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Billet de blog 31 juillet 2022

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Le communisme malgré tout

Le communisme est souvent déclaré impossible au nom d'une soit-disant nature humaine négative qui s'y opposerait, alors que l'histoire nous montre à quel point l'homme peut changer et s'améliorer, qu'il peut donc assumer un vivre-ensemble apaisé tel que ce régime le propose. A quoi s'ajoute qu'il est moralement exigible et que la crise écologique nous impose de dépasser le capitalisme.

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                                           Le communisme malgré tout

Je me permets ici de présenter la conclusion d'un ouvrage sur "la possibilité du communisme" (c'est son titre) écrit en collaboration avec le jeune philosophe grec Nikos Foufas qui partage mes convictions théoriques et politiques sur cette possibilité. Bien d'autres axes de réflexion sont développés dans le livre, dont le refus de son assimilation avec ce qui s'est passé en URSS. Mais je tenais à rappeler ici les fondements à la fois de de sa possibilité humaine et de sa nécessité factuelle aujourd'hui, sous peine de catastrophe écologique.

1 Arguer d’une nature humaine aux multiples aspects négatifs et rétive au vivre-ensemble communiste contredit l’argument fort qui appartient à la réflexion marxiste, à savoir celui d’une historicité essentielle de l’homme, qui affecte donc son « essence » au sens, précisément, qu’elle lui dénie une essence naturelle, universelle et transhistorique dans ses traits psychologiques, ses comportements et ses valeurs, sinon totalement, en tous cas largement. Sans vouloir redévelopper longuement ce qui a été déjà évoqué, il est clair que l’homme change historiquement dans des domaines importants, surtout si l’on admet des progrès moraux dans l’ordre de la civilisation : l’esclavage a été valorisé et justifié, alors qu’il est désormais unanimement condamné et décrié, même s’il n’est pas aboli partout ; et l’apologie de la guerre et des exploits guerriers qui assuraient aux auteurs « héroïques » de ces exploits une place sociale éminente dans la société féodale ou même après[1], a disparu et a été remplacée par une valorisation de la paix aujourd’hui, telle que l’on attribue une récompense immense, symboliquement, à ses meilleurs défenseurs, à savoir le prix Nobel ! Ce n’est pas rien comme changement, même si l’on me fait observer que la recherche intéressée d’une valorisation individuelle, donc d’une forme d’orgueil ou de gloire, est dans les deux cas présente, sauf que son contenu, disons moral, s’est complètement inversé ! Et l’idée d’une nature fondamentalement belliqueuse de l’homme, que nous avons rencontrée, en sort sérieusement déstabilisée. On pourrait multiplier ce genre d’exemples.

2 Justement, on peut aussi, dans l’optique d’une éventuelle existence d’une nature humaine, indiquer d’abord que l’on peut y trouver aussi des traits éminemment positifs et pas seulement négatifs, que des philosophes ou des psychologues ont mis en avant, quitte à souligner qu’ils progressent dans l’histoire : pensons à Rousseau ou à Kant avec sa conviction que l’« insociabilité » de l’homme peut céder la place progressivement à sa « sociabilité ». Et quant aux traits négatifs de l’homme, historiquement attestés, on a suggéré que l’histoire pouvait en être responsable quand l’homme est plongé dans des conditions matérielles de vie déplorables comme la misère liée à l’exploitation, un rapport à une nature extérieure hostile, une division des peuples ou une absence de culture. Et l’approche psycho-sociologique contemporaine nous a clairement montré que les conditions familiales de vie depuis la petite enfance, souvent socialement déterminées, peuvent abîmer l’individu et le rendre violent, en nous faisant croire alors que sa violence est naturelle alors qu’elle est acquise. En ce sens-là la notion d’éducation doit être, elle aussi, mise au premier plan : nous sommes aussi ce que l’éducation (au sens large) fait de nous. Enfin, comme on l’a vu également, on rencontre des anthropologies pleinement positives, comme celle de Spinoza, chez qui l’auto-affirmation de soi dans son être, ce qu’il appelle le conatus, n’est pas foncièrement violente ou agressive et peut se concilier avec l’auto-affirmation de l’autre. Pourquoi ne pas leur faire crédit ?

