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Billet de blog 27 juin 2023

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Pascal, toujours derrière!

Je me permets de répondre ici à un article étonnant et même absurde de J Julliard faisant l'apologie de Pascal et le situant pour toujours devant nous. C'est oublier ce que sa pensée doit à sa religion tant pour sa conception pessimiste d'un homme "sans Dieu" que pour le seul remède qu'il lui propose: une foi salvatrice qui le détourne de sa vie d'homme!

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                                                   Pascal, toujours derrière !

                                                       Réponse à J. Julliard 

Par rapport aux approches philosophiques de la souffrance, avec les remèdes qu’elles entendaient positivement lui apporter, il y a tout un courant de pensée qui va rigoureusement en sens inverse en affirmant qu’elle est inhérente à la condition de l’homme et cela dans une perspective clairement religieuse : non seulement s’agissant de son statut mais, justement de son remède. Jacques Julliard, journaliste talentueux mais aux positions politiques incertaines,  lui appartient et il vient de rendre hommage un hommage incongru à Pascal, dans un éditorial de « Marianne », prétendant qu’il est « toujours devant », moderne donc, alors qu’il est pour moi le plus grand exemple de cette religieuse rétrograde. Quel que soit son génie d’écrivain mais aussi, à certains égards, d’analyste psychologique, voire de métaphysicien, il faut donc le récuser et le situer dans un passé idéologique révolu parce que rétrograde.

C’est donc dans les Pensées  qu’il s’exprime à ce sujet, dans sa première partie « L’homme sans Dieu ».Il y  est bien question de la « misère » ou du « malheur » de l’homme dans ce cas, et ce même si l’homme n’en a pas une pleine conscience grâce, selon lui, au « divertissement » dans ses multiples formes, des plus banales comme le  « jeu » ou la  « conversation des femmes »,  jusqu’à des activités plus nobles comme la politique avec ses « grands emplois » ou même la « recherche de la vérité » avec ses disputes intellectuelles et donc ses combats, ce qui lui évite l’« inconstance », l’« ennui » ou l’ « inquiétude ». Or le paradoxe est que Pascal n’entend pas laisser l’être humain dans cette situation de conscience incertaine, flottante ou superficielle, de son état –  dans laquelle la préoccupation de Dieu, la seule digne à ses yeux, est absente, on y reviendra –  mais au contraire l’y éveiller pleinement au prix d’une souffrance réflexive qu’il n’hésite  pas à susciter en lui. C’est en quoi son livre, peut nous apparaître cruel  vis-à-vis de l’homme qui n’est pas touché par la grâce divine, voire, j’ose le dire, sadique – pour utiliser un vocable qu’il ne pouvait connaître puisqu’il vient de Sade –, faisant volontairement souffrir son lecteur

Cela se traduit d’abord par l’idée qu’« il n’y a point de bonheur pour ceux qui (n’ont) aucune lumière » de l’éternité de Dieu et en Dieu, ce qui n’est pas seulement un constat totalement arbitraire (ce n’est pas mon cas !) mais une condamnation injustifiée de l’incroyance ou de l’athéisme, sur un plan moral cette fois, au point qu’il fait de celui qui a cette attitude un « monstre », « une chose monstrueuse ». D’où la condamnation corrélative de ceux qui sur terre (l’immense majorité) obéissent aux « folies », à savoir à tout ce qui détourne l’homme de Dieu, en l’occurrence les opinions communes qui valorisent l’ordre temporel et nous soumettent au pouvoir en place : ils sont sans perspective de bonheur éternel !

Mais il y a pire, selon moi, qui réside dans l’anthropologie de Pascal, sa conception d’un homme considéré en lui-même du point de vue de sa nature propre qui le voue au malheur, équivalent ici, à la souffrance : il s’agit de ce qu’il dit du « moi », et qui est pour une part inadmissible. Tout réside dans la Pensée 136 selon laquelle « le moi est haïssable », réalité que l’on peut « couvrir » mais non « ôter ». Non seulement il est « injuste », se faisant le centre du monde ou du « tout », mais il est « incommode » aux autres, plus : il veut les « asservir » : « Chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres ». Je ne développe pas ce qu’il en tire, mais je dois souligner que ce propos générique est injuste (à l’égard de l’homme) ou non justifié intellectuellement. Non justifié intellectuellement car professant un pessimisme anthropologique qui relève d’un arbitraire spéculatif lié à la vision religieuse des choses qui déprécie l’homme quand il ne croit pas en Dieu, du fait du « pêché originel ». Or avant lui et surtout après, bien des anthropologies existent, qu’il ne pouvait pas connaître,  et qui ont mis l’accent sur l’historicité de l’homme : celles de Rousseau, des penseurs des Lumières ou ensuite de Marx, essentiel à mes yeux.

Mais le point de vue de Pascal est aussi injuste, pour reprendre un terme de lui, introduisant dans l’essence du « moi » une « médiocrité morale » qu’il faut contester, et ce à deux points de vue : 1L’homme est un être relationnel et donc social et non un atome indépendant et autosuffisant, et dans ce cadre il a besoin des autres pour vivre et les autres ont aussi besoin de lui : point de haine interhumaine fondamentale ici, mais une forme de générosité objective ici ! 2 Du coup, le souci de soi inhérent au moi n’a pas à être critiqué moralement ou éthiquement : il est parfaitement légitime  et il peut même être considéré comme un objectif de la morale comme quand, chez Kant, il est transformé en « respect de soi », de sa propre personne, au même titre que le respect de l’autre, de sa personne et de son moi. Et par ailleurs, les grandes éthiques du passé (spécialement celle de Spinoza) ont mis en avant l’objectif primordial du bonheur individuel du moi, le contraire même d’une valorisation de sa « souffrance ». Et même l’égoïsme, peut donner lieu à une reconnaissance positive  si on l’entend (voir Marx à nouveau !) comme une affirmation normale de soi dans le cadre d’une société où il est aussi celui de tous et ce dans le respect mutuel des « moi » entre eux.

On aura compris qu’avec Pascal nous sommes en plein dolorisme ou encore en plein « souffrantisme » si je puis me permettre ce néologisme, dont le visage est double : la reconnaissance d’une souffrance imposée par Dieu aux hommes et légitimée par la faute initiale qui pèse sur eux, le pêché originel; mais aussi une valorisation de cette souffrance comme le chemin qui mène à une rédemption au-delà de ce monde terrestre, sans l’atténuer réellement, au contraire. Nous sommes alors dans un tragique performatif – il contribue à renforcer ce qu’il condamne – que l’humanisme doit rejeter.  Oui, Pascal est derrière nous !

                                      Yvon Quiniou,  philosophe irréligieux

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