La laïcité en berne
Je ne veux pas revenir sur ce que j’ai dit ici même à propos de l’accueil médiatique délirant fait à l’annonce de la mort du pape François, qui a gommé toutes les imposture humaines liées aux religions en général et à la religion catholique en particulier. Celle-ci, mise en avant sans vergogne à cette occasion, aura pourtant été largement désastreuse sur le plan social et économique, sur le plan politique avec son soutien historique constant aux puissants, ses croyances irrationnelles hostiles aux sciences ( voir son rejet partiel de Darwin), ses convictions déraisonnables moralement, au minimum, dans le domaine des mœurs avec, par exemple, sa misogynie, son dogme du pêché de la chair, sa condamnation corrélative de l’homosexualité qu’elle pratique pourtant en interne, etc. Non, ici je vais dénoncer l’accueil fait à ce décès par la grande majorité des médias et, tout autant, la venue massive de chefs d’Etat pourtant en charge, très souvent, de Républiques laïques et dont le journal Le Monde a su dénoncer justement, pour une fois, les dérapages politiciens.
La première remarque critique concerne cette fois la mensongère affirmation, reprise scandaleusement dans une émission télévisuelle de la 5 que j’estime habituellement, « C dans l’air », selon laquelle la cérémonie de son enterrement à Rome aurait été d’une discrétion remarquable : propos ahurissant tant le mensonge est grand ! On avait là, en effet, des centaines de milliers de fidèles, filmés sur de multiples chaînes mondiales de télévision, avec un nombre faramineux de chefs d’Etats venus d’une grande partie du monde et, tout autant, un faste religieux exorbitant, mobilisant des cardinaux internationaux en grande pompe. Franchement : où est la discrétion ou l’humilité qu’on prétend y voir et qui pourraient correspondre aux vertus prétendues de « l’Eglise des pauvres » ? C’est là une propagande totalement hypocrite.
La deuxième remarque porte sur la question de la laïcité dans le cadre d’un pays comme la France qui est devenue depuis plus d’un siècle une « République laïque », dans laquelle il n’y a pas de collusion officielle entre l’Etat et les Eglises en général, dont la catholique en particulier Ce fut là une conquête intellectuelle et démocratique issue lointainement de la Révolution française et de la philosophie des Lumières, contre des siècles de collusion ou de complicité entre le(s) pouvoir(s) d’Etats autoritaires, sinon totalitaires, spécialement monarchiques, qui ont enfoncé idéologiquement les peuples dans l’aliénation et le malheur - je n’y reviens pas. Je rappelle seulement que les penseurs des Lumières, quand ils étaient croyants (Rousseau, Kant et même Hume) étaient seulement partisans d’une « religion naturelle » ou d’une religion « dans les limites de la simple raison » opposée à la religion positive officielle et ses hommes de pouvoir (je l’ai démontré abondamment ailleurs). Or voilà que le pouvoir politique français, en principe « a-religieux » ou neutre constitutionnellement, était pleinement représenté à Rome avec, en particulier, son président Macron ; et, tout autant, voilà que nombre de partis (le FN en tête) ou de municipalités ont rendu officiellement hommage au défunt pape en mettant en berne les drapeaux français sur les bâtiments publics le jour des obsèques, et ce à la demande du gouvernement actuel. On a ainsi répété ce qui avait été exigé par J.-P. Raffarin lors de la mort de Jean-paul II il y a vingt ans et que Bayrou avait à l’époque disqualifié pour ne pas confondre les registres du politique et du spirituel ! Des partis de gauche ou des mouvements laïques (comme « La libre pensée ») s’en sont au contraire et à juste titre indignés car cela contredit la lettre et l’esprit de notre constitution !
Plus largement, ce mouvement de religiosité envahissante en politique affecte bien des nations du monde entier (quoique pas totalement), spécialement celles dont le régime est au minimum conservateur, au maximum rétrograde : les USA, en tête, étaient présents (Trump était là évidemment), mais aussi la Hongrie, la Pologne ou bien d’autres comme ceux de pays du Tiers-Monde pas spécialement progressistes, et même des Etats de type clairement démocratique comme celui de l’Angleterre s’y affichaient. A quoi il faut ajouter tout le non-dit de cet événement public : c’était un lieu de tractations diplomatiques non seulement au sein de l’Eglise pour l’accès au pouvoir suprême, mais entre les chefs d’Etat pour divers motifs dans un monde en crise - la rencontre hypocrite entre Trump et Zelensky en étant le plus triste exemple.
De tout cela on peut tirer une rapide mais dramatique conclusion, qui mériterait à elle seule une analyse théorique développée : notre monde va mal tant on voit la religion, catholique ici, devenir avec Rome « le centre du monde », le « Sud global » excepté. Les Lumières, intellectuelles, morales et politiques dont la France doit être fière et dont elle devrait assumer pleinement l’héritage humain, sont décidément en train de s’éteindre !
PS : Ceci étant dit franchement, il n’est pas question de nier que François ait pu avoir et ait eu réellement des qualités humaines spécifiques, sinon progressistes dans certains domaines. Mais, si j’ose dire, l’habit (restreint en l’occurrence) ne fait pas le moine !
Yvon Quiniou