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Billet de blog 16 décembre 2021

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La crise de la gauche et l'échec soviétique

La crise dramatique de la gauche fait suite à l'échec de l'expérience soviétique, identifiée à tort au communisme de Marx. D'où la déferlante libérale qui a envahi l'Occident capitaliste et gagné une partie de la gauche dite "socialiste". Il faut revenir au "marxisme marxien" pour rouvrir une espérance de fond et éviter la catastrophe civilisationnelle qui nous menace..

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                                                La crise de la gauche et l’échec soviétique

La crise de la gauche à un an de la Présidentielle et avec le risque de voir une droite très à droite prendre le pouvoir, signale une catastrophe idéologique sans précédent en France. Certains s’en réjouissent bruyamment, à droite toujours, inutile d’insister, mais c’est à gauche que le phénomène impressionne le plus, est le plus désolant et suscite un énorme désarroi, qui m’affecte aussi à titre personnel vu mon itinéraire politique depuis cinquante ans. Or il ne suffit pas de se lamenter, il faut comprendre cette situation, quitte à déplaire aux socialistes qui se sont reliés à Macron (et à Hollande d’abord) en reniant leurs convictions. Mais pourquoi précisément cette situation, au-delà des analyses superficielles que je lis ici ou là dans des journaux qu’on aurait crus plus intelligents et ouverts à une analyse de fond ?

Sans entrer dans une analyse complète qu’une lecture de mon livre Retour à Marx (Buchet-Chastel) éclairera davantage, je voudrais en indiquer la ligne directrice que beaucoup ne veulent pas voir ou sont incapables de voir. Le fond de cette histoire, qu’on ne veut pas saisir, se trouve dans l’échec du système soviétique à la fin du 20ème siècle que l’on n’a massivement pas compris. On y a décelé une fin du communisme et donc d’une alternative crédible au capitalisme, avec tous ses drames actuels : celui-ci, dit-on, ayant échoué sur bien des plans comme la démocratie politique et culturelle, le social pour une large (une part seulement) et surtout sur le plan économique, cela en était fini de son idée même et donc de l’espérance qu’il pouvait représenter pour les peuples du monde entier. D’où un renoncement à ses bases et un retour en arrière à un (néo)libéralisme délirant et ravageur, qui a envahi les pays occidentaux, « ex-pays de l’Est » compris. Avec des conséquences comme une régression socio-poltique dramatique dans ces derniers pays, y compris sur le plan de la démocratie laïque et irréligieuse – pays qui donnent alors l’impression d’avoir perdu au change et de flirter parfois avec des tendances fascisantes. Comme antitotalitarisme supposé, on peut faire mieux !

Mais il y a tout aussi grave, et qui touche nos pays occidentaux : une régression sociale avec une paupérisation des classes populaires et moyennes qu’on croyait impossible (le journal Le Monde diplomatique en a très bien parlé il y a deux-trois ans) et, tout autant et insidieusement, une conversion à l’idéologie libérale de nos « élites », y compris d’une large partie de celles que se disaient socialistes jusque-là et qui ont adhéré à la vision individualiste de Macron (voir son livre-programme Révolution qui est inspiré, sans le dire, par les idées du théoricien Hayek qui n’a pas un mot sur l’organisation en classes de nos sociétés et les injustices qu’elle engendre).

Or le drame réside en ce point précis : l’assimilation totalement a-critique de ce qui s’est passé dans l’expérience soviétique au  communisme tel que seul Marx l’a pensé et fondé, fait croire à la majeure partie de la « classe politique » (communistes exceptés) que celui-ci est définitivement mort. Or c’est là une énorme erreur intellectuelle et politique si l’on a bien compris, après l’avoir lu et assimilé sans  a priori, bien entendu, et ce pour deux raisons, dans l’ordre : 1 Le communisme consiste en un épanouissement complet et libre de tous les hommes, dans le respects mutuel de chacun par chacun, qui suppose la démocratie politique, abîmée considérablement par le capitalisme (sauf sous son aspect purement formel), l’égalité et la liberté dans un travail mis au service de l’humain et non du profit mercantile et, enfin, la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme liée à la propriété privée de l’économie, base de tout le reste. 2 Cela n’a de sens, thèse ultime et essentielle, toujours occultée, que sur la base du capitalisme développé, c’est-à-dire en Occident, avec une masse de travailleurs liés à la grande industrie, exploités directement ou  indirectement (les techniciens, ingénieurs, cadres, etc. en font partie structurellement). Ce point essentiel était déjà énoncé dans le Manifeste et il est repris magistralement dans la préface de 1859 à la Critique de l’économie politique. Or ce qu’il faut comprendre c’est que ces bases matérielles, économiques mais aussi sociales, étaient absentes de la Russie lorsque Lénine a tenté d’y faire sa révolution à visée communiste et cela la vouait, sur le long terme, à l’échec. Et quand, à la fin de sa vie, Marx a envisagé ce qui pourrait se passer dans un pareil pays sous-développé, il a seulement affirmé, avec sa lucidité habituelle, qu’une révolution communiste pourrait s’y déclencher, mais ne pourrait y réussir qu’avec l’appui d’une révolution « classique » en Europe… qui n’eut pas lieu.

Conséquence politique essentielle : le projet dit « communiste » n’a tenté de se réaliser que dans des condition économiques et sociales qui le rendaient impossible et le vouaient à l’échec, à tous ses niveaux. Le communisme n’est donc pas mort puisqu’il n’a vécu nulle part conformément à son concept véritable. Et c’est parce que beaucoup n’ont pas compris cette idée qu’ils y ont renoncé lamentablement, faute d’intelligence ou de courage.

On comprend alors le désarroi qui a agité et agite une grande partie de l’intelligentsia de gauche, non seulement socialiste mais d’extrême-gauhe : je pense à Badiou malgré sa rhétorique enflammée, peu rigoureuse et changeante (voir son adhésion aux pires excès du volontarisme maoïste) ou aux revirements lamentables d’un membre de l’ex-extrême gauchiste Onfray… et j’en passe. Leur méconnaissance de ce que je viens d’exposer brièvement les plonge dans un vide idéologique et intellectuel qui peut accueillir toutes les dérives : anarchiste, individualiste, nationaliste, identitariste et tout cela sur fond d’adhésion au libéralisme économique dans lequel sombre notre société, ici ou ailleurs (sauf en Chine, malgré ses défauts). Et ce vide a empli (si je puis dire) la classe politique « de gauche » dans sa grande majorité, comme jamais : elle ne sait plus où elle va et ce qu’elle veut après des année où elle croyait encore en elle ou en quelque chose pour le » bien commun », visée  qui lui était consubstantielle.

Une seule exception : ce qui se passe aujourd’hui – je dis bien aujourd’hui ou depuis quelque temps –  chez nombre d’intellectuels qui continue à se réclamer du « marxisme de Marx », tout simplement parce qu’ils l’ont compris et que, l’ayant compris, ils ne craignent pas de le proposer comme solution d’ensemble aux maux de notre « société » ou, mieux, de notre « civilisation » capitaliste comme la désigne, dans son livre posthume, ce très grand penseur qu’aura été Lucien Sève, passé sous silence, c’est-à- dire censuré, comme il se doit par la plupart des médias, au profit de quelques esprits sans intérêt. Si on l’avait écouté davantage, y compris dans son camp, et si on se mettait à le relire, lui et ceux qui en sont proches, on trouverait de quoi alimenter un nouveau projet, anti-capitaliste, à l’échelle de l’humanité et loin des misérables ambitions personnelles qui animent nos politiciens.

                                          Yvon Quiniou, philosophe « marxien ».

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