureusement, c’est avec l’islam qu’il commence sa réflexion, à la fois brillante, informée et féroce. Il s’en prend à ceux qui prétendent séparer l’islamisme de l’islam et interdisent leur amalgame, spécialement à gauche et à l’extrême-gauche, soit par hypocrisie, soit par ignorance, soit tout simplement par calcul politique – les musulmans sont des électeurs, il ne faut donc pas faire de vagues. Et il vise particulièrement juste quand il s’en prend à « l’islamo-gauchisme » qui ne voit dans l’islam que la religion de peuples opprimés (ce qui n’est pas faux) et du coup exige qu’on respecte leurs croyances – ce qui est inacceptable. Car il faut ignorer le Coran ou ne pas vouloir le comprendre pour occulter tous les versets violents jusqu’à la haine de l’autre et du mécréant, voués explicitement à la géhenne ou à la mort, et tout le livre en donnera de multiples exemples. Le nier, c’est opérer une tragique démission de la raison critique tout en ôtant aux djihadistes, comme il l’indique très bien, « la signification de leur mort », qui est bien religieuse. Et il en profite pour pointer directement des propos assez étonnants d’Olivier Todd après la barbarie ayant atteint Charlie Hebdo, dévalorisant la manifestation nationale de soutien qu’elle suscita, prétendant que le vrai peuple en aurait été absent et y voyant même le retour d’un refoulé catholique d’arrière-garde! C’est typiquement « le conformisme de l’anti-conformisme » qui vous assure du succès au mépris du réel.
Mais le grand intérêt de ce livre, selon moi, est de dépasser la critique du seul islam. Car c’est bien à toutes les religions qu’il va s’en prendre en commençant par dénoncer une religiosité qui fait tristement retour, spécialement dans l’espace public, démentant les pronostics de ceux qui nous assuraient de son déclin inéluctable (je pense ici à Gauchet). C’est le contraire qui se passe et que l’on dénie, et nous sommes en présence d’une « étrange défaite », d’une « déchéance de la rationalité » dont il précise finement qu’elle est « moins la victoire d’une croyance sur une autre que la déroute générale du sens commun ». On voit par exemple les politiques de tous bords s’abstenir au minimum de s’en inquiéter, tenir aussi des professions de foi archaïques (voir la « Manif pour tous » ou les propos de Christine Boutin), se montrer idéologiquement complaisants à l’égard du phénomène religieux, trahir l’esprit d’une laïcité rigoureuse en pleine débandade et flirtant avec le communautarisme, enfin faire des gestes officiels envers les Eglises, comme lorsque l’exécutif se rend au Vatican pour une canonisation… et ce, sous la gauche !
Sur la base de ce constat que je partage pleinement, il peut se permettre de procéder à un examen détaillé de cette vague qu’on ne voit pas assez en commençant par la qualifier, avec Freud, de « délire collectif » porté par une « pensée magique ». La liste est longue des travers des religions, mais il faut en signaler au moins quelques-uns, même sans les développer, … au risque pour Macé-Scaron de se faire traiter de sectaire ou de fanatique irréligieux (dans un renversement des accusations !) alors qu’il est tout simplement lucide et intransigeant dans sa lucidité, dans la lignée des grands écrivains ou penseurs dont il se réclame courageusement. Le totalitarisme, d’abord, c'est-à-dire l’imposition dogmatique d’un message intellectuel et moral devant régir la totalité de notre vie, fondé sur la seule croyance, et dont bien des savants ont fait et continuent de faire les frais : G. Bruno, Galilée, Darwin encore aujourd’hui… et l’on apprend au passage que l’Eglise catholique, si elle regrette la mise à mort de Bruno, n’est pas revenue sur son accusation d’hérésie ! Le Coran, cependant, en est l’exemple le plus extrême puisque son texte doit être pris à la lettre et ne supporte pas le moindre questionnement ! Le spectacle de la régression qui nous frappe l’entraîne même à dire que « la religion porte en elle désormais le fanatisme, l’obscurantisme, le dogmatisme comme la nuée porte l’orage », nouveau diagnostic que j’approuve. D’où une emprise sur les mœurs avec une condamnation unanime de l’homosexualité – hypocrite au demeurant, puisqu’elles peut être pratiquée par les hommes d’Eglise (y compris sous la forme ignoble de la pédophilie, tolérée secrètement), mais, tout autant, une dévalorisation de la sexualité prise en elle-même. Macé-Scaron s’emporte à juste titre contre le refus de l’amour et du plaisir considérés en dehors de la visée de procréation. Plus largement, c’est la vie du corps qui est discréditée et châtrée au profit d’une spiritualité strictement religieuse et codifiée, qui voue celui qui ne croit pas, le non-religieux donc, à être traité de « chien » ! Et puis, il faut savoir que tous ces interdits réels placés sous le signe d’un Dieu hypothétique, peuvent parfois aller jusqu’au scandale pur et simple, comme lorsque la condamnation de l’avortement a pu être maintenue dans le cas d’un viol d’enfant au Brésil, avec ce propos invraisemblable selon lequel « l’avortement est pire que le viol », qui n’a jamais été désavoué par l’instance religieuse.
