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Billet de blog 22 septembre 2015

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Quand Michel Onfray déraille

Décidément on aura tout vu. Voici un intellectuel pour qui j’eus de la sympathie quand il publia son Traité d’athéologie, qui est un bon pédagogue fondant une Université populaire qui a du succès (même si elle n’est pas vraiment « populaire » au sens social de ce terme), qui se revendique d’un socialisme disons autogestionnaire et libertaire à la Proudhon, qui exalte l’individu en permanence… et qui se retrouve brusquement dans les eaux politiques du Front national.

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Décidément on aura tout vu. Voici un intellectuel pour qui j’eus de la sympathie quand il publia son Traité d’athéologie, qui est un bon pédagogue fondant une Université populaire qui a du succès (même si elle n’est pas vraiment « populaire » au sens social de ce terme), qui se revendique d’un socialisme disons autogestionnaire et libertaire à la Proudhon, qui exalte l’individu en permanence… et qui se retrouve brusquement dans les eaux politiques du Front national. Entendons bien : il nie s’apparenter en quoi que ce soit à ce parti, mais il vient à plusieurs reprises d’exprimer des idées qui en sont proches, à la télévision, sur France-Culture et dans Le Monde, après une interview initiale au Figaro qui a déclenché l’affaire. Exemples, dans le désordre, qui parlent d’eux mêmes.

1 Il attaque la gauche classique, y compris celle qui est à la gauche du PS, en lui reprochant de négliger le peuple français au profit d’une attention compassionnelle pour les immigrés. Et dans ce cadre, il a tenu des propos inadmissibles sur la photo de l’enfant mort sur une plage, mettant quasiment en doute son authenticité et suggérant qu’une photo peut se prêter à des manipulations. Etait-ce le moment de suggérer cela ? N’y a-t-il pas des milliers d’enfants immigrés qui meurent noyés sans être photographiés ?

2 Il se revendique d’un souverainisme national qui, s’il n’est pas en soi réactionnaire – la nation au sens politique peut être un espace de liberté et d’indépendance – prend chez lui, malheureusement et ici, une allure très ambiguë puisqu’il propose carrément, à la suite de Jacques Sapir, « un front commun de tous ceux qui s’opposent à l’Europe et à l’euro, affirmant que « l’idée est bonne de fédérer les souverainistes des deux bords » et que « Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon partagent nombre de positions » (cité par Le Monde des 20/21 septembre, p. 10).

3 On le voit alors saluer le fait que le FN est un défenseur de la laïcité, oubliant que chez Marine Le Pen c’est une laïcité à sens unique, anti-islamique et s’appuyant sur un catholicisme intégriste, politiquement rétrograde et très peu laïque par ailleurs (ib.). Et on le voit aussi déclarer que le FN aurait « préempté un certain nombre de questions, comme l’immigration ou l’identité nationale » (ib.). Ce propos n’est pas faux en soi, à nouveau, mais il oublie tout ce qui sépare une pensée de gauche  de celle de l’extrême-droite dans ces deux domaines. L’identité nationale ou, plus exactement, la nation telle que Marine Le Pen la conçoit est ethnique, archaïque, refermée sur elle-même, soustraite au changement et fondamentalement égoïste, alors que l’idée qu’une authentique gauche s’en fait  la considère, je l’ai déjà dit, comme un espace politique de souveraineté populaire contre la dictature des marchés financiers internationaux. D’où chez Onfray une méfiance très nette à l’égard de l’immigration et des immigrés : n’a-t-il pas osé se plaindre qu’on en invite trop le soir aux informations de télévision ! Cette remarque est proprement scandaleuse.

4 Enfin, Onfray n’a pas l’air de se rendre compte que la politique du FN, fût-elle conçue sur une base nationale de défense des français de souche, est une politique fondamentalement favorable au capitalisme dont ces mêmes français – à savoir les catégories populaires –, si  elle arrivait au pouvoir, souffriraient. Il est vrai que Onfray est très ambigu dans son rapport au capitalisme : il s’est déclaré en faveur de celui-ci (réformé peut-être ?) récemment – eh oui ! –  et dans ses écrits d’une abondance rare, on le voit constamment se démarquer de Marx et de son supposé étatisme, n’osant pas l’affronterdirectement de peur sans doute que la statue de ce grand penseur ne lui retombe dessus s’il tentait de la déboulonner! Et j’indique aux lecteurs rapides de Cosmos ce point : dans cette somme (400 pages au moins), Marx n’est cité que trois fois : une fois à titre purement bibliographique et les deux autres fois, devinez à quel sujet : pour dénoncer la haine que l’auteur du Capital aurait eue pour les paysans ! Cela se passe de tout commentaire supplémentaire.

5 Dernier point, qui montre le peu de rigueur de cet écrivain à qui le succès médiatique est monté à la tête – succès que je ne comprends guère quand je vois la faiblesse théorique de son livre sur Freud et du reste de son œuvre : Onfray en côtoyant ainsi les idées du Front national, même s’il s’en défend parfois, se range dans le camp d’une politique autoritaire qui est aux antipodes de l’option libertaire et individualiste qu’on croyait être la sienne depuis toujours, voisinant bientôt, dans une réunion publique annoncée pour le défendre, Finkielkraut, Debray, Chevènement et pourquoi pas Dupont-Saint Aignan, qui sont aux antipodes de cette double option. Mais il est vrai, et l’on en a malheureusement de plus en plus d’exemples, que le passage du libertarisme au libéralisme est fréquent, sinon logique, surtout s’il s’y ajoute un individualisme forcené (voir le titre de son livre nietzschéen La sculpture de soi, éclatant de narcissisme avoué). C’est bien pourquoi il faut se rappeler, contre la girouette Onfray, que c’est le socialisme (marxien !) qui est la voie de l’épanouissement de l’individualité de tous (et non des seuls nantis de la fortune ou de la culture) et que cela seul nous permet d’être à l’opposé des thèses du Front national, par-delà la séduction que peut exercer sa rhétorique populiste (et non « populaire) à laquelle Onfray succombe, trahissant ainsi ce qui devrait être sa fonction d’intellectuel : être au service de l’Universel.

                                   Yvon Quiniou,co-auteur du livre collectif Pour le peuple, Contre le Front national, Le Temps des Cerises, septembre 2015.

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