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Billet de blog 31 janvier 2025

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Politique internationale: pour un nouveau Kant, marxiste!

Face à la situation politique effroyable d'un monde travaillé par les conflits guerriers, il est indispensable de revenir à la morale politique de Kant centrée sur une admirable ambition de paix. Mais il faut en dépasser le soubassement anthropologique qui ignore la source historique de la conflictualité telle que Marx l'a éclairée scientifiquement... ce qui surprendra!

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                                          Politique internationale : pour un nouveau Kant, marxiste !

Nous connaissons une période historique absolument effroyable. Par ses guerres un peu partout, d’abord, et ce, il faut le reconnaître, depuis la fin de l’URSS, laquelle avait instauré un équilibre de la « guerre froide » qui était malgré tout une forme de paix. Mais aussi par leur nature ou leurs motivations : nationalismes exacerbés, montée des fanatismes religieux nationaux ou des hostilités raciales avec, au final, la perspective non impossible d’une guerre mondiale que l’arrivée de Trump aux Etats-Unis n’exclut pas, selon ses dires même - seule la Chine paraissant nous en préserver avec l’existence récente d’un « Sud global » qui équilibre le monde et peut neutraliser l’impérialisme politique américain, spécialement menaçant en Europe du nord..

Mais il n’y a pas que cela : à l’arrière fond et même à la base de cette situation, il y a l’insoutenable domination de l’ économie sur les activités humaines à l’échelle de la planète, qui affecte même les nations « religieuses » ou imprégnées de religion (Islam compris) et qui se traduit par ce qu’il faut bien appeler un économisme généralisé : l’activité économique en tant qu’elle est source de profit, c’est-à-dire d’argent, et la recherche de celui-ci paraît  constituer non seulement un moyen pour mieux vivre mais une fin en soi, symbole de puissance et dépourvue de tout sens humain estimable. Et cette dimension se loge dans l’obsession de la croissance indéfinie de la production économique, sans souci de ses conséquences écologiques qui mettent en danger la vie humaine au sein de la nature.

Autre drame, lié au précédent : la commercialisation de cette même vie dans la planète, hors de toute autre préoccupation comme celle de l’activité intellectuelle ou spirituelle pour elle-même, celle de la culture et de l’art, du coup, ou de modes d’existence authentiques engageant l’affectivité ou des loisirs de qualité et épanouissants. Cette décadence se traduit lamentablement dans la presse et les médias en général : les journaux, pour ne citer qu’eux, sont envahis par des préoccupations publicitaires, donc commerciales, délirantes, inimaginables à la fin du siècle dernier, C’est le cas, pour ne citer que cet exemple, d’un journal comme Le Monde que je lis toujours et que j’ai longtemps estimé sans en partager l’idéologie de centre-gauche, mais qui était autrefois d’une sobriété exemplaire sur ce plan. Or sa dernière page quotidienne est désormais illustrée régulièrement par des publicités sans intérêt en faveur de tel ou tel produit au moyen de photos de belles femmes, la plupart du temps, ou de sportifs à la mode, sans compter son supplément du samedi qui est devenu un magazine de mode vide de contenu intellectuel ; et je pourrais étendre ce constat critique à bien d’autres médias ou domaines (comme le sport). Je n’insiste pas, le faisant ailleurs dans un prochain livre sur le délire de la croissance, mais je relie ce point à ma problématique de départ : nous sommes en présence d’une concurrence (financière) généralisée qui ramène les rapports humains, à tous les niveaux, à des rapports de rivalité, lesquels deviennent une forme de guerre larvée, laquelle menace évidemment, fût-ce sous une forme atténuée, la paix sociale dans son ensemble.

On peut alors revenir à notre point de départ et au titre iconoclaste de ce billet. Car il se trouve que cette situation, désormais clairement mondiale, de conflictualité et qui ne fait qu’empirer, n’est en un sens pas totalement inédite, bien entendu, et elle a été pensée depuis des siècles par des philosophes sur une base anthropologique :  Hobbes, Kant, Nietzsche et même Freud. Hobbes la met au compte d’une nature guerrière de l’homme qui doit être réprimée par l’Etat ; Nietzsche y voit l’expression d’une « volonté de puissance » insurmontable et qui voue la minorité des « forts » à dominer la majorité des « faibles », à les opprimer et les exploiter, sans contre-poids moral possible ; enfin Freud y diagnostique, sur une base qu’il estime scientifique (et qui ne l’est que partiellement ici), une pulsion naturelle de mort inhérente à l’être humain,  qui se convertit en agressivité et le pousse à la conflictualité fragilisant la civilisation et rendant improbable la fin définitive des guerres (voir Malaise dans la civilisation). Mais il y a aussi Kant, grand et définitif penseur de la morale dans son contenu universel, et qui surtout nous en a donné un prolongement politique, spécialement à l’échelle de l’histoire, qu’il faut savoir réactualiser aujourd’hui sur une autre base que la sienne  Dans sa « philosophie de l’histoire » (c’est le titre d’un de ses livres disponibles) il place le ressort de l’action historique dans le jeu d’une « insociable sociabilité » qui pousse l’homme au conflit avec autrui -  c’est l’« insociabilité » - tout en ayant besoin de lui et de coopérer avec lui - c’est  la « sociabilité », ce qui définit un « état de guerre » larvée dont on peut ne pas voir la fin. Sauf que, sur la base d’une forme d’optimisme anthropologique mais lié aussi  à une forme de réalisme, il va envisager que, par intérêt d’abord, les hommes vont s’entendre, faire prédominer la sociabilité et, du coup, pacifier leurs rapports en interne au sein de leur nation, puis en externe dans leurs rapports aux autres nations. La morale va alors sublimer l’intérêt peu à peu, spécialement à travers l’éducation, y compris collective, pour actualiser cette ambition pacifique.. C’est là un point décisif (où l’on pourrait retrouver du Rousseau) qui a inspiré son Projet de paix perpétuelle, lequel est l’origine lointaine de la SDN, puis de l’ONU. Et dans ce cadre il oppose le véritable « homme politique » inspiré par un idéal moral collectif désintéressé et le « politiste » qui se confectionne une pseudo morale proclamée, conforme à son intérêt de pouvoir. On est tout près de ce qui se passe chez la majorité des hommes politiques actuels, Macron en tête en France, sans compter ce fou pulsionnel qu’est Trump, à nouveau.

