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Billet de blog 24 janvier 2024

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L'intérêt de lire Le Clézio "nomade"

Dans son récent livre "Identité nomade", Le Clézio ne nous livre pas seulement un récit de sa vie personnelle avec ses lectures et ses écrits. Il en profite pour définir la littérature à sa manière, d'abord connaissance mais surtout aspiration à une "consolation". Mais il nous montre aussi son engagement progressiste en faveur de la multiplicité des cultures au sein d'un monde harmonieux.

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                                   L’intérêt de lire Le Clézio « nomade » 

L’intérêt qu’il y a à lire le récent ouvrage de Le Clézio et de s’arrêter, si je puis dire, sur son Identité nomade, c’est qu’il nous permet de prendre la mesure de son engagement disons d’écrivain parlant de la littérature, mais aussi d’intellectuel politique à sa manière, peu connu, lui, qui ne s’affiche guère publiquement. Ce livre évoque aussi et d’abord, bien entendu, sa vie complexe en France d’abord, à Nice, avec des parents ayant des racines à l’île Maurice, ainsi que ses pérégrinations diverses hors de France qui en ont fait un connaisseur du monde dans toutes ses facettes ethniques et culturelles. Mais il y a surtout, pour moi qui l’ai beaucoup lu et aimé et au-delà de son autobiographie ici présente, les deux figures que j’ai évoquées

La première, celle de l’écrivain, a l’audace de définir la littérature sous des angles différents, que l’on peut d’ailleurs contester parfois. C’est ainsi qu’il est capable de la centrer sur l’actualité du monde, affirmant par exemple, à propos d’un grand mais tragique auteur suédois, Stig Dagerman, que l’écrivain « cherche à mieux comprendre les enjeux de notre modernité », ajoutant même que « la littérature peut quelque chose quand elle prend les armes du journalisme pour faire ressentir les problèmes que l’on connaît, les problèmes d’actualité ». Il indique même que son utilité réside alors dans « la connaissance » : du monde de la vie, etc., la faisant même rivaliser avec les sciences particulières (p. 116), ce qui ne saurait être exact. Car il passe ainsi à côté de sa dimension d’universalité concernant la condition humaine dans toutes ses faces, et spécialement sa face psychologique (voir Proust). Ce que au contraire et paradoxalement, il va souligner très bien ensuite, en affirmant que « si la littérature  a une utilité, ce n’est rien d’autre que de changer le regard qu’on a sur le monde, pour nous inciter à voir ce que nous dédaignons ». Et il ajoute même, sortant du seul intérêt pour l’actualité et selon « une formule tirée de la psychologie vers la littérature », que « ce serait même une extrospection » - comprenons : un intérêt psychologique pour la vie en général et donc ce « qui nous incite à revenir sur nous-même » au sens de cette expression qui dépasse la seule actualité historique ou sociologique, laquelle la ramènerait au reportage journalistique, fût-il élaboré !

La seconde figure qu’il revendique pour son œuvre et qui est à la fois attachante et très estimable, est celle du regard, politique à sa manière, qu’il porte  sur notre monde actuel dans sa complexité culturelle à l’échelle de la planète. Sa vie personnelle, « nomade » donc, en est à l’origine, ce qui lui permet de manifester un intérêt proprement humain pour des peuples divers avec leurs mœurs et coutumes propres, leurs langues aussi qu’il ne méprise en rien. Au contraire : il dit le plaisir qu’il a connu de vivre enfant parmi eux en Afrique, de les connaître de l’intérieur et, ensuite, de militer pour leur reconnaissance contre la colonisation et, tout autant, pour leur entente, y compris interne, qui ne va pas de soi - comme la désastreuse actualité mondiale nous le montre, hélas.  Mais Le Clézio en restera là : homme de progrès et de gauche, humaniste si l’on veut, mais refusant les engagements politiques officiels, polémiques et haineux.

La littérature (mais aussi les autres arts) peut alors satisfaire en nous ce qu’il appelle un « besoin de consolation » par l’expression d‘aspirations diverses qui nous font vivre mieux sur un plan imaginaire. Cela vaut pour l’écrivain mais aussi pour le lecteur tant il souligne avec finesse que écrire et lire se rejoignent, le lecteur écrivant à sa manière quant il lit ! Conséquence : écrivons avec lui, en le lisant !

                                                            Yvon Quiniou

J.M.G. Le Clézio, Identité nomade, Robert Laffont

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