J.-C. Grosse : un intellectuel singulier
Jean-Claude Grosse n’est pas forcément connu des lecteurs de Médiapart, et pourtant il « en fait des choses » : éditeur des Cahiers de l’Egaré, homme de théâtre du côté de Toulon et d’Avignon, animateur culturel municipal, engagé politiquement (il vient de l’extrême gauche qu’il a abandonnée), c’est peut-être avant tout un écrivian-poète qui sort de l’ordinaire par la variété de ses sources d’inspiration. La preuve : son denier livre Et ton livre d’éternité ? dont le titre semble suggérer que c’est par lui, à l’âge qu’il a, qu’il espère peut-être échapper à la mort en laissant de lui une trace indélébile parce que intelligible.
Il n’est pas question de résumer u livre pareil de plus de 600 pages, non seulement à cause de sa taille mais de sa forme fractionnée (qui pourrait faire penser à un journal personnel) sans compter que cela laissera échapper sa forme typographique très particulière, que je laisse le lecteur découvrir. Mais surtout il est impossible d’en reprendre linéairement le contenu qui n’est pas celui d’un récit ou d’une thèse, mais une libre improvisation dans laquelle l’auteur se déguise sous le pseudonyme un peu fantasque de J. –C., ce qui lui permet de multiples variations sur ses penchants littéraires (d’un nombre impressionnant) et sur ses inspirations philosophiques (il fut professeur de philosophie). C’est à celles-ci que je vais consacrer ce qui suit, fût-ce librement et, surtout, d’une manière partielle et forcément partiale.
Je laisse de côté tous les à-côtés de ses analyses, en en rappelant deux essentielles. D’abord sa proximité avec Marcel Conche, qu’on peut considérer comme son maître et dont une réunion de quelques œuvres va paraître dans la collection « Bouquins » chez Robert Laffont. Comme lui, il adhère à l’idée de Nature (avec une majuscule), à savoir à l’existence d’une réalité naturelle infinie dont on ne saurait décider théoriquement et dogmatiquement de l’origine ultime, ce qui en fait lui aussi un athée, mais un athée pratiquant le « scepticisme à l’égard d’autrui » faute de preuves en faveur de sa position. Cela explique sans doute le refus affiché ne pas s’en prendre aux religions, contrairement à moi et sauf lorsqu’elles sont dogmatiques et meurtrières (voir le drame de Charlie à l’égard duquel il est intraitable) – même si Grosse a pu le faire dans sa jeunesse de militant d’extrême-gauche. Mais tout autant, et c’est le deuxième point, il a une forme d’admiration quasi-mystique pour cette même Nature, sur fond de références religieuses (mais de références seulement) empruntées en particulier à sa culture orientale (comme Conche au demeurant). Cela explique sans doute, chez lui aussi, le spiritualisme, l’affirmation d’une esprit libre et non matériel – ce qui semblerait aussi le contraire de ce qu’impose la science moderne issue de Darwin – en même temps que son attirance pour des psychothérapies qui n’empruntent rien à Freud (récusé par Conche lui aussi).
Mais cela, qui intéresse le philosophe que je suis, ne saurait faire oublier tous ses centres d’intérêt qu’il évoque par ailleurs, subtilement et de façon originale et qu’il me faudra lire dans le détail : son amour de l’amour (il a perdu sa femme très tôt, qu’il adorait), sa vie personnelle avec le sens qu’il peut donner à chacun de ses évènements; son goût pour le corps même s’il reste pudique dans son évocation, mais sans pudibonderie (même quand il parle de l’acte sexuel), ses riches analyses du monde contemporain, intraitables même s’il commence à se lasser de celui-ci et à en désespérer (ce qui peut se comprendre), son refus de la violence, etc., tout cela s’enracinant dans une référence morale, cette morale dont nombre de nos contemporains n’ont que faire. Et qu’il faut remettre au premier plan, spécialement en politique si on ne veut pas aller à la catastrophe
Je ne peux en dire plus et je sacrifie sans doute nombre d’aspects disons subjectifs, et même poétiques, de ce livre. Je laisse le lecteur découvrir les chemins originaux de cet ouvrage foisonnant, même si c’est en l’absence d’éternité quant à eux !
Yvon Quiniou
- NB. Jean-Claude Grosse, Et ton livre d’éternité ?, Les Cahiers de l’Egaré.