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Billet de blog 20 avril 2024

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Découvrir Michel Ragon

Michel Ragon est un vendéen d'origine modeste, mais qui s'est révélé un romancier de talent. Son livre "La mémoire des vaincus" est un grand livre, surprenant par son contenu politique libertaire, séduit par la Révolution d'Octobre, engagé dans la guerre d'Espagne et connu ensuite pour ses idées. On y trouvera aussi sa passion pour l'amour et un étonnant dénouement sur la conception du livre.

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                                       Découvrir Michel Ragon

Un hommage rendu à Michel Ragon en Vendée - Ragon était vendéen - à travers une belle exposition sur ce qu’il a été, m’a permis de mieux découvrir sa littérature en lisant La mémoire des vaincus. Or je le dis tout net : c’est là un grand livre, sinon un chef-d’œuvre, à la fois par son sujet et par la manière, très originale, dont il est conçu.

Le sujet, d’abord : au moyen d’un biais littéraire dont je parlerai après, il évoque l’aventure, dès le début du 20ème siècle, d’un jeune homme d’origine modeste, puis d’un homme, qui va s’engager dans la politique avec une ferveur rare et sur une base étonnante, que les critiques ne soulignent pas assez. Quoique pauvre et simple, mais brillant ouvrier ajusteur, il est en effet séduit par l’option libertaire et celle-ci va l’entraîner curieusement à prendre parti pour la révolution bolchevique, qui n’était pas spécialement d’orientation anarchiste. Mais en se rapprochant intellectuellement du marxisme et du communisme, il manifeste une visée du bien en faveur de l’homme (des hommes) qui est profondément la sienne et qui l’habitera toute sa vie, avec ses multiples engagements politiques circonstanciels.

On le voit donc appuyer le révolution léniniste, avec ses contradictions, en allant à Moscou et même y jouer un rôle important au point de devenir célèbre. Mais ces mêmes contradictions marquées par l’autoritarisme et la présence virtuelle de Staline, l’en détacheront (je n’entre pas dans les détails) et sa vie, avec ses convictions progressistes, l’emportera ailleurs. Je ne vais pas tout décrire, mais on le trouvera en Espagne dans la guerre contre Franco, il reviendra en France pour diriger brillamment une revue libertaire dont il contribue à la réputation, au point d’être sollicité par des dirigeants de gauche (comme Blum), puis d’autres après la guerre et son enfermement en prison, et de fréquenter des écrivains connus comme Romain Roland ou Barbusse. Il en parle d’une manière courageuse en critiquant ce qui a été pour lui et chez beaucoup un suivisme politique à l’égard d’un PCF pro-soviétique, oubliant d’ailleurs la noblesse de la cause qui était la leur. Cela continuera jusqu’à une fin de vie triste où il vendra des livres sur les quais de la Seine, là où il s’était passionné, jeune, pour la lecture auprès d’un « vendeur » tout aussi passionné et engagé que lui, dont il s’était fait un ami et qu’il remplacera ! Il mourra triste et déprimé dans les années soixante-huit, avec les mêmes idées  et trouvant dans Mai 68 comme une ultime consolation idéologique.

Mais le sujet du livre a une autre face à surprises, étonnante, psychologique, et qui en fait aussi le prix pour le lecteur : l’amour, tout simplement, entrelacé subtilement avec sa vie politique. Il connaîtra au moins trois amours, sincères à chaque fois, mais cassés ou interrompus par son existence aventureuse et ses difficultés. Le premier est surprenant, celui très précoce avec une jeune fille qui le fascine par sa beauté et sa sauvagerie et qui l’aime tout autant pour sa beauté à lui… sauf qu’elle n’aime pas son goût pour la politique et la culture ! Reste qu’ils auront un enfant et que son départ pour la Russie arrêtera leur histoire… sans supprimer leurs sentiments, qui resteront enfuis en eux. Et cela malgré une deuxième, puis une troisième histoire amoureuse authentique (ce n’est pas un Don Juan ou un homme infidèle) avec, à nouveau des enfants, dont la dernière le marquera. Il n’empêche, ce fil amoureux dans cette vaste fresque politique en fait le charme, un charme qui vous obsède tout au long du livre et dont je n’ai pas tout dit. Avec même cette dernière anecdote, si l’on peut dire : il retrouve l’enfant de son premier amour en France et, chose  très émouvante, celui-ci épouse ses idées (contre sa mère donc) et se lie d’affection avec son père. Celui en est tout ébahi, d’autant plus qu’une profonde amitié se noue entre eux,qui le remue profondément. Je n’en dis pas plus.

Enfin et par-delà la clarté du style de Ragon, il y a, je l’ai d’emblée indiqué et j’ose à peine en dévoiler le secret, la manière dont ce roman a été organisé. A le lire pratiquement jusqu’à la fin, on a la forte impression que Ragon se projette dans une auto-biographie imaginaire et rétrospective qui lui permet de projeter ce qu’il aurait aimer être et dans laquelle il peut exprimer des tendances profondes de sa personnalité. Or la toute dernière partie du roman arrive, avec une étonnante révélation : l’auteur du livre se présente comme celui a raconté l’histoire de son personnage, en lui empruntant, au surplus, son prénom. Il va le voir, se lie d’amitié avec lui, manifeste sa proximité avec ses idées politiques, va même voir sa première femme pour qui il a aussi une attirance et, enfin, il lui indique qu’il rédige sa biographie ! Et sa sympathie pour lui est si forte qu’il va s’occuper concrètement de lui et l’aider à survivre jusqu’à sa mort, le réconfortant dans ses idées qui ont tendance à l’abandonner. Au point de rendre possible une dernière rencontre avec sa première femme, avant son décès, comme si la mémoire amoureuse l’emportait sur tout et si, elle, n’était pas vaincue.

                                                        Yvon Quiniou

Michel Ragon, La mémoire des vaincus, Albin Michel, Livre de poche.

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