Or il faut bien voir que le projet de Kant, absolument impératif à son niveau propre et malgré les échecs qu’il a connus (deux guerres mondiales au 20ème siècle), doit être renouvelé en raison de l’insuffisance de sa base motivationnelle : la guerre entre les hommes ou, plus simplement, leur conflictualité potentiellement guerrière s’enracine bien plus (je ne dis pas totalement) dans les conflits socio-économiques de classes au sein de sociétés marquées depuis longtemps par l’exploitation du travail liée à la propriété privée des moyens de production : c’est là la mise en lumière définitive, à caractère scientifique, de l’œuvre de Marx et donc irrécusable, y compris dans l’actualité de notre siècle qui non seulement la confirme, mais l’accroît contre les pseudo discours théoriques des pseudo penseurs libéraux. Je ne développerai pas ici ce que j’en ai dit dans bien des livres et en accord avec des théoriciens comme Lucien Sève, Tony Andréani ou Jacques Bidet (et d’autres lés à la revue Actuel Marx) ou encore avec le formidable philosophe italien Gramsci. Mais il faut en tirer la conséquence essentielle : le capitalisme qui nous domine engendre une conflictualité entre les hommes et les nations, qui est une conflictualité liée à l’existence des classes et à l’exploitation du travail humain… quelle que soit l’amélioration des conditions de vie obtenue, précisément, par la lutte de classe des dominés et de leurs représentants syndicaux et politiques, laquelle amélioration est en échec ces temps-ci. Cette conflictualité y trouve donc son origine concrète, historique et non dans une éventuelle nature humaine qui, comme on l’a vu y prédisposerait ; et surtout elle est, par là même, susceptible d’être maîtrisée, comme cela a été le cas à certaines époques et comme on le constate aujourd’hui en Chine. Et s’il ne faut pas verser dans une vision enfantine et radicalement idéaliste de l’homme, lui reconnaître d’éventuels traits négatifs de fait, ne revient pas à les naturaliser et à les déclarer historiquement indépassables. Même Marx, on l’oublie, a reconnu l’existence en l’homme de l’égoïsme, à savoir le souci légitime de son moi, le besoin naturel de l’affirmer dans sa vie sous ses meilleures potentialités (voir L’idéologie allemande) dès lors qu’il respecte le moi d’autrui, dans la concorde et non dans la discorde impitoyable - et ce d’autant plus que l’épanouissement de ce moi est augmenté par la vie relationnelle, précisément, par son rapport à l’autre ! Or ce point de vue extérieur à la prise en compte de la seule « individualité » séparée de son milieu d’existence, est confirmé de plus en plus par les sciences humaines - histoire, sociologie, psychologie, y compris une part de la  psychanalyse - qui  démontrent que l’homme est fait par son histoire multiple (qu’il fait par ailleurs dans des conditions données) et qu’il peut alors être refait par son histoire à venir, surtout si l’éducation s’en mêle. Je pourrais ici citer nombre de théoriciens importants comme le sociologue Bourdieu, un psychanalyste comme Winnicott ou un autre comme Reich, etc. Or tout cela Kant l’ignorait, ce qui relativise énormément sa pensée philosophique sur la paix, sans en récuser le message moral et politique, indépassable, lui.

On voit alors l’importante leçon que cette brève analyse, paradoxale  a priori,  nous impose à la fois impérativement et d’une manière parfaitement crédible si nous voulons échapper à la catastrophe guerrière qui se profile, par-delà celle de la crise écologique qui a des racines historiques comparables : c’est à une rénovation radicale de l’ambition de paix professée en quelque sorte spéculativement par Kant (ou d’autres d’ailleurs) qu’il faut s’atteler, en l’encrant dans une vision historiciste de l’homme issue de Marx et de ses continuateurs. C’est cette révolution culturelle qu’il faut absolument mettre en avant et exiger des hommes politiques pour éviter le pire, car celui-ci, malgré tout et comme on le dit, « n’est pas sûr » !

                                                         Yvon Quiniou

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