L’Eglise catholique est actuellement en proie à un immense scandale qui l’affecte un peu partout dans le monde : la révélation des actes de pédophilie de ses ecclésiastiques (à différents niveaux au surplus), d’un nombre ahurissant et datant de puis longtemps – tout cela avec le silence complice de ses autorités officielles, même si ce silence se lève aujourd’hui et si le pape actuel a le courage de dénoncer cette situation… sur laquelle il s’était tu longtemps, il ne faut pas l’oublier. Le problème est qu’il se contente de dénoncer une réalité profondément immorale (en même temps qu’hypocrite) sans proposer une explication de fond ni avancer une solution radicale, qui ne pourrait provenir que de cette explication – ce qui fait que la situation risque de demeurer inchangée avec la bénédiction « objective » (si je puis dire) de ce même pape.
Or, il y a une explication qu’il faut avoir le courage de dire et que, récemment, Nancy Huston a indiquée avec véhémence, courage et lucidité, dans un article, et que je voudrais reprendre à ma manière pour la prolonger, sinon même l’approfondir. A la base de tout cela il y a la conception que la morale non directement chrétienne, mais catholique, diffuse depuis son origine et qui s’enracine dans son anthropologie, sa vision de l’homme donc. Elle consiste, sur le fond de la thèse du dualisme de l’âme et du corps instauré par Dieu, à affirmer la supériorité de la première (ou de l’esprit) sur le corps, source de tous nos pêchés à travers la vie sensible qui nous éloigne de Dieu, laquelle est du coup fondamentalement dévalorisée, ce qui entraîne à condamner la sexualité, le plaisir charnel. On doit savoir que la seule justification véritable qui en est donnée est qu’elle est au service de la procréation, en tant que moyen de celle-ci et non comme fin qui serait désirable en elle-même. A quoi s’ajoute, bien entendu, l’enfermement de cette sexualité (procréative) dans la seule vie du couple marié, la condamnation du divorce donc, le refus de la libre et multiple sexualité a priori et hors du mariage et, tout autant, le dénigrement violent des diverses formes de la sexualité adulte, alors même qu’elles sont consenties, comme le coït anal ou la fellation, et, enfin la condamnation de l’homosexualité – laquelle est d’ailleurs dénoncée comme une tare dans les trois religions monothéistes (avec des formulation spécialement scandaleuses dans l’Islam).
Or on voit ce que cette « morale » (qui n’est pas une « morale » mais une « éthique », dans mon langage, en l'occurrence une éthique immorale) entraîne pour ceux qui entrent dans l’Eglise pour devenir ses serviteurs zélés : ils intériorisent cette « morale » et l’anthropologie qui la soutient du fait qu’ils la sacralisent, elle devient leur « surmoi » à eux par lequel ils sont censés témoigner de l’authenticité de leur foi en Dieu et ils s’efforcent d’en appliquer les prescriptions à la lettre. Sauf que cela est humainement impossible : les pulsions sexuelles font partie de notre nature– Freud s’est contenté de le démontrer scientifiquement– et les réprimer et donc les frustrer au sens et au point où l’Eglise le demande à ses membres, est strictement inhumain, cruel et consiste en une négation sadique de la dimension charnelle de tout homme. Nietzsche l’avait déjà dit avec son extraordinaire intelligence dans ce domaine : la morale religieuse (ici) est une formidable puissance anti-vie, ce qu’il appelait plus précisément une « anti-nature « (voir Le crépuscule des idoles) et, s’agissant très exactement de la sexualité, il a eu ce mot fameux : « Le sexe était pur. Le Christ (entendre : le christianisme) est arrivé et il l’a rendu vicieux ». Sexualité = vice, voici une invention terrible de la morale catholique (comme la notion même de vice, au demeurant) et il faudrait donc aux prêtres renoncer à la première, ce qui est une tache impossible ou cruelle pour des êtes humains, capable de déséquilibrer n’importe qui et de le rendre malade.
Or, le paradoxe qu’il faut bien comprendre, c’est que la satisfaction sexuelle étant interdite aux prêtres par le célibat, la seule ressource qu’ils ont trouvée pour l’obtenir a été l’homosexualité « en interne » et surtout, ici, la pédophilie. Tout le monde admet que cette forme inadmissible de sexualité, qui peut meurtrir à vie ses victimes, est rendue possible par le contact des prêtres avec les enfants dans le cadre de leur sacerdoce et, surtout, par l’autorité « morale » indue qu’ils s’arrogent auprès d’eux : tous les témoignages confirment ce double point – à quoi s’ajoute la menace de la sanction si les victimes font état de ce qu‘elle ont subi !
La solution qui s’impose alors impérativement, que réclame Nancy Huston à juste titre et qui est la conséquence pratique indispensable de la réflexion critique précédente, est triple: 1 Que l’Eglise catholique revoit de fond en comble l’anthropologie spiritualiste et anti-matérialiste qu’elle professe depuis des siècles et qui n’est plus crédible scientifiquement, donc philosophiquement au regard des sciences. 2 Qu’elle renonce à la dévalorisation systématique du corps qu’elle en tire et qu’elle se mette à faire l’éloge de la vie, sexualité incluse. Est-ce que cela lui est possible sans se renier ? 3 Qu’elle abandonne donc le célibat des prêtres, qui nourrit leurs comportements déviants : on peut parfaitement faire l’amour normalement, vivre avec une femme et aimer son prochain, voire Dieu pour ceux qui y croient!
Yvon Quiniou