Le Monde et J. d’Ormesson
Le journal Le Monde vient de nous offrir un panégyrique de J. d’Ormesson durant une semaine entière, avec une distanciation critique vraiment minimale de la part de sa journaliste, Ariane Chemin. Or cela me gêne beaucoup, voire même me scandalise vu le peu d’importance de son œuvre et les défauts patents de l’homme. Voilà un personnage qui aura manœuvré toute sa vie – il l’avoue – pour être à l’Académie française et acquérir une notoriété littéraire. Il aura réussi : il vient d’intégrer La Pléiade sans que son directeur, A. Gallimard, soit le moins du monde gêné qu’un écrivain (au style agréable, au demeurant) qui n’aura fait que commenter sa vie dans ses écrits, sans génie particulier ni vision personnelle de l’existence, figure à côté de Gracq, Claudel, Mauriac ou Proust, qui méritent, eux, cet honneur.
A quoi on ajoutera la complaisance de cette série d’articles, malgré leur élégance, vis-à-vis d’un homme qui aura été toute sa vie très à droite, ayant même eu l’occasion de justifier la peine de mort quand il était au Figaro. Je laisse de côté tout ce que l’individu comporte de superficiel, d’intriguant, de pédant, de suffisant et même d’amoralité dans sa vie privée… dont la soigneuse description aura affriolé les gens de son univers social.
Reste le contraste avec ce qu’a été la ligne éditoriale du Monde autrefois, avec une ouverture du débat à gauche et même, plus en arrière, un Jean Lacroix rendant compte de la vie philosophique avec une exceptionnelle probité. C’est l’inverse depuis quelque temps : un refus systématique des tribunes venant de « la gauche de la gauche » (j’en sais quelque chose : ayant été explicitement attaqué pour mes positions sur l’islam par un intellectuel de confession musulmane, on m’a refusé un droit de réponse !), le refus aussi de commenter tout ce qui se fait d’intelligent dans la production marxiste actuelle. Cela s’explique par le fait que ce journal est devenu, en quelque sorte, l’organe de presse du gouvernement actuel, adhérant à sa ligne social-libérale. Je ne sais pas si ses journalistes en sont clairement conscients ou s’ils mettent en œuvre une stratégie idéologique au service de notre système social et du conformisme qui l’accompagne. En tout cas, ils affaiblissent un peu plus le paysage intellectuel officiel – je dis bien officiel – déjà si désolant. L’apologie de d’Ormesson ne l’aura pas enrichi !
Yvon Quiniou