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Billet de blog 23 décembre 2021

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Une société schizophrène?

Dans ce nouvel essai sur la schizophrénie, cette fois-ci, de notre société Godin se livre à une analyse implacable de ses tares: la rupture entre ce que l'homme fait et ce qu'il croit faire ou être, un individualisme qui la fragmente, une marchandisation débridée, une absence d'ordre symbolique, etc. D'où l'impératif d'accuser l'économie capitaliste et d'entrevoir autre chose pour nous émanciper.

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                                                             Une société schizophrène ? 

Dans ce nouvel essai, La Société schizophrène, Christian Godin fait preuve une nouvelle fois de sa capacité d’analyse des phénomènes contemporains dont il avait témoigné dans un livre antérieur sur la morale avec son universalisme, propre distinguée de l’éthique avec ses valeurs arbitraires. Mais son livre est tellement riche en observations et explications concrètes, qu’il n’est pas question pour moi de le résumer mais d’en livrer quelques axes et quelques exemples impitoyables.

D’abord il ne s’agit pas de prendre à sa lettre psychiatrique son vocable de « schizophrénie » dont il donne une interprétation métaphorique, à savoir une « discordance cognitive » entre notre vécu et nos comportements, dont le livre multiplie les exemples à l’envie et d’une manière assez désespérante, quoique juste, désespérante car juste et même implacable. Appliqué d’une manière générale à notre société, ce vocable permet d’en signaler la fragmentation actuelle en une multitude d’attitudes et d’actions qui vont dans tous les sens et qui ont du mal à « faire société », si une société c’est d‘abord une communauté. Or cela ne vient pas selon lui d’une absence stricte d’idéologie – l’idéologie néo-libérale est bien là et Godin y insiste régulièrement  –, mais d’une « idéologie » qui fragmente les individus (tout en les faisant croire qu’ils en sont et en les faisant entrer en concurrence les uns avec les autres), laquelle les empêche d’être de véritables « sujets » dotés d’une personnalité autonome et cohérente. L’absence d’adhésion à la loi  et à la morale collective qu’elle véhicule est ici en cause, au premier degré, car elle les ouvre à toutes les manipulations marchandes possibles, accompagnées d’une symbolique sexuelle hypocrite et peu digne. Le livre en multiplie les illustrations : la mercantilisation de toutes choses, dont le sport, celle du travail dépourvu de son sens humain intrinsèque, la technicisation de tout (avec le risque à terme du « transhumanisme »), l’oubli corrélatif de la nature auquel il est hyper-sensible et dont on prétend mensongèrement faire une valeur en soi, l’abaissement aussi de la sexualité avec son interdiction de la prostitution alors qu’on en facilite les excès libres partout ailleurs, le rejet de la famille et du lien aux enfants pourtant indispensables à leur développement et à leur équilibre psychique et, plus largement le refus du « symbolique » que notre modernité est en train d’évacuer par narcissisme ou repli sur soi.

S’y ajoutent d’autres niveaux de causalité, comme celui des croyances insensées telles que  l’islam en véhicule alors qu’on en nie hypocritement les dangers intrinsèques par pur électoralisme (il rappelle qu’avant  d’avoir été victime d’un impérialisme occidental, il a été au Moyen-Age le premier grand impérialisme culturel). Sachant que ces idées, comme toute idéologie, ne se contentent pas de refléter un état des choses, mais contribuent à les perpétuer dans toute leur médiocrité aliénante (Godin se souvient ici justement de Marx) A quoi il faut ajouter et du coup, un individualisme exacerbé que la logique marchande alimente, qui se traduit, dit-il subtilement, par la disparition du « caractère » par quoi un individu (au sens positif de ce terme) peut se sentir exister pleinement, ne pas se fondre anonymement dans la foule et cultiver une vraie subjectivité.

Reste enfin la cause ultime de tout cela, au-delà de ses « effets-causes » anthropologiques : l’économie elle-même, avec son infrastructure marchande qui envahit la planète (Chine exceptée, au-delà de ses défauts) en l’occurrence le capitalisme, même s’il ne l’accuse pas comme tel. Disons seulement qu’il aurait pu, sur ce point précis, faire davantage appel à Marx, sinon pour accuser notre « schizophrénie contemporaine », en tout cas pour nous faire espérer en une solution émancipatrice, dès lors qu’on a bien distingué son message de ce qu’il s’est fait en son nom.

                                                            Yvon Quiniou

Christian Godin, La Société schizophrène, Agora/Pocket.

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