La question de la transmission, à travers l’éducation, s’ensuit alors et celle-ci donne lieu à un totalitarisme éducatif qui, s’il a été aussi présent dans d’autres régimes répressifs, n’a pas atteint le degré qu’il présente dans « l’éducation religieuse ». Je suis heureux de voir l’auteur y dénoncer un véritable endoctrinement qui commence très tôt et qui fait fi du libre arbitre du futur être humain : c’est ainsi que l’on aliène, parfois définitivement, la liberté de penser, qu’on fait des fanatiques incapables de penser par eux-mêmes et qu’on les amènent à considérer que la « liberté de ne pas croire » est… « liberticide » ! Cette soi disant éducation est, en réalité, une « maltraitance ».
Bien d’autres traits négatifs des religions sont analysés avec beaucoup de précision. J’en retiendrai quatre : l’affirmation constante de la supériorité de l’homme sur la femme, bien entendu ; l’hypocrisie qui voue les religions à enseigner et à pratiquer la charité plutôt que de préconiser le combat pour la justice sociale avec les transformations socio-économiques que cela implique : n’a-t-on pas vu Mère Teresa, recevant son prix Nobel, proclamer que l’Eglise n’est pas là « pour faire du travail social ». Mais il y a aussi, peut-être surtout, la violence dont il est rappelé qu’elle n’est pas l’apanage de l’islamisme d’aujourd’hui ou du texte coranique : toutes les religions ont été ou peuvent être violentes et l’on peut constater que l’Ancien Testament chrétien (voir le Deutéronome) comporte des appels au meurtre de l’infidèle qu’on croirait sortis du Coran. Cette violence est liée à la violence de leur origine comme aux emportements en vue d’une Apocalypse qui relève du délire. Mais on la retrouve aussi dans des religions comme l’hindouisme… qui n’est pas un monothéisme classique !
D’où un dernier point, qui touche à la raison et à la déraison et qui est au fondement de toute cette réflexion, hétérodoxe mais vraie pour l’essentiel. Macé-Scaron conteste judicieusement la théologie, qui se prétend la science rationnelle de Dieu. Or il la considère comme une « escroquerie intellectuelle », à juste titre : comment accéder par la raison à « une entité dont on ignore si elle existe ou pas » ? Très bonne question qui sous-entend qu’en réalité la théologie n’est pas une discipline rationnelle, mais la rationalisation d’une croyance préalable qui n’est pas issue de la raison (et il y en a de nombreuses), qui est donc déraisonnable, mais à laquelle ladite raison ne fait qu’apporter un semblant de rationalité pour mieux s’imposer aux esprits non avertis et déployer son entreprise totalitaire.
On comprend alors l’enjeu majeur de ce livre : c’est une incitation radicale à l’exercice de la raison, facteur définitif de liberté de pensée et de liberté tout court. C’est donc aussi l’appel au doute intellectuel dans tous les domaines, alors que le sacré veut y échapper, y compris, comme il est dit, au doute à l’égard de son propre doute. A quoi il faut ajouter cette nuance essentielle que l’auteur exprime : ce qui est visé, c’est la religion dans toute sa positivité historique et rituelle, croyances comprises bien entendu, mais non le fait subjectif de croire puisque l’on a rappelé que nous étions dans un domaine où aucune preuve ne peut être apportée. C’est dire que Macé-Scaron (comme moi) n’a rien contre le sentiment religieux – il a pu nourrir de grandes œuvres esthétiques comme la poésie de Rilke ou la musique de Bach – , ni rien contre ce qu’on peut appeler l’inquiétude métaphysique devant le monde ou la condition humaine, qui fait partie de la grandeur de l’homme. Mais le paradoxe – et c’est là un constat terrible auquel les croyants devraient être attentifs – consiste dans cette proposition essentielle : c’est en se libérant de la religion que l’on parvient à une libre inquiétude métaphysique comme, tout simplement, à la liberté de l’esprit ou de l’intelligence. A lire donc, impérativement, pour se dessiller les yeux.
Yvon Quiniou
Les guillemets renvoient à des citations du livre.
Joseph Macé-Scaron, L’horreur religieuse, Plon.