Triste et compliqué Houellebecq !
On entendra par l’adjectif « triste » appliqué à Houellebecq, un substitut discret à « déplorable » concernant un écrivain dont je continue à admirer l’œuvre de romancier, toute entière, et dont j’ai apprécié la poésie. Mais c’est son parcours culturel, à savoir, politique, idéologique et même humain, que je vais déplorer ici, comme il se révèle dans son livre-scandale Quelques mois dans ma vie, tellement il me choque et me déçoit désormais.
Ce livre est centré sur un procès qu’il a intenté à un producteur de films pornographiques pour avoir programmé un film de ce genre où Houellebecq joue et ce sans son autorisation. Je vais laisser de côté cette affaire juridique pour n’aborder que ce qu’elle implique sur le fond, en premier : son rapport à la sexualité et donc aussi aux femmes. Or il faut être clair, comme il l’est au demeurant : c’est un amateur fervent de cette sexualité (j’y reviendrai) – ce qui n’est en rien un « crime » ou une faute morale (Houellebecq tient à la morale, à juste titre) – mais, ici, il s’agit de la sexualité en groupe, avec des prostituées dont il achète le corps pour s’en servir comme d’un moyen de plaisir (même si elles en jouissent), y compris en faisant intervenir sa (dernière) femme, entièrement consentante il faut le dire. Or pour lui, la pornographie en acte(s) est « un divertissement innocent » (p. 71), qui n’est en rien condamnable moralement, même dans le cas, donc, de la prostitution qu’il s’interdit également de condamner, y voyant un travail comme un autre… rejoignant alors, sans le dire, V. Despentes dans King Kong Théorie ! Il en fait même l’éloge, y voyant un métier « difficile » et « dangereux », apportant du « bonheur » aux clients, au point d’y voir, sans le moindre scrupule d’écriture, « un beau métier, un métier honorable et noble » ( p. 26) : rien que ça !
Quant à la sexualité elle-même, son propos, curieusement, mérite plus d’attention. Il a l’honnêteté d’avouer que la jouissance sexuelle a été le bonheur constant de sa vie à un point rare, au-delà, si on le comprend bien, des autres « bonheurs » qu’il a pu connaître. Après tout c’est son option éthique de vie et il en est totalement libre, d’autant plus qu’il précise cette chose très estimable selon moi : elle doit être « normale », c’est-à-dire reposer « sur le plaisir, non sur la souffrance » et ne faire intervenir » aucune forme d’humiliation ni de contrainte » (p. 94), c’est pourquoi il est totalement opposé au « viol », qu’il n’a jamais commis. Dont acte par conséquent, et cela rehausse notre estime pour lui, contre sa sulfureuse réputation médiatique aujourd’hui ! Sa référence à la morale, ici, se confirme alors et se justifie pleinement.
Mais en second, il y a la dimension politique de son parcours et donc de son engagement politique, qui est non seulement déroutant, mais décevant, sinon moralement condamnable. Évoquons d’abord un peu son incident avec Michel Onfray, qui n’est pas à son honneur, même si Onfray a un parcours politique lui-même décevant, en tout cas en partie, puisqu’il a publié, avec succès une revue, Front populaire, dont le premier numéro comportait une interview de… Ph. de Villiers, guère sur les positions progressistes d‘un éventuel « front populaire » ! Mais dans cette même revue Houellebecq a publié, donc, un long texte (que j’ai lu bien entendu) où il critiquait l’islam à juste titre pour sa violence doctrinale et, donc, son danger politique en Occident, que seuls des naïfs politiques sous-estiment. Or voilà que, critiqué par le responsable officiel de l’islam en France, spécialement extrémiste et réactionnaire, il a voulu se déjuger par simple calcul médiatique et il a demandé à Onfray de supprimer ce propos dans une éventuelle réédition de sa revue, étant donné son succès. Refus de Onfray, à raison, et rupture violente avec lui. N’est-ce pas lui, Houellebecq, qui a tort, faute d’intégrité politique ? Autre exemple : il se déclare hostile à l’euthanasie alors que, bien contrôlée, elle est un moyen d’éviter à un être humain de mourir dans d’atroces souffrances, y compris psychologiques, comme autrefois ! Et en plus elle est ce qui lui permet de choisir sa mort. Où est le Mal, pour qui se réclame, comme lui soi-disant, de la morale ?
Enfin, il y a sa position vis-à-vis du débat intellectuel en général, décevante à nouveau, sinon hypocrite quand on constate à quel point il y intervient et combien son œuvre littéraire en est imprégnée. Or il s’en prend vivement à ce qu’il appelle le domaine de « la croyance » à savoir celui de la réflexion politique, philosophique et religieuse (p. 95-96), ne se sentant proche que du « positivisme » d’Auguste Comte, sans en suivre par ailleurs les conséquences plutôt progressistes, dans le domaine religieux, alors qu’il se dit pleinement athée comme lui ! Or c’est ici qu’intervient ce qui est bien la révélation d’une dérive d’ensemble de son parcours idéologique, assez pitoyable, qu’il faut mentionner. Il a eu l’occasion de jouer dans un film récent en compagnie d’une actrice, Blanche Gardin, avec qui il s’est entendu, d’autant plus qu’ils ont la même origine familiale sur le plan politique, en l’occurrence imprégnée de convictions communistes. Or cette actrice est restée pleinement de gauche alors que lui a rompu avec tout ce qui ressemble à la gauche, spécialement communiste. Il avoue n’avoir « à peu près rien compris au marxisme » (p. 52) et, carrément, être violemment opposé aux Lumières et à la Révolution française (p. 99), au point même de prétendre qu’aucune société ne peut se passer de « religion », seul lien vraisemblable et « souhaitable » entre les hommes (ib.). Mais ce qui est pire et qu’on ne peut lui pardonner, en dehors de ses amitiés d’extrême-droite, c’est sa dérive ultime vers Marine Le Pen (il avait été aussi pro-Sarkozy !) au point d’affirmer qu’il est tenté d’appeler à voter pour elle !
Alors là nous sommes bien en présence d’une régression lamentable, liée peut-être à une crise existentielle chez lui, et qui contraste avec l’estime que l’on a pu avoir (que j’ai eu donc) pour l’écrivain. Elle traduit aussi ce qu’il faut bien appelé une « crise de civilisation » (j’en ai parlé ici même) se traduisant par un effondrement des repères moraux en politique. Quelle tristesse, donc, au minimum, quelques soient ses complications propres !
PS : J’indique tout de même que ce livre sur la pornographie avant tout, est lui-même pornographique pour ce qu’il détaille et par le vocabulaire ordurier, j'ose le dire, qu’il emploie pour l’évoquer. Où est passé l’écrivain ?
Yvon Quiniou