Quant aux traits que l’on pourrait considérer comme négatifs et naturels, on peut estimer que c’est l’usage que la société – entendons telle ou telle société particulière – nous amène à en faire qui est, lui, négatif. Songeons tout simplement à ce que Marx nous dit de l’égoïsme, opposé au dévouement, et qui peut être une forme de « l’affirmation de soi »[2] et donc un facteur de bonheur individuel, mais qui ne s’oppose pas nécessairement à l’affirmation et au bonheur des autres : on peut s’affirmer et être heureux avec autrui et non contre lui, et même l’être davantage dans ce cas si l’on est convaincu que l’homme est un être relationnel. Enfin, dernière remarque de détail ici : même la vitalité, qu’on pourrait croire violente, peut se mettre au service d’objectifs moralement louables : après tout un pacifiste convaincu et militant peut se battre contre la guerre et pour la paix, donc contre le fait de se battre. Son « combat » est moralement pleinement positif !

3 Je viens de parler de morale. C’est l’occasion de rappeler, contre une lecture unilatérale et partiale de Marx, qu’il a pourtant revendiquée en partie, que son engagement pour le communisme est bien de nature morale et pas seulement fondé sur une analyse scientifique de la société capitaliste qui ne saurait nous dire à partir de ce qu’elle est, ce que nous devons en faire. Et ceci bien que Marx, d’une manière que je trouve un peu invraisemblable, ait refusé intellectuellement dans sa maturité l’idée que nous devons l’abolir.

Conséquence : il y a une nécessité morale d’en finir avec elle s’agissant de l’épanouissement de tous les êtres humains. Or qui dit « nécessité morale » doit entendre « impératif moral », ce qui n’a pas de sens si celui-ci n’est pas possible à réaliser. Certes, c’est là une déduction implacable de l’impératif moral tel que Kant l’a théorisé et qui supposait un libre arbitre métaphysique que le matérialisme récuse. Mais on peut en donner une transposition matérialiste qui indique seulement que ce que nous devons faire – contribuer à accomplir le communisme, donc – est effectivement possible dans des conditions historiques données que nous avons rappelées. Nul idéalisme utopique ici, mais simplement le rappel que ce qui doit être moralement et donc politiquement, ne peut l’être en tant que nécessité morale que s’il est effectivement possible : le communisme est donc en soi possible si l’on accepte ce que nous en avons dit sur ses préalables objectifs. La reconnaissance de la nécessité morale du communisme, évidente sauf pour l’amoralisme libéral, les tenants du nihilisme ou les fascistes en puissance, débouche donc sur l’affirmation de sa possibilité réelle.

4 On pourra, effectivement, récuser ce raisonnement, en le déclarant irréaliste, utopique – ce qui est une solution de facilité bien commode selon moi, qui excuse toutes les démissions en politique et qui est malheureusement dans l’air du temps. On peut donc lui substituer un autre argument irrécusable ou, si l’on préfère, le compléter par un argument qui renvoie à l’ordre, neutre moralement, des faits : il y a une nécessité factuelle d’en finir avec le capitalisme pour une raison qui, de fait donc, nous renvoie à la catastrophe vitale qu’il est en train de provoquer. En ce sens-là, la nécessité (factuelle ou objective) fait droit, comme on dit, elle doit s’inscrire dans un cadre juridique et l’intérêt nous y contraint, à défaut de nous y obliger. Ici, c’est sa nécessité égoïste, mais chez tous, qui le rend possible, car on ne voit pas les êtres humains se précipiter dans leur autodestruction, sauf par inconscience et absence d’information sur cette menace réelle. C’est en quoi la culture écologique poussée jusqu’au bout de sa logique et proposée à tous est, elle aussi, au fondement de la possibilité d’un communisme historiquement nécessaire pour l’humanité et il est urgent de commencer à l’envisager pour le mettre en place.

                                                                                      Yvon Quiniou

Yvon Quiniou et Nikos FoufasLa possibilité du communisme, L'Harmattan, juillet 2022.

[1] De même, la valorisation de la guerre et de ses héros a alimenté au moins l’imaginaire grec dans l’Antiquité.

[2] L’Idéologie allemande, op. cité, p. 279-280.

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