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Billet de blog 25 octobre 2022

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Le cynisme amoureux d'Annie Ernaux

Bien qu'il soit délicat de critiquer le livre d'une autrice qui vient d'être consacrée mondialement et dont j'apprécie l'engagement politique à gauche, je tiens à dénoncer ici son dernier livre "Le jeune homme". Non pour sa qualité, car il est plutôt bien écrit, mais pour le cynisme qu'elle manifeste dans son histoire d'amour avec un homme bien plus jeune qu'elle. Voici donc!

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                       Le cynisme amoureux  d’Annie Ernaux 

Il est toujours délicat de critiquer un auteur (une autrice ici) dont on estime, par ailleurs, l’engagement politique, comme Annie Ernaux et qui vient d’être reconnue mondialement : on a peur de la blesser si elle vous lit (ce qui est improbable), alors qu’elle est en plein bonheur de reconnaissance. Par ailleurs, je l’ai lue, mais sans en garder de grandes traces… alors que  j’ai lu et apprécié énormément Modiano ou Houellebecq (malgré mes désaccords politiques avec celui-ci). Pour me rappeler son  oeuvre , j’ai tenté de lire  Les années, sans pouvoir aller jusqu’au bout : un récit historique ou sociologique mêlé à l’évocation de sa vie personnelle, mais sans expressivité, froid donc, et, tout autant sans un style véritable, qui est précisément le lieu d’une expression subjective. A la place une écriture plate et revendiquée comme telle. Je me suis donc, par honnêteté, précipité sur son dernier petit livre, Le jeune homme (Gallimard), espérant y trouver une compensation à ma déception, celle d’un passionné de littérature.

Hélas, la déception n’a fait qu’augmenter, mais sur un plan très particulier. Non sur le plan littéraire car c’est un livre plutôt bien écrit lui, avec des éléments de mémoire émouvants et sincères ; mais sur un plan spécifiquement humain qui engage sa personnalité individuelle, à savoir, en un mot : son cynisme. On connaît l’histoire : celle de son aventure « amoureuse », alors qu’elle est âgée, avec un « jeune homme » ayant trente ans de moins qu’elle et qui avait déjà une liaison qu’elle contribuera à briser, sans remords. Liaison amoureuse, dis-je : non, c’est une liaison sexuelle de la part d’une femme fortement portée sur le sexe et qui l’avoue. On pourrait ne pas s’en effaroucher, tant il y a un droit au libertinage légitime que d’autres écrivains (Robbe-Grillet, Catherine Millet) ont pratiqué et revendiqué. Sauf qu’ici il s’accompagne d’une forme d’indifférence éthique, sinon, morale, à laquelle je ne m’attendais pas, indiquant qu’elle a pratiqué avec lui « une forme de  cruauté » (p. 25) et qu’elle l’a utilisé dans le but d’écrire une pareille histoire qui l’inspirait. Elle y voyait même un « marché  équitable, un bon deal»… d’autant plus qu’elle en fixait les règles ! Elle était donc en « position dominante », utilisait les « « armes de la domination », sans scrupule ! Et dans ce cadre, qui lui rappelait son passé d’enfant pauvre, elle n’hésitait pas à recourir contre lui à des répartie brutales  et vulgaires, du style « Lâche-moi la grappe » ( 24) pour lui faite oublier la distance sociale qui les séparait Et je laisserai de côté toutes les séquences où elle évoque la distance d’âge qui les séparait dans les espaces publics (restaurant, plage), marquée sur le plan physique, choquant les spectateurs mais dont elle jouissait en tant que femme suscitant l’étonnement ou la jalousie d’autres femmes ou couples.

Je m’arrête là, mais on aura compris que la manière dont Annie Ernaux y assume sa féminité me désole. Je n’ai rien contre la féminisme entendu comme la revendication absolue de l’égalité, mais dans la différence psychologique, tel que S. de Beauvoir a pu justement le défendre. Mais ce féminisme-là, où la femme tend à prendre tous les pires défauts des hommes, je n’en veux pas, et encore moins quand la littérature s’en empare sans remords moral, avec cynisme donc. Quelle époque qui nous éloigne, s’agissant de l’amour, de la manière dont l’ont vécu et exprimé Aragon ou Cadou !

                                                                   Yvon Quiniou

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