Angleterre : un marxiste confirmé à la tête du Labour. Un symbole encourageant?
La réponse est oui, et ce en plusieurs sens. D’abord, cette élection s’accompagne d’une augmentation extraordinaire du nombre d’adhérents au Parti travailliste (500 000), qui en fait le parti de gauche le plus important d’Europe. Or, et surtout, elle valide une orientation politique qui rompt avec les politiques incarnées par Tony Blair, qui avait influencé une très large partie de la gauche européenne, PS français compris. A savoir l’acceptation des règles de l’économie libérale, avec tout ce qu’elle implique et que la propagande – car il s’agit bien d’une propagande idéologique – a constamment masqué : des inégalités grandissantes, une croissance se payant d’une multiplication des emplois précaires et peu rémunérés, faisant appel à des travailleurs étrangers sous-payés, une baisse des services publics, spécialement dans la santé et dans l’éducation – autant de réalités sociales que Ken Loach a su courageusement dénoncer avec talent, dans son cinéma, et que le sociologue Antony Giddens avait malheureusement justifiées à sa manière, en théorisant une vision de l’économie fondée sur le rôle souverain l’individu et l’effacement du rôle protecteur et interventionniste de l’Etat, base pourtant de toute politique socialiste digne de ce nom.
Cette orientation a influencé nombre de partis sociaux-démocrates en Europe, PS français y compris, qui croyaient y trouver une voie leur permettant de se maintenir au pouvoir en se conciliant les faveurs de la bourgeoisie économiquement dominante. Or cette voie est en train de faire la preuve de son échec massif en Europe, tant sur le plan strictement économique que sur le plan social, le plus important car engageant le sort des être humains. C’est donc, comme une interview étonnante d’un économiste à France-Inter ce jour vient de le dire, l’expression à l’échelle de l’Europe d’un démenti à l’encontre du réformisme politique dominant jusqu’à présent et réorientant la social-démocratie vers le social-libéralisme : celui-ci est en échec partout et cet échec nourrit directement les sordides tentations nationalistes et d’extrême- droite qui se font jour dans de nombreux pays, avec les régressions sociétales qui les accompagnent comme en Hongrie et en Pologne – régressions qu’on n’aurait pas imaginées possibles il y a un quart de siècle et qui font penser, hélas, à la situation des années trente au siècle dernier, avant l’arrivée au pouvoir du nazisme et des divers fascismes.
Mais parallèlement, il se trouve que le pire en histoire n’est jamais sûr et l’on ne saurait prédire l’avenir à partir du présent, dans un sens uniquement négatif (sauf à vouloir, sans le dire, ce négatif). Ce qui vient de se passer en Angleterre en est, sinon la preuve, en tout cas l’indice. Une conscience anti-capitaliste se fait jour à l'échelle européenne, sinon internationale, diffuse mais réelle et en attente d'une offre politique : le programme de Corbyn, en Angleterre, en est la manifestation la plus nette, qui met en avant l’exigence de nationalisations, cette idée déclarée fréquemment obsolète , y compris dans une certaine « gauche », alors qu’elle est le seul moyen de réaliser la maîtrise sociale de l’économie, de la finaliser en vue d’objectifs humains, les seuls qui vaillent moralement, et de redonner toute sa dignité et sa signification à la politique : à savoir qu’elle est ce qui permet d’assurer le primat de la volonté collective sur les mécanismes inconscients (en un sens) de la production. Si l’on renonce à cette vision de la politique, c’est le politique, en tant que tel, qui perd tout sens. Autant aller cultiver égoïstement ou désespérément son jardin, comme Candide !
Précisément, ce qui vient de se passer en Angleterre doit être mis en résonance avec bien d’autres signes ailleurs : le poids étonnant d’un candidat de gauche, lui-même « marxisant », aux Etats-Unis, même s’il n’est pas arrivé en tête pour l’accès à la présidentielle ; les mouvements, aussi et surtout, qui secouent le sud de l’Europe en Espagne, au Portugal, en Grèce et même en Allemagne avec la montée récente de « die Linke » à Berlin, que peu de commentateurs osent mettre en avant. Il est vrai que la France est actuellement un contre-exemple de ce que je dis : le PS aura réussi à tout détruire provisoirement, jusqu’à l’idée de gauche dans la conscience des gens et à faire arriver sans doute la droite au pouvoir. Mais parallèlement, on le voit d’après tous les sondages, « la gauche de la gauche » (pour employer une expression commode et quelle qu’en sera la configuration à venir) est en train de faire la preuve que « la gauche, c’est elle » et non un PS qui va connaître le sort du blairisme et du réformisme européen, sans ambition sociale fondamentale : une défaite historique définitive. Tout cela et, si l’on veut, hormis le dernier point qui porte sur le court terme, peut nous entraîner, sans optimisme naïf, à voir dans ce qui se passe en Angleterre, fût-ce sous une forme encore minime, un symbole : celui que le malheur social n’est pas fatal et qu’il n’est pas question d’aller cultiver notre jardin à nouveau, comme Candide, en tournant le dos à nos responsabilités politiques !
Yvon Quiniou