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Billet de blog 27 octobre 2024

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Quel communisme à venir?

Dans ce livre consacré à l'actualité ou non du communisme, 'Un chemin pour l'avenir", Eric Le Lann, intellectuel communiste, en défend l'avenir ou " là-venir" dans un livre convaincu et convaincant, parce que clair et lucide, hors des modes idéologiques sans fondement véritable. Il l'aborde sous un angle historique mais aussi théorique et conclut sur la question écologique.

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                                         Eric Le Lann et le communisme 

Eric Le Lann vient de publier un ouvrage dont le titre dit tout de suite l’aspect intempestif dans le climat politique désastreux de notre époque : alors que l’idéologie dominante ne cesse de clamer que le communisme est mort, vu ce qu’il aurait donné en URSS, et il prétend qu’il est «  un chemin pour l’avenir ». Pourquoi et comment ?

L’axe premier de son analyse, claire et nuancée mais intransigeante, consiste à faire un bilan de ce qu’il a été, de la place réelle qu’il a occupée dans l’histoire et d’indiquer celle qu’il doit pouvoir continuer à prendre. Il montre que le mouvement communiste a été présent dès le début du 20ième siècle, non seulement avec la révolution bolchevique initiée par Lénine dans la seule Russie, mais dans le monde entier tant l’idéal communiste représentait un espoir pour une grande masse de la population mondiale qui souffrait de misère, d’inégalités socio-économiques et de racisme générés par un capitalisme impérialiste, spécialement aux Etats-Unis chez qui Hitler ira même chercher un modèle pour la mise en place de sa propre ségrégation raciale - ce qui était partout dénié. Tout autant, il indique à quel point les réussites sociales présentes dans certains pays capitalistes ne sont pas dues au capitalisme lui-même, comme une propagande mensongère l’affirme, mais aux luttes syndicales et politiques qui l’on contraint à se réformer sur la base d’une inspiration de type socialiste ou communiste qui avait été théorisée en France par Jaurès, bien avant le Congrès de Tours et la fondation du PCF. Il rappelle donc que l’exploitation capitaliste du travail n’en a que faire d’améliorer le sort des travailleurs, seul le profit importe de même que seule une lutte ouvrière permet de s’en emparer pour une part afin d’améliorer l’existence concrète ! Enfin, il a raison de souligner à quel point l’expérience chinoise, malgré l’épisode malheureux et même désastreux de la Révolution culturelle, aura tout de même mis en place finalement une société étonnante, faisant passer la durée de vie d’une immense population de 35 ans à 78 ans aujourd’hui, libérant les femmes de leur statut d’aliénées et éduquant l’ensemble des chinois à un niveau que beaucoup de pays, y compris occidentaux, n’ont pas toujours atteint.

