Que vive Guédiguian !
Décidément le cinéaste Robert Guédiguian ne cesse de m’intéresser, de m’impressionner et de me séduire, tout cela ensemble Je vais parler, à nouveau mais rapidement de lui, cette fois-ci, s’agissant de son film Et la fête continue !, diversement accueilli par une critique partiale idéologiquement comme celle du Monde. Car c’est bien le sujet de son film qui peut gêner ceux qui ne partagent pas l’inspiration communiste d’un artiste comme lui, étonnamment présente ici de par son sujet : l’histoire d’un groupe de militants de gauche, des communistes y étant fortement actifs, qui entendent protester à la veille d’une élection municipale, contre l’effondrement d’un immeuble vétuste à Marseille, ayant fait des morts. Ils entendent manifester leur indignation et leur colère contre l’abandon de ce type d’habitat où vivent des démunis, en organisant une manifestation au pied de la statue d’Homère dont ils précisent que s’il était aveugle, il n’était pas sourd et entendra donc, si l’on veut, tous les présents, leurs cris et discours de protestation collective.
Or cela n’est là que le fil du scénario, déjà poignant en lui-même, à quoi s’ajoutent divers aspects totalement séduisants de ce film, que j’énumère.
1 La générosité des membres de cette action militante, dont les motivations sociales en vue des plus démunis, nous changent du spectacle de l’individualisme égoïste que nous offre notre société actuelle, dans la foulée de celui des politiques qui nous dirigent et qui ont oublié la dimension sociale impérative, fondée moralement, qui devrait être à la base d’une politique digne de ce nom.
2 La douceur de ses agents de terrain dans leurs rapports entre eux, empreints d’une humanité étonnante, même quand il s’agit de régler un conflit ponctuel : on songe à ne pas blesser l’autre et on ne le blesse pas. Et l’amitié l’emporte !
3 Les rencontres multiples entre eux autour d’un verre, dans un café ou sa terrasse souvent, où l’on peut échanger à qui mieux mieux, même brièvement, en se promettant de se revoir. Privilège de la vie populaire dans Marseille où il fait souvent beau, ce Marseille que Guédiguian et son équipe de toujours - on pourrait dire sa « famille » - adorent. Tout cela n’est jamais lourd et l’aspect pointilliste de ces séquences n’a rien à voir avec une quelconque superficialité : il leur donne un charme lié à leur légèreté.
4 Ce Marseille, précisément, qu’il filme par petites ou longues touches - cela dépend de l’occurrence, amicale ou amoureuse. Or on se laisse alors fasciner par ses rues qu’il photographie en longueur dans leur obscurité, avec souvent, tout au bout et au dessus, un aperçu clair de la montagne qui surmonte la ville, clair du fait de ses rues sombres. Mais il y a aussi ces aperçus sur la mer et le port où la caméra, alors, s’abandonne dans une vision poétique et indolente des choses, et le silence complice de ceux qui contemplent ce spectacle.
4 D’où une variété étonnante des mouvements de caméra dans leur durée qui fait que l’on ne s’ennuie jamais à regarder cette ville ainsi filmée, avec des surprises comme quand cette caméra partant de haut plonge soudain son objectif, dans une rue, sur un personnage qu’on soupçonnait mais qu’on ne voyait pas !
5 Variété renforcée par l’accompagnement d’une musique vibrante, changeante, joyeuse et à l’unisson de la vitalité des acteurs quand, par exemple, ils chantent en groupe (y compris du Schubert dans l’action militante) ou, inversement, douce et tendre quand elle accompagne ceux d’entre eux qui s’aiment, dans des circonstances diverses, dont l’entourage familial fait partie.
5 L’amour, enfin, justement. Sans entrer dans les détails que le spectateur découvrira par lui-même, il y a au moins celui d’un arménien pour une jeune femme qui ne peut, hélas, lui faire des enfants qu’il souhaitait pour maintenir son enracinement, et qui pourrait déboucher sur une crise qui n’aura pas lieu. Et surtout, il y a la relation amoureuse de la magnifique Ariane Ascaride (malgré son âge elle est d’une séduction et d’un dynamisme étonnants) qui, veuve, cède à l’élan d’un personnage cultivé (incarné par Darroussin), ce qui leur permet à eux deux d’oublier leur vieillissement - cette Ariane que Guédiguian réussit à filmer, comme par surprise, sur une scène inondée de lumière où son amoureux vient la rejoindre et l’écouter parler, disant son état affectif de militante fatiguée, mais rendue heureuse par l’amour.
6 D’où un dernier point, terriblement attachant pour ceux qui aiment notre cinéaste : l’atmosphère de commune amitié et humanité qui réunit tous ces êtres qui travaillent ensemble depuis longtemps et qui rejaillit dans ce film lui-même.
Donc : Que la fête continue avec Guédiguian !
Yvon Quiniou