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Billet de blog 22 février 2025

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Quel combat antiraciste mener?

Quel combat antitraciste, donc, mener aujord'hui, dans une conjoncture nationale, mais aussi mondiale, qui l'impose? Florian Gulli nous en offre une analyse impeccable, distinguant un antiracisme moral et élitiste, mais inopérant, un autre plus politque, mais inefficace, négligeant sa dimenson sociale. Il propose un antiracisme d'inspiration socialiste, seul à même d'être opérant.

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                                          Quel combat antiraciste mener ?

La question du racisme et donc du combat à mener contre lui, se pose dramatiquement aujourd’hui vu l’aggravation des violences racistes un peu partout dans le monde et aussi en France, fussent-elle déguisées en violences culturelles ou religieuses (ce qu’elles sont aussi). D’où le grand intérêt du livre de Florian Gulli, L’antiracisme trahi, paru il y a déjà plus de deux ans et dont la presse nationale a parlé (sauf Le Monde !) vu sa grande qualité explicative et malgré l’engagement marxiste de son auteur, engagement qui rebute souvent les médias ces temps-ci !

Or ce que je vais en dire (tardivement, je l’avoue) ne pourra se faire sous la forme d’une analyse détaillée complète tant l’ouvrage est riche et volumineux - d’autant qu’une interview de l’auteur et d’une sociologue est parue sur ce site, qui complètera ma présentation. Je me contenterai donc d’en livrer l’axe intellectuel essentiel, pour inciter à le lire. Gulli commence par indiquer qu’il y a deux antiracismes. L’un est moral, nourri de bons sentiments (ce qui n’est pas tout à fait rien, malgré tout), demandant de ne pas avoir peur de l’Autre sous prétexte de la couleur de sa peau, que la notion de « race » substantifie et naturalise alors qu’elle n’a pas de sens scientifique désormais (mais on y croyait autrefois, d’où le terme maintenu de « racisme »). Sauf que cet antiracisme s’en tient là, au refus public d’attitudes ou de comportements interindividuels condamnables moralement, sans changer quoi que ce soit à l’ordre des choses au sein d’une société économiquement libérale ou néolibérale (voir la référence qui est faite sur ce point à l’intellectuelle américaine Nancy Frazer) et donc sans abolir l’injustice effective de cet ordre social et, tout autant, ce qui en lui peut entretenir le racisme par divers canaux. A quoi on ajoutera que, précisément, ce régime économique ne s’en prend en rien à l’inégalité des classes sociales dans lesquelles les victimes du racisme sont plongées. Mieux ou pire : les élites au pouvoir favorisent l’accès dans leur champ social dès lors que ces victimes peuvent, par leurs qualités intellectuelles propres, enrichir leur pouvoir et leur capital économique : la classe dirigeante contribue ainsi, par intérêt, à les faire entrer dans ses élites, sans plus !

Il faut donc lui opposer, dans un premier temps, un antiracisme politique et antiélitiste comme, apparemment, celui-ci semble vouloir le faire et, aux Etats-Unis, ce fut le cas de l’antiracisme des démocrates. Or, comme dans l’autre antiracisme pour une part, l’accent est surtout mis sur la cause historique du racisme, à savoir aux Etats-Unis à nouveau, l’arriéré historique de l’esclavages des noirs, sans tenir compte de la dynamique capitaliste présente avec ses effets négatifs sur les rapports interhumains. Je cite : pour ces deux antiracismes « La situation des Non-Blancs  s’explique centralement sinon exclusivement par le racisme passé » et, du coup, ils « partagent une tendance marquée à privilégier la catégorie de « race » et à refouler partiellement ou totalement l’idée de classe sociale ». C’est dire alors que ces deux « antiracismes » sont bien, tout autant, politiques, favorisant sans le dire l’ordre ou plutôt le désordre capitaliste et refoulant dès lors l’option d’un refus du capitalisme qui est, au contraire à la base d’un antiracisme socialiste. Le livre nous en donne une définition et analyse fouillées  et j’y renvoie dans le détail. Mais j’en rappelle deux idées essentielles selon moi (sans compter tout ce qui est dit des bases idéologiques des deux autres antiracismes), deux idées dont la sélection pourra paraître arbitraire, mais c’est la mienne :

1 Le dépassement, par le socialisme, des clivages au sein de la population, qu’elle soit nationale ou mondiale. Et ce par la propriété largement collective des moyens de production, laquelle supprime la division entre exploiteurs et exploités et les divisons au sein du peuple que le capitalisme s’efforce d’entretenir pour empêcher la solidarité de tous ceux qui travaillent, des ouvriers aux employés, techniciens, ingénieurs ou même cadres aujourd’hui  (je n’insiste pas). Mais aussi, donc, par l’objectif d’un monde international non soumis à un impérialisme quelconque, avec ses divisions et son oppression de nations qui nourrissent aussi les hostilités racistes, de plusieurs manières !

2 L’éducation socialiste à l’antiracisme. C’est là, selon moi, un point essentiel, tant j’ai pu constater, en tant qu’enseignant, à quel point il y a un travail culturel décisif à mener sur bien des plans, tant la culture transmise à l’Ecole est soit quantitativement insuffisante pour beaucoup, soit qualitativement insuffisante en elle-même, imprégnée qu’elle est de multiples préjugés idéologiques que les médias dominants, extérieurs à l’Ecole, véhiculent encore plus. Et j’ajoute que, s’agissant de la perspective socialiste avec tous ses soubassements intellectuels, l’Université n’échappe pas à cette critique - je peux en témoigner - malgré un retour du marxisme, dans la dernière période, que le livre sous-estime un peu, me semble-t-il.

De ce point de vue, proprement culturel ou idéologique, on sera attentif à ce qui est dit dans un bref passage du livre sur  l’antiracisme et la religion. Car on ne peut éviter cette question tant le racisme peut se nourrir et se nourrit de fait de croyances religieuses largement insupportables qui opposent les religions entre elles (malgré le déni des hommes politiques, tel Macron qui a pu faire officiellement l’éloge de leur union !), transformant leurs différences en une altérité redoutable, emplie de haine, y compris à l’égard des incroyants et fût-elle masquée parfois, aujourd’hui. C’est pourquoi on peut et même on doit critiquer la religion en général (je ne parle pas de la croyance religieuse) en droit, dès lors qu’on admet qu’il faut la tolérer ou la « respecter » de fait, à condition qu’elle-même respecte effectivement les lois républicaines d’un vivre ensemble « libre, égal et fraternel ». On retrouve alors ici l’impératif de  l’Universel, indissolublement moral et politique selon moi, qui anime magnifiquement cet ouvrage.

                                                     Yvon Quiniou

Florian Gulli, L’antiracisme trahi. Défense de l’Universel, PUF, Questions républicaines.

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