Dès lors il s’agit, deuxième axe d’analyse, de voir si l’on peut et doit réviser la théorie de Marx à la lumière de cette histoire pour lui redonner une influence importante. Cette partie est décisive pour un renouveau de l’influence communiste hors de tout utopisme qui le voue à l’échec, et j’en partage les différents points que je me contente d’évoquer. 1 Renouer avec le souci de la complexité de la réalité sociale, avec ses contradictions multiples, hors de tout dogmatisme étroit ne prenant en compte que l’opposition bourgeoisie/prolétariat.2 La question de l’Etat, traitée dans l’esprit de Gramsci : l’idée d’une disparition de l’Etat dans une société communiste, voulue et soutenue par certains (comme Lucien Sève malheureusement), n’a pas de sens, toute société supposant cette instance « source de tout droit et de tout devoir ». 3 Même chose pour l’idée de « nation » au singulier et au pluriel, celle(s)-ci renvoyant à un besoin d’enracinement historique et affectif difficilement éliminable (voir Henri Lefebvre), hors de tout nationalisme étroit et belliqueux. 4 On ne saurait non plus éliminer radicalement le « marché » dans l’économie : l’étatisation intégrale de celle-ci n’est pas probante, surtout si l’on admet que le droit est là pour maîtriser ce marché dans un sens favorable aux sujets sociaux (voir J.Bidet). 5 La critique de la technique, revendiquée par certains « révolutionnaires », n’a pas de sens objectif et Marx ne l’a pas du tout professée : selon lui la technique investie dans les forces productives était essentielle pour le progrès humain et il s’agissait seulement de se l’approprier pour la mettre au service de tous les humains et permettre à ceux-ci de « réaliser leurs potentialités ». 6 L’impératif progressiste comparable de réappropriation lucide de la culture héritée du passé, avec les idéologies d’inégale valeur qui l’ont marquée : il s’agit, avec Gramsci à nouveau, non d’en faire « table rase » mais d’en assimiler et d’en propager les acquis positifs dans la perspective d’un « mouvement de réforme intellectuelle et morale » : on est loin du totalitarisme stalinien ! 7 Enfin, même le libéralisme mérite d’être, en un sens, assumé au sein d’un projet communiste, dès lors qu’on l’entend au sens juridique et moral qui met en avant la liberté personnelle, hors de sa vision égoïste et inhumaine du fonctionnement de l’économie qu’il comporte. On rejoint alors la fameuse phrase de Marx, dans le Manifeste, définissant le communisme, d’une manière étonnante pour ce théoricien de l’influence de l’histoire sur les individus, comme « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». On voit alors combien toutes ces idées sont importantes pour le renouveau ou l’actualisation véritable de l’idée communiste !

Reste une troisième question, cruciale aujourd’hui, dans le cadre de laquelle les communistes doivent se prononcer avec audace et courage, hors de tout productivisme déraisonnable : la crise écologique. La réflexion de Le Lann, ici, est celle d’un esprit incontestablement informé et cela est indispensable tant ce qui est en jeu implique à la fois des connaissances technico-scientifiques précises et un esprit de responsabilité exigeant, soustrait à la domination de préjugés réactionnaires ou à celle de positions naïves. Le problème essentiel, qui divise, est : quel est le rapport entre la crise écologique et le capitalisme, étant admis que cette crise, qui émerge depuis la fin du 19ème siècle et qui nous annonce un futur catastrophique pour l’humanité dès la fin du 21ème siècle (je n’entre pas dans les détails présentés dans le livre) ? Pour simplifier, car la situation est complexe comme les attitudes par rapport à elle, il faut refuser une analyse anthropologique accusant l’homme en général de développer inconsidérément la Technique par une volonté imprudente d’améliorer sa vie et mettre au contraire en avant la responsabilité du capitalisme : les émissions de gaz à effet de serre qui polluent l’atmosphère de la planète et abîment la nature dont l’homme dépend, répondent à un souci prioritaire du Capital de les utiliser pour sa rentabilité productive. Le livre ne le nie pas mais montre bien que le développement du capitalisme, dès lors qu’il est maîtrisé par les Etats et amélioré ou réformé par la lutte politique de classe, est aussi profitable aux hommes,  et F. Gulli dans sa préface y insiste justement. Enfin, Le Lann ajoute à son analyse critique la responsabilité politique insupportable des Etats-Unis à l’échelle du monde du fait de leur longue domination impérialiste sur lui et aussi en raison de leur refus des prescriptions de l’ONU dans ce domaine. Il propose donc un triptyque pour y remédier : l’atténuation de la croissance technique (même si le terme n’est pas utilisé) en raison de ses effets délétères, l’adaptation aux évolutions climatiques quand elles sont inévitables, la réparation enfin de ses méfaits sur les êtres humains lors de catastrophes naturelles quand elles ont eu lieu : qui dit mieux ?

On aura compris, pour finir, que le communisme constitue un « humanisme pratique » et c’est pourquoi il faut soutenir, fortement et en toute clairvoyance, qu’il est « un chemin pour l’avenir ».

                                                                        Yvon Quiniou 

Eric Le Lann, Communisme, un chemin pour l’avenir, préface de Florian Gulli, Editions Manifeste.

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