Il faut absolument appréhender critiquement la conférence de presse de F. Hollande et ne pas se laisser avoir par son aisance rhétorique.
De l'aisance rhétorique il en a, incontestablement, humour compris (comme si c'était l'heure d'en avoir). Mais décortiquons un peu sa prestation de bon(i)menteur, qui attire les foules sur un marché pour leur vendre une marchandise sans qualité. Quelques points seulement.
1 Sa présentation liminaire m'a été insupportable: une présentation catastrophique de la situation mondiale, qui n'est pas fausse, mais qui consiste à botter en touche en oubliant la France... dont il n'a cessé de faire l'apologie dans un style néo-nationliste surprenant. Se prendrait-il pour de Gaulle?. Procédé classique en tout cas d'un président en difficulté, qui tente de redorer son blason sur le plan international : détourner l'attention de la situation intérieure, où on l'attend, pour annoncer des décisions guerrières assaisonnées de discours humanitaires sans grandes conséquences. La guerre donc, comme substitut de la paix intérieure!
2 Sur ce même plan, quelle scandaleuse indifférence aux crimes perpétrés par Israël sur la bande de Gaza! Certes, on peut crier "mort aux juifs en France" et il faut le dénoncer. Mais les morts effectives, elles, sont majortitairement palestiniennes et ce n'est pas le moment de renouveler son appui à Israël... sauf à lorgner vers l'électorat juif en vue de 2017! Quelle pauvreté de réaction humaine de sa part dans ce domaine! L'absence d'indignation forte, dans ce cas, est elle-même moralement indigne.
3 Sa politique économique? L'affirmation d'une démarche néo-libérale confirméee qui nous mène à l'échec : son succès, comme l'horizon, recule au fûr et à mesure que l'on avance, et il en réaffirme l'éventuelle réussite comme un âne qui se lance dans le vide et remue des pattes pour faire croire qu'il avance.Il fait preuve ainsi d'un aveuglement et d'un autisme ahurissants, ignorant tous les diagnostics d'économistes internationaux, prix nobel compris, ou d'économistes français plus proches de lui dans l'espace et très nombreux, qui lui disent que la politique de l'offre produit l'échec qu'elle est censée éviter! Je ne développe pas l'argumentation, elle est connue, et quand il l'évoque un peu, c'est avec un mépris de grand seigneur soit ignorant (auquel cas il faudrait qu'il se renseigne), soit inintelligent (il est vrai qu'il sort de l'ENA, école de formatage et d'abrutissement idéologiques). Car s'il paraît intelligent, ce n'est qu'une apparence: c'est au mieux l'intelligence de quelqu'un et non celle qui saisit les choses dans leur essence, le trait donc d'un esprit brillant qui ne comprend rien à l'origine de la crise que nous connaissons, celle d'un capitalisme transnational qui sacrifie l'intérêt des peuples. En réalité, ce n'est pas de l'intelligence, mais de l'habileté à la fois verbale, technicienne, politique et sophistique.
4 D'où cette stupéfiante indifférence aux intérêts populaires, absents de son discours liminaire alors que leur insatisfaction est au coeur de notre crise politique. Les quelques mots qu'il leur a consacrés, du fait des questions des journalistes, étaient d'une rare indigence et tenaient du jeu de rôle. Non, Hollande, comme ceux qui gouvernent avec lui, ne s'intéresse pas vraiment au peuple et aux plus défavorisés en son sein. Il ignore les classes, leurs luttes et la pauvreté du monde du travail exploité (ce mot a-t-il d'ailleurs un sens pour lui?), et son obsession pour la compétitivité des entreprises (avec les mesures qui leur consacre) cache mal son empathie ou sa sympathie pour le monde la finance : eux, au moins, ils ont les dents saines, blanches et reluisantes! Affaire à nouveau de formation et de formatage idéologiques, sur fond d'intérêts partagés.
5 D'où aussi cet étonnant et incohérent aveu d'impuissance par rapport à la montée du danger Le Pen : oui nous en sommes responsables, d'un côté (cela a le mérite de la lucidité) ; et, de l'autre, nous allons continuer plus que jamais dans cette politique qui a produit ce danger : comprenne qui pourra! Moi, je ne comprends pas. Sauf à imaginer qu'il en en joue électoralement!
6 Enfin, il y a un double déni de démocratie. D'une part cet oubli délibéré des forces de gauche qui l'ont fait élire, à savoir d'abord le Front de gauche (4 million d'électeurs) et les écologistes aussi, dont il ne dit mot et dont il sacrifie les aspirations. Au fait : pourquoi aucun journaliste ne lui a-t-il posé une question à ce sujet? La démocratie aurait-elle disparu des valeurs de la France dont il se réclame tant avec emphase? D'où aussi ce chantage à la dissolution proprement insupportable : un refus du parlement de soutenir sa politique actuelle pourrait très bien avoir pour conséquence la constitution d'une nouvelle majorité avec les forces politiques existantes : une large partie du PS, le Front de gauche, les Verts .Cela aurait au moins le mérite de rendre possible une présence de la gauche au second tour de la présidentielle de 2017 et, peut-être, d'empêcher le FN d'arriver au pouvoir. Autre déni de démocratie : Hollande fait le contraire de ce qu'il avait promis de faire durant sa campagne électorale et il le fait sans avoir consulté son parti. Il se conduit en monarque républicain, refusant la démocratie parlementaire.
7 Conséquence qu'on doit malheureusement tirer de tout cela : quand Hollande affirme ne penser qu'à l'intérêt de la France, j'ose dire qu'il ment. Dans des conditions politiques données où le libéralisme est dominant chez la plupart de nos élites depuis la chute du mur de Berlin, les convictions idéologiques soutenues par la morale ont largement disparu. Seul le pouvoir intéresse la plupart des hommes politiques, dépourvus qu'ils sont de la moindre vision généreuse et collective de leur action, cette vision qui était encore présente au 19ème siècle dans le mouvement socialiste et, au 20ème siècle, chez un Jaurès ou certains dirigeants communistes. Hollande est dans cette dérive, où la morale n'est présente ni dans les fins que l'on poursuit (la justice sociale, prioritairement) ni dans les moyens que l'on emploie (fairece que l'on a dit qu'on ferait, ne pas mentir). Tout cela nourrit un scepticisme généralisé à l'égard de la politique, dont l'abstention est le signe irrécusable et qui peut nourrir la tentation d'un vote d'extrême-droite totalement mystificateur puisque l'extrême-droite sera la première à incarner, au-delà de ses discours de façade, l'immoralité en politique. Oui, il nous faut impérativement changer la pratique de la politique, la ressourcer dans les valeurs universelles de la morale, hors de tout moralisme, et en rejetant les boniments et les postures qui ne trompent plus personne. Comme le disait Rousseau, mais il parlait d'une politique idéale: "Ceux qui veulent séparer la morale et la politique n'entendront rien ni à l'une ni à l'autre". Et j'ajoute: ils feront le malheur du peuple et, peut-être, leur propre malheur. Mais Hollande lit-il Rouseau?