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Billet de blog 31 janvier 2022

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Qu'il n'y a pas de féminicides!

L'actualité a mis au triste goût du jour l'existence de meurtres de femmes par des hommes, nommés "féminicides". Or ce terme ne convient pas : il s'agit seulement de l'effet extrême de la vie entre "conjoints" quand un couple va mal, et non d'une violence "de genre". Il convient de le montrer rapidement et de revaloriser l'amour authentique.

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                           Qu’il n’y a pas de féminicides !

J’interviens sur un sujet qui risque à nouveau de déplaire, la question du « féminicide », mais c’est ainsi : le rôle d’un intellectuel qui n’a pas perdu son sens critique est aussi de lever les tabous et de rétablir le sens de mots. Or c’est le cas avec ce terme sur lequel Tristane Banon, présumée victime de D. Strauss-Kahn (on ne peut en dire plus juridiquement), s’est prononcée avec une rare justesse, sur fond de générosité : les violences exercées contre les femmes par les hommes et allant jusqu’au meurtre ne visent pas la femme en tant que telle – par opposition à un crime raciste qui vise bien l’autre dans son identité raciale – elles sont issues d’une querelle entre conjoints. Je la cite : « « L’auteur d’un meurtre sur conjoint ne tue pas une femme parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle est sa conjointe. » Je voudrais prolonger ce propos du fait de mes lectures récentes et d’un livre que j’ai publié.

La réalité de ces meurtres est évidente, abondante – plus aujourd’hui qu’hier ? on ne peut le dire avec certitude car les médias sont là qui s’en font l’écho – et elle prend parfois des formes atroces, sachant qu’il y aussi des meurtres de femmes vis-à-vis de leur conjoint. Ce qui est donc en jeu, ici, c’est la nature des rapports de couple en général et à notre époque en particulier, à savoir une éventuelle crise du rapport amoureux entre les hommes et les femmes. Un livre de Mona Chollet, impressionnant par la richesse de ses informations, Réinventer l’amour, nous en offre un tableau accablant et même douloureux, et elle rejoint en partie des analyses que j’ai faites du couple et de la masculinité dans Pour que l’homme ne soit pas l’avenir de la femme : le rapport homme-femme depuis des siècles été marqué par une domination de l’homme sur la femme aux multiples causes ou aspects. En priorité il y a une inégalité d’origine sociale qui est en train d’être comblée mais qui s’est accompagnée de stéréotypes imaginaires (ou idéologiques) vouant la femme à l’infériorité et donc à la soumission à l’égard de l’homme dans la vie conjugale, parentale, domestique et même sexuelle. Au point que cela s’est traduit par l’idée que l’homme, par sa taille, devait être plus grand que la femme pour la séduire – stéréotype que même les femmes ont pu intérioriser! Et quand un couple inversait cette donne, on a pu le voir échouer au bout d’un certain temps. De même il était acquis que la position sociale de l’homme devait être supérieure et le rester, sous peine de crise conjugale à terme, ce qui arrive quand la femme se met à dépasser professionnellement son conjoint. A quoi s’ajoutent, selon moi, des facteurs psychologiques dont l’approche psychanalytique peut rendre compte, comme la répétition d’un modèle présent dans la famille d’où l’on vient, mais aussi, à un niveau plus profond et ancré dans notre inconscient, celui du complexe d’Œdipe qui porte la femme à désirer et à accepter, dans un premier temps, une forme de masculinité forte incarnée dans le père, puis, à en souffrir, hélas, et à se rebeller comme l’évolution contemporaine des idées et des mœurs à notre époque peut l’ y inciter. A quoi s’additionne, bien entendu, le poids du milieu social quand il est défavorisé, qui va accroître à un niveau fort tous les facteurs négatifs de mésentente : la rudesse des relations, des mœurs mal maîtrisés, les dépressions, l’alcoolisme, l’absence de culture, etc. Le paradoxe, ici, c’est que cette domination de l’homme sur la femme se retrouve aujourd’hui dans les milieux artistiques, du cinéma ou de la chanson, dont Mona Chollet nous offre de tristes, voir horribles exemples, comme ceux Bertrand Contat ou de Serge Gainsbourg, parmi beaucoup d’autres, je n’insiste pas.

