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Billet de blog 27 mai 2017

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Doillon et Rodin : quand l'art nous exhausse au-dessus de nous

Le film de Doillon sur Rodin est à voir absolument. Évoquant le travail l obstiné d'un grand artiste ainsi que les retombées de son activité sur sa vie amoureuse difficile, il témoigne de la passion que l'art peut susciter chez un créateur. Et il nous permet de contempler nombre de ses chef- d'oeuvre et d’expérimenter le pouvoir de l'art sur nous.

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Doillon et Rodin : quand l’art nous exhausse au dessus de nous 

Le film de Doillon sur Rodin est à avoir absolument. Il hésite au départ entre deux axes : la description de la technique d’un (grand) artiste au travail, mais qui pourrait paraître un peu fastidieuse en elle-même et virer à la longue au didactisme artistique ; et l’évocation des aventures amoureuses de Rodin, doté d’une forte libido, qui pourrait, elle, tomber dans l’anecdote pour Margot. Or le film de Doillon échappe magnifiquement à ce double risque en synthétisant, d’une manière extrêmement subtile et légère, cette double inspiration. La première nous révèle la passion d’un créateur pour son art, qui occupe l’essentiel de sa vie malgré l’hostilité de l’académisme ambiant et au prix de souffrances imposées à son entourage. La seconde évoque ces souffrances, celles imposées à sa femme et celles que dut subir Camille Claudel, son admiratrice et collaboratrice autant que le grand amour de sa vie, qui en devint folle. Mais l’analyse de leur mésentente progressive est profonde, ne masquant pas ce qu’il y a eu de rivalité jalouse en matière de succès esthétique de la part de Camille. Comme quoi le meilleur des amours ne résiste pas à ce type de jalousie, qui est de l’ordre de l’envie et non de la jalousie spécifiquement amoureuse, qui, elle, confirme l’amour et ne le dément pas..

Mais il y a autre chose et plus dans ce film, où Rodin est superbement interprété, dans la douleur du personnage, par Vincent Lindon qui s’est laissé pousser la barbe pour l’occasion. C’est le portrait de la passion qu’un grand artiste porte à son art, s’y immergeant totalement, au point de chercher longuement la perfection dans l’élaboration de sa statue de Balzac, totalement hétérodoxe dans sa conception et qui lui vaut seulement l’admiration de ses pairs, dans un premier temps, comme Monet ou Cézanne et, par contre, la solitude officielle. Il n’empêche : elle restera pour lui son « enfant chéri » qui le libèrera de ses éventuelles inhibitions et le film se termine par la présentation du succès public de cette statue, un siècle après, dans un haut lieu d’exposition au Japon, au sommet d’une montagne, qui est elle aussi splendidement filmée, la lumière du soir illuminant la statue. Au sommet d’une montagne, dis-je : comme si cette séquence finale traduisait symboliquement l’effet que l’art produit en nous : nous élever au dessus de notre vie, même s’il en est issu ou la représente à sa manière. Impression qui est produite par le film considéré dans sa forme, mais aussi, bien entendu, par le contenu du film puisqu’il nous permet de contempler la plupart des chefs-d’œuvre de Rodin, du « Penseur » aux « Bourgeois de Calais », en passant par « Le baiser » ou les statues qui exaltent la femme et l’embrasement sexuel, sans la moindre impudeur – autant d’œuvres que j’ai aimées dès ma jeunesse. Oui, décidément, ce spectacle nous fait oublier la médiocrité des temps qui courent et justifie ce mot de Nietzsche : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité » –  ici la vérité politique à laquelle on préfèrera sans conteste ce qu’on peut appeler la « vérité »  esthétique, avec ses gratifications propres. 

                                                                 Yvon Quiniou

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