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Billet de blog 17 mai 2025

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Lire à nouveau Danielle Sallenave: L'églantine et le muguet!

Dans ce livre étonnant et beau, Sallenave part à la recherche de son passé lointain, d'une manière originale. Elle va le retrouver en voiture dans la région d'Angers où elle a vécu et elle l'évoque sur plusieurs plans: personnel, historique et réflexif, en mettant en avant des aspirations normatives, issues de la République mais destinées à être réalisées concrètement, donc socialement.

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                                         Lire à nouveau Danièle Sallenave : L’églantine et le muguet ! 

J’ai déjà parlé ici de Danièle Sallenave pour son livre La splendide promesse. Or je reviens à elle pour un livre antérieur, L’églantine et le muguet (2018), qui a suscité en moi une admiration comparable - oui, je dis bien une admiration - mais tout autant une adhésion unique en son genre, au moins dans ma vie intellectuelle : un accord complet sur tous les registres qui m’importent, de la morale à la politique, de l’Universel républicain à sa traduction sociale impérative, mais aussi s’agissant du rôle émancipateur de l’Ecole par l’instruction et l’éducation qu’elle ouvre ! A quoi j’ajoute aussi un rapport lucide au communisme qu’elle appelle (même si on peut en discuter) une utopie en le distinguant subtilement d’un idéal à la fin de son livre, de la manière suivante : « L’idéal est un rêve alors que l’utopie est un projet » (p. 598).

Certes, une grande partie de ces convictions normatives que je partage et qui font d’elle, j’ose le dire, une « âme-sœur » réconfortante dans un univers idéologique actuel qui « part en lambeaux » et me déprime, sont présentes encore plus explicitement dans l’autre ouvrage indiqué, et c’est pourquoi je ne vais pas les exposer davantage ou dans leur détail politique se rapportant à notre époque. Par contre, s’il faut lire ce livre c’est non seulement parce qu’on les y retrouve sous une forme inédite à propos du passé, mais, surtout, à cause de son agencement littéraire qui en fait une entreprise originale, totalement spécifique. Car il s’agit bien ici d’un récit personnel, d’une autobiographie si l’on veut, mais organisé sous deux angles qui se répètent ou se succèdent alternativement.

1 Sallenave se penche en priorité sur son passé familial d’enfant unique, dont les parents étaient instituteurs dans un village près d’Angers. Ils l’ont adorée et elle les a adorés en toute simplicité, si j’ose dire, car l’expression de cette affection réciproque ne verse jamais dans le sentimentalisme : elle est réelle et admirative pour leurs qualités personnelles, y compris d’enseignants, mais retenue, ce qui la rend d’autant plus émouvante. Mais tout autant, il y a l’évocation de cette région dont la mémoire émue reste en elle jusqu’à son accès au lycée d’Angers : elle va la réveiller en s’y rendant à plus de 70 ans pour la redécouvrir en voiture un mois de janvier, avec son froid, sa pluie ou sa neige et les difficultés inattendues, souvent, pour la retrouver ici ou là. Le récit est, si l’on veut, romanesque, mais avec une qualité d’écriture faite de clarté, de précision et de limpidité, y compris quand elle évoque avec une grande délicatesse sensorielle tout ce qu’elle perçoit : on en est constamment captivé !

2 Mais il y a l’autre angle, très différent : c’est celui d’un récit historique où elle nous fait découvrir, par ses multiples déplacements, des lieux qui l’ont marquée - paysages, vie à la campagne et, surtout, maisons, demeures aristocratiques, places, églises, monuments qui reflètent un passé à la fois présent et disparu - les amateurs d’histoire seront comblés. Or ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces (re)découvertes ne sont pas seulement l’occasion d’une évocation historique factuelle ou positive - ce qu’elles sont aussi, avec une précision étonnante - mais celle d’une histoire réflexive dans laquelle l’intellectuelle engagée qu’elle est s’exprime sans retenue sur la base de ses valeurs. C’est ainsi qu’on la voit se réclamer en permanence de son idéal républicain pour dénoncer dans ces vestiges du passé qu’elle redécouvre, le poids d’une injustice politico-sociale issue de l’Ancien régime et, tout autant, celui d’une religion funeste dont elle rappelle avec insistance à quel point elle a été une source d’aliénation idéologique issue de l’aliénation réelle et qui la renforçait en la compensant dans l’imaginaire et en la masquant, ce faisant : c’était bien « l’opium du peuple », elle ose le dire ! Elle peut alors, et l’on retrouve son histoire personnelle, insister douloureusement sur le poids du « religieux » dans l’Anjou jusqu’à aujourd’hui, et auquel ses parents n’ont cessé de vouloir s’opposer par ce qu’elle appelle l’instruction-éducation : c’était leur combat pour les Lumières, à leur niveau, et elle le maintient contre un pédagogisme « libertaire » qu’elle trouve insuffisant culturellement comme socialement Cette réflexivité critique l’entraîne aussi, d’une manière très subtile, à s’interroger sur la permanence actuelle d’une religiosité dangereuse sous l’apparence de la régression de la pratique religieuse (voir ce qui a lieu dans bien d’autres pays qui virent à droite ou à l’extrême-droite) ; et l’on comprendra aussi qu’elle n’hésite pas à élargir son propos à ce qui se passe du côté de l’islam et, surtout, du coté de l’islamisme, tout en refusant l’islamophobie et son ignorance des conditions sociales faites aux immigrés, qui le produisent aussi.

Je pourrais m’arrêter là dans ce compte-rendu inévitablement bref. Sauf que j’ajouterai qu’à cette double histoire, factuelle et positive, s’en ajoute une troisième, qu’on aura sans doute devinée : une histoire humaine. J’entends par là que la description de sa région, fut-elle rétrospective, et de ceux qui y vivent ou y ont vécu, introduit ou révèle toujours chez elle un sens, positif ou négatif, dans la vie des êtres humains (on est loin d’une sociologie historique purement empirique, nourrie de statistiques, même s’il en faut), et cela à la lumière des valeurs républicaines qu’elle met au premier plan sous l’héritage de ses parents. Car elle rappelle justement que « l’objet des institutions c’est d’organiser la vie en société non pas seulement selon des règles et des lois, mais selon des principes et des habitudes » (p. 361). C’est pourquoi la vie humaine réellement présente dans l’histoire doit être examinée du point de vue des valeurs universalistes que la république nous a léguées, quitte à dénoncer ce qui les bafoue comme le consumérisme d’aujourd’hui, subordonné aux intérêts du capitalisme : elle nous en donne un exemple ahurissant dans sa propre région actuellement, à travers l’installation d’un centre commercial géant qui abîme à la fois la nature et les humains d’alentour en les médiocrisant dans une existence bornée.

Ce qui résumera, selon moi, les aspirations morales - je dis bien « morales » contre une modernité philosophique débile portée à les nier -  qui animent décidément ce livre et sa vie littéraire plus large, c’est une formule de Jaurès qui disait que le socialisme est habité par la valorisation de la vie, mise à la disposition de tous, en intensité et en qualité. C’était déjà un propos digne d’en faire, par anticipation ou rétrospection, ce qu’elle appelle un « églantinart, compliment fondamental pour elle !

                                                       Yvon Quiniou 

Danièle Sallenave, L’églantine et le muguet, Gallimard.

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