L’inaudible débat Bardella/Attal sur l’Europe
Le débat Bardella/Attal m’a extrêmement déçu tant il a été agressif et non respectueux d’un échange démocratique, fût-il vif. Je ne me prononcerai pas sur le fond puisque, de toute façon, je n’en partage pas les deux options présentées, mais seulement sur sa forme et, tout autant, sur les réactions majoritaires de la presse que j’ai consultées.
La forme donc. Dirigé par Caroline Roux, animatrice de C dans l’air où elle fait bien son travail malgré des choix idéologiques parfois contestables (comme sur l’Ukraine ou la Chine), elle a été ici décevante. Incapable de diriger correctement le débat pour permettre aux deux intervenants de discuter véritablement, elle l’a laissé se transformer en foire d’empoigne agressive, chacun accusant l’autre et l’interrompant avec une vitesse et une vivacité, voire du mépris, en particulier chez Attal, qui l’ont rendu désagréable et inaudible et, pour le dire ainsi, peu « républicain ».
Or ce diagnostic, partagé par nombre de personnes que j’ai rencontrées, est à l’inverse des réactions de la presse dans son immense majorité, du Monde au Figaro, en passant par Libération, Les Echos et j’en passe, mais la presse provinciale aussi. Le seul journal qui ait sauvé l’honneur de l’esprit critique est… Ouest-France, eh oui, formulant à peu près mon opinion ! Comment comprendre cette quasi-unanimité dans le conformisme aveugle, que l’on a même retrouvé bizarrement dans C dans l’air le lendemain ? D’abord il y a la responsabilité de Caroline Roux, pourtant bonne quand elle est chez elle et dont l’audience personnelle monte : sans doute n’a-t-elle pas voulu se distinguer par une disposition d’esprit critique qui l’aurait desservi dans sa carrière, c’est ainsi que je la comprends dans ce cas, comme je comprends son émission affligeante qui a suivi le lendemain et portant sur le débat, dépourvue du moindre recul critique !
Mais tout autant, il faut dénoncer le conformisme plus général, idéologique et politique, de la plupart des médias, en dehors de ceux de la gauche extrême, avec en particulier L’Humanité et Marianne, dont la lecture me console et me rafraîchit. Je le dis tel quel parce que j’y suis attentif depuis moult années : décidément et en reprenant une formule célèbre de Marx qui retrouve une actualité ahurissante depuis la disparition de l’URSS : « L’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante » et, plus précisément aujourd’hui, celle d’un capitalisme libéral à outrance et supranational. Car là est le problème s’agissant de ces élections européennes, précisément : nous sommes depuis de très longues années (interrompues par le général De Gaulle et François Mitterrand il y a déjà longtemps, bien avant 1983) soumis à la construction plus ou moins discrète d’une Europe économique (avec ses conséquences politiques et sociales) de plus en plus supranationale, faisant fi de la souveraineté des nations et de leurs peuples, au nom d’un libre-échange s’inscrivant lui-même dans un libre-échange capitaliste qui se mondialise de plus en plus. Or celui-ci a des conséquences sociales dont les dirigeants européens ne se soucient guère, voire suscitent : dans les domaines des services publics, des entreprise nationales, du niveau de vie des salariés qui est en baisse, de la protection sociale, des inégalités sociales qui s’aggravent, et cela parce que les lois de l’Europe tendent de plus en plus à primer sur les lois nationales. Sans compter, point important à l’heure qu’il est, un affaiblissement considérable d’une politique écologique pourtant absolument indispensable, laquelle était pourtant officiellement revendiquée récemment, y compris par Macron, et que Attal n’a pas su défendre sous prétexte de l’intérêt des paysans français (on laissera de côté la démagogie du RN et de son représentant). Or ce conformisme réactionnaire, que seuls le Parti communiste et la France insoumise refusent, traverse les médias comme jamais, avec même des interventions directes dans ceux-ci ces jours-ci pour les mettre au pas contre une culture progressiste jugée dangereuse. Au point, et pour me citer sans le moindre narcissisme ou la moindre vanité - mais l’anecdote est révélatrice - que intervenant assez souvent chez eux, avant 2017, à leur demande (France Culture en particulier ou un journal comme Le Monde, et même une fois pour un long débat à la télévision), je ne suis plus sollicité ou même interdit de publication à cause de mes convictions d’intellectuel hostile au capitalisme. A quoi il faut ajouter sur un plan général, le peu d’écho qui est donné par ces mêmes médias à tous les livres qui se réclament de diverses manières d’un Marx renouvelé et actualisé, Thomas Picketty étant au Monde la pointe extrême tolérée de l’audace Tout cela est triste et contribue intellectuellement en France à cette crise mondiale ahurissante à tous points de vue que nous connaissons, risque de guerre mondiale inclus. Et même ici, les écologistes ne se font pas entendre ! Sans compter les revirements politiques scandaleux d’intellectuels ayant appartenus à la gauche, au minimum, comme Michel Onfray ou Comte-Sponville, passant au centre ou à l’extrême-droite. Tout cela ne nous éloigne pas de la question européenne, comme on pourrait me le reprocher : il en signale l‘arrière fond idéologique qui l’abîme sur le plan des valeurs politiques !
Or rien de ces idées n’a été évoqué par Attal (ni guère par Bardella), alors que c’était le moment de le faire pour participer, au niveau de l’Europe, à la lutte contre le pire mondial qui s’annonce, fermant tout espoir de progrès à venir qui existait autrefois et nous mettant en présence d’une crise historique de civilisation totalement inattendue ! L’Europe actuelle y participe donc et il faut la refuser au nom de l'humain !
Yvon Quiniou