J’ai signé avec beaucoup de militants, de responsables politiques et d’intellectuels, la pétition « Ensemble » résolument engagée à « la gauche de la gauche » pour la présidentielle, présente ici même sur Mediapart et publiée par L’Humanité récemment. Je l’ai fait sans problème, vu la qualité de l’analyse globale de l’état de la gauche qui y est faite, entre divergences réelles et convergences indispensables, y compris s’agissant du cadre international et spécialement européen (Grèce, Espagne, Portugal) où une demande anti-capitaliste se fait de plus en plus sentir. Reste à analyser lucidement la situation française, plus compliquée qu’il n’y paraît.
1 Nous allons sans doute à la défaite, même s’il faut tout faire pour que le contraire se produise : ce n’est pas du renoncement que de le dire, mais seulement faire preuve de lucidité face à la montée du Front national dans la population frappée par la crise. La responsabilité exclusive en incombe au PS : il aura fait, au gouvernement, le contraire de ce pour quoi on l’aura élu : une politique libérale et non « social-démocrate comme le prétend mensongèrement Hollande dans son récent entretien avec Gauchet, favorable au Capital et défavorable aux classes populaires et moyennes, tournant le dos à ses promesses électorales et réussissant à détruire toutes les postions de pouvoir que la gauche avait acquises depuis au moins une décade. A quoi j’ajouterai le plus grave, si j’ose dire : il aura abîmé l’idée même de gauche – au point de discréditer, par ricochet, ceux qui s’en réclament authentiquement à sa gauche, favorisant ainsi le vote d’extrême-droite que j’ai indiqué – et, plus grave, encore, l’idée même de politique, à savoir celle que les hommes ont un pouvoir sur l’économie par leur volonté collective et que la politique n’est pas là pour accompagner ses évolutions, surtout quand elles sont inhumaines, mais pour les maîtriser et les transformer.
2 Dans ce cadre, il faut tout faire pour réunir toutes les bonnes volontés progressistes se réclamant d’une authentique gauche, démocratique, anti-capitaliste et écologique à la présidentielle de 2017, au moins pour préparer ce qui suivra. Il se trouve que, actuellement, la candidature de Mélenchon fait, comme il a été dit, partie « du paysage politique », sondages à l’appui, et qu’elle peut rassembler beaucoup de voix au premier tour, bien devant Hollande qui va à la catastrophe annoncée, largement méritée. C’est pourquoi il faudra sans doute la soutenir, faute d’une candidature franchement communiste que j’aurais souhaitée - je le dis tel quel.
3 Sans doute, ai-je dit, conformément à la pétition que j’ai signée. Mais avec une double réserve, suite à l’autre pétition que L’Humanité a publiée le même jour et que j’ai lue avec intérêt. Car on ne saurait passer sous silence, d’abord, le fait que Mélenchon s’est auto-déclaré candidat dans une démarche autocratique en complète contradiction avec son objectif d’une 6ème République, elle démocratique ! Il faudrait savoir si ce que l’on fait est en cohérence avec ce que l’on veut ou prétend vouloir ! Et surtout, il ne faudrait pas que cette candidature ait pour objectif secret d’affaiblir le PCF. Car on peut très bien imaginer que le Parti de gauche, qui n’a aucun élu parlementaire (soyons clair), veuille échanger la participation visible des communistes à sa campagne contre des élus aux législatives qui suivront et qui seront décisives pour l’avenir de la gauche, face à la droite au pouvoir qui pourrait très bien avoir une opposition forte contre elle. Vu son refus d’alliances locales avec des socialistes « de gauche », ce serait vouer le PC à un grave déclin, mortifère pour lui. Je refuse cela pour une raison simple, mais essentielle : même si l’on n’est pas d’accord avec lui sur tout (c’est mon cas s’agissant de la question religieuse), il demeure l’axe incontournable d’une transformation digne de ce nom de notre société capitaliste actuelle, pour diverses raisons. Il demeure le 3ème parti de France avec ses élus de divers ordres, il a une tradition marxiste, elle aussi incontournable (même s’il doit la renouveler pour une part et, d’abord, la maintenir fermement), et tout un réseau de revues qui contribuent à perpétuer une culture révolutionnaire ou, si l’on préfère, émancipatrice en France. Je m’adresse alors directement à Mélenchon : est-ce cela que tu veux voir disparaître ? Tu n’y as même pas intérêt, à titre personnel ! Et surtout, le peuple de France, celui des exploités et des dominés dont tu te réclames, en paierait un prix énorme. Si ce n’est pas le cas et si ton souci du pouvoir n’est pas en jeu, dans ce « bordel » d’intérêts individuels qu’est en majorité le monde politique aujourd’hui, alors oui je te soutiendrai. Mais confirme-moi que cela est bien ton intention : porte-parole d’un combat en courageant pour la présidentielle, mais pas plus : tu dois représenter ceux qui t’auront élu et non te substituer à eux, discuter donc avec eux d’une plate forme politique commune. Car là est l’essentiel : le contenu de notre projet, élaboré « ensemble » !
Yvon Quiniou, philosophe.