Au-delà de la loi Duplomb : l’irresponsabilité écologique
La magnifique et importante protestation contre la loi Duplomb doit nous rappeler, même brièvement, la totale irresponsabilité du gouvernement Bayrou, succédant à celui de Barnier, en matière d’écologie. Ici il s’agit de permettre aux agriculteurs d’utiliser une substance chimique polluante, abîmant la nature et ses produits mais aussi l’être humain (il est cancérigène), le glyphosate, pour améliorer la production agricole, avec le soutien, bien entendu, de la FNSEA, syndicat des agriculteurs riches et commerçant souvent avec l’étranger. C’est l’occasion de rappeler à quel point nos récents gouvernements, fût-ce sans le soutien véritable de Macron mais avec celui de l’extrême-droite populiste, ont soutenu et soutiennent les traités de libre-échange que l’UE a officialisés avec cynisme : ceux-ci s’inscrivent dans une libéralisation sans retenue de l’économie favorable aux capitalistes des différents pays européens, n’ont pour but que d’augmenter la productivité agricole avec ses profits, quitte à contredire certains aspects progressistes des orientations politiques de la France depuis longtemps. Et c’est le cas du droit environnemental qui privilégie la qualité de la production agricole et de son rapport à la nature contre la seule quantité source de revenus financiers importants : celui-ci est de plus en plus bafoué. Et l’on y ajoutera l’élevage intensif qui est sans pitié pour les animaux !
Or c’est l’occasion pour moi de rappeler rapidement ce qu’il en est de la crise écologique qui secoue le monde entier et dont les variations climatiques (chaleurs intenses, déluges) sont les symptômes les plus visibles. Cette crise est unique en son genre et des spécialistes scientifiques l’avaient déjà annoncée au siècle dernier sans qu’on en tienne compte, alors qu’elle peut déboucher sur la mort de l’humanité. Mais il faut en comprendre les causes et les formes fondamentales, et en voir les vrais remèdes possibles. Rapidement, car je viens d’en parler dans un livre : 1 Une productivité technique poussant à une croissance sans fin, nourrie par la recherche du profit économique, avec tous ses effets sur la nature qui se retournent contre l’homme puisqu’il en fait partie. 2 Cette recherche du profit partout se traduit par une dégradation du travail humain dans ses formes concrètes mais aussi dans les rapports des travailleurs entre eux, signalés par des sociologues ou des philosophes comme Ch. Dejours ou E. Renault. 3 Un consumérisme délirant qui enfonce l’homme dans la médiocrité comme Marcuse l’avait déjà dénoncé au siècle dernier dans L’homme unidimensionnel et qui est alimenté par une publicité ravageuse débordant sur les médias (voir la dernière page du « Monde » souvent) envahissant des activités comme le sport, au point d’en dégrader le spectacle, sinon la nature (voir les terrains de football, lequel est ravagé aujourd’hui par l’argent). 4 On peut aussi déceler une tendance humaine à l’infini dans et par un désir croissance, face à laquelle il faut réagir par une réflexion éthique, quitte à s’inspirer des philosophies passées. 5 Le risque de voir les êtres humais asservis dans un processus « civilisationnel » qui les dépasse et les empêche d’être des « sujets de » leur propre histoire, versant alors dans une forme d’aliénation.
Tout cela ne doit pas nous entraîner à nous réfugier dans une vision naturaliste de la « décroissance » tel que certains, comme Descola et Latour, nous la proposent, ni dans une critique inconditionnelle de la croissance technique : la technique fondée sur les acquis de la science nous donne aussi une maîtrise de la nature extérieure comme de notre nature « intérieure » liée au corps, dont nous pouvons devenir « comme maîtres et possesseurs » (Descartes) pour notre plus grand bienfait : je ne développe pas, tant cela crève aussi « les yeux » des esprits lucides. C’est donc à une croissance intelligemment et humainement maîtrisée que nous devons procéder, éclairée par des valeurs morales - ces valeurs que la politique délaisse de plus en plus en faveur d’un individualisme égoïste, lié à la seule « efficacité » productive.
Oui mais : Ce bilan théorico-critique n’a de chance de déboucher sur un réel progrès que si l’on mesure bien la manière dont il faut lutter contre cette crise mondiale. Non en se contentant de proposer des formes de consommation individuelle saines d’un point de vue écologique (même s’il faut le faire), ce que proposent certains mouvements « verts », mais en pointant la vraie causalité qui est impliquée dans cette situation : le capitalisme mondial, en l’occurrence trans-national qui domine de plus en plus notre planète, étouffant la capacité d’initiative et donc de liberté des nations. C’est donc à un retour à la critique du capitalisme, telle que Marx l'avait inaugurée, qu’il nous faut revenir et c’est aussi aux intellectuels d’y appeler !
Yvon Quiniou qui vient de publier, chez L’Harmattan, Le mythe irresponsable de la croissance. Pour une révolution culturelle. Ce billet s’en inspire.