Or ce qu’il faut bien voir, dans tous ces cas, c’est qu’on ne saurait les mettre au compte d’une violence pulsionnelle, sexuelle et agressive, qui serait inhérente à l’homme, voire aussi à la femme avec son « envie du pénis », quoi qu’en ait dit Freud, sur ce plan : les pulsions existent, mais elles peuvent se sublimer et donc se réprimer pour mener une vie relationnelle humainement digne et l’éducation, sur fond d’affection, est là pour y contribuer. Or c’est bien autre chose qui a lieu et qu’il faut examiner avec précision : la mésentente dans les couples, y compris quand elle se développe progressivement, avec comme point extrême la violence tout court, puis la violence meurtrière, caractériserait selon certains une crise de l’amour, propre à notre époque. C’est ce que soutient Mona Cholet puisque son livre s’appelle « Réinventer l’amour » et qu’elle milite courageusement pour ce dessein, mais on le retrouve aussi chez un psychiatre-écrivain comme J.-P. Mialet dans Sex Aequo (dont je crois avoir parlé ici même) ou encore, d’une manière que je ne partage pas, dans Le nouveau nom de l'amour de Belinda Canone, consacré à "l'amour-plaisir". Il s’agirait, du fait de cette dimension de mésentente qui apparaît inévitablement, selon elle, dans la vie amoureuse puisqu'elle est fondée essentiellement sur le désir, voué à s’épuiser, de faite se succéder dans le temps, trois ou quatre fois selon elle, des épisodes d’amour non durables indéfiniment, mais qui auraient le mérite de nous faire éviter les conflits et ses drames possibles, dont elle reconnaît l’existence. Or c’est là une vue pessimiste et joyeuse, si l’on peut dire, à la fois qui ne me convainc pas et qui est contredite par l’expérience réelle qui n’est pas aussi sombre qu’elle prétend. D’abord le choix amoureux fondé sur le seul désir peut se tromper et être aveugle, ce qui renvoie à des circonstances contingentes de la rencontre entre deux êtres et non à l’essence du sentiment amoureux ; mais, tout autant, l’amour à vie existe aussi, surtout quand il ne s’affirme pas dans la seule dimension du désir sexuel mais sait se transformer et se sublimer en amour-amitié ou en compagnonnage. J’en connais des exemples, sans vouloir entrer dans l’intime, et l’histoire de poètes célèbres nous en offre des illustrations : Aragon, avec Elsa, René-Guy Cadou, avec Hélène, Rilke par rapport à Lou Andréas Salomé (pour sa part à lui) ou encore le cas émouvant du couple André Gorz et sa femme Dorine, se suicidant pour ne pas se survivre l’un à l’autre (Dorine était gravement malade).  Ce sont là de beaux exemples réels,  même si la chose a été un peu mythifiée chez Aragon ! Choisir l’amour-plaisir, comme Canone, n’est-ce pas avouer, tout simplement mais sans le dire, qu’on est incapable d’aimer profondément ?

Tout cela ne nous a pas éloigné de notre sujet : la relation homme-femme dans le couple n’est pas toujours heureuse et, quand elle n’est pas harmonieuse, c’est bien la mésentente entre deux individus qui est en cause, quelle que soit la multiplicité et l’origine des facteurs en jeu, surtout quand elle débouche sur le meurtre de l’un des conjoints, donc : c’est bien une histoire de couple, donc de vie à deux dans la durée, et non une question de genre essentialisant sans raison L’homme et La femme, ainsi que leur conflictualité.

                                                                                      Yvon Quiniou

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