Intérêt et limite de la critique écologique de B. David
Bruno David, paléontologue et biologiste connu, président du Muséum d‘histoire naturelle, ancien chercheur au CNRS, vient de publier un livre, Le jour où j’ai compris (Grasset), plutôt remarquable par sa manière pédagogique de rédiger une forme de pamphlet contre la crise écologique… mais dont je soulignerai la limite finale.
L’intérêt d’abord. Il tient à la façon dont il présente sa critique de notre situation écologique dramatique, à savoir à travers son itinéraire personnel depuis son enfance, qui lui a fait prendre peu à peu conscience de ce qui nous arrivait en matière de crise écologique, dont il a eu donc une conscience précoce, quoique progressive, en même temps qu’il en signalait l’inconscience collective irresponsable et insupportable. Il a pu y accéder grâce à son milieu familial, puis ses études scientifiques, ce qui lui permet d’exposer son procès d’une manière vivante, à travers un récit et ses étapes, tout en nous fournissant une information remarquable de précision, même nuancée, sur les symptômes de cette crise. Je n’en reprendrai pas tous les attendus, mais je signale au moins, et sans les chiffres détaillés qu’il donne : le réchauffement climatique à travers des périodes successives, mais qui devient terriblement menaçant pour la vie humaine et pour nos côtes maritimes, la pollution des terres et des eaux (rivières, mers), l’atteinte du coup à la biodiversité et à la nature, donc à l’homme qui en est une partie, et à la santé des espèces en son sein etc. ! Les données statistiques qu’il nous fournit en tant que spécialiste, avec une grande clarté et une grande précision, surprendront le lecteur et l’effraieront, hélas… ou heureusement si elles l’amènent à réagir.
Mais il y aussi l’acte d’accusation que contient ce diagnostic et c’est ici que la chose se complique selon moi, car il est à deux faces. La première consiste à accuser les industriels coupables de la pollution, en particulier, et qui ne veulent pas en entendre parler ou croire qu’ils en sont les agents. Ainsi de ce responsable d’entreprise à Lyon, diffusant des gaz nocifs et qui refuse d’y voir une pollution puisque, déclare-t-il, « ici nous avons le vent » qui disperserait tout cela , sans se soucier de savoir où elle est transférée ! Or le nombre de cas concrets semblables est proprement ahurissant et scandaleux et il s’accompagne d’une inconscience ou d’une dénégation tout aussi ahurissante et scandaleuse.
La seconde face de son procès est plus compliquée et pour une part décevante car elle touche à la politique, sans vraiment le dire. Bruno David est très clair et intransigeant dans sa dénonciation des symptômes de cette crise et il l’appuie sur une indignation morale eu éthique, faisant en quelque sorte appel à des « actes vertueux » pour lutter contre elle. Sauf que ceux-ci se limitent à lutter contre une consommation outrancière liée à nos modes de vie suscités par notre société et qui induisent une dépense d’énergie considérable dans toute une série de domaines, y compris ceux des techniques d’écriture, de communication ou de divertissement qui peuvent pourtant enrichir notre vie quotidienne. D’où de sa part, la formulation impérative d’une moindre consommation, donc d’une sobriété au jour le jour dans de nombreux domaines de notre existence concrète, ce qui responsabilise (dans l’accusation et les remèdes) essentiellement les individus, dans le sens même que préconise notre gouvernement. Or il oublie alors que les symptômes sont des effets qui ont une cause, à savoir le capitalisme dans sa logique productiviste et marchande, en même temps que mondialisée. Je ne développe pas davantage, l’ayant fait en particulier dans mon livre L’inquiétante tentation de la démesure, mais la logique du profit, étendue à l’échelle mondiale consommatrice d’une énergie folle, est la cause ultime de tout cela. Et ce qui est curieux c’est que tous les faits individuels dont les capitalistes sont bien les auteurs, sont biens désignés, mais leur signification capitaliste demeure implicite et n’est jamais nommée comme telle. Pourquoi cette timidité ? L’engagement politique assumé lui ferait-il peur ? Car il faut se le dire une fois de plus : être écologiste c’est être anti-capitaliste ou, comme je le dis souvent « Green is red » !
C’est la seule réserve, mais importante, que l’on peut faire devant ce livre limpide… mais incomplet. Il faut entendre cette réserve avant qu’il ne soit trop tard pour en tenir compte ! Il en va de notre humanité à venir.
Yvon Quiniou
NB : Bruno David, Le jour où j’ai compris, Grasset, 2023.