II
Les Pathologies
Le défi implicite pour ce projet politico-spirituel est que la maladie culturelle, complexe et hétérogène, est bien présente chez nous les molécules rebelles. Nous sommes obligés de nous soigner et déclencher le soin chez les autres en étant tous.tes malades. Mais, ceci n’est pas la chute avant la course. Au contraire, partir de ce constat est la condition fondamentale et initiale pour une véritable tentative de guérison.
Voici quelques exemples de pathologies à traiter sérieusement :
1) l’idéalisme. Il est quasiment omniprésent ; entendu comme le phénomène psychique dans lequel les idées, simples ou complexes, sont survalorisées ou valorisées au-delà de toute autre chose, opérant comme fonction compensatoire en réaction à un déséquilibre provoqué par des circonstances environnementales inconfortables, dures à vivre ou traumatiques. Un mécanisme de défense transmis de génération en génération.
2) Le spécialisme. L’éducation massive, généralisée, industrielle, articulée au reste des institutions, façonne les subjectivités dans un sens opposé à celui de la cure. Elle a pour objectif de produire des ouvriers efficaces au nom d’une nouvelle idole, le progrès (vers le meilleur des mondes ou la catastrophe apocalyptique). Le spécialisme est formidable pour les machines mais essentiellement contraire à la spiritualité terrienne. On ne peut être à la fois fourmis ouvrières et chamanes danseur.euses, poètes et créateur.ices.
3) la dualité intérieure – extérieure. On a la forte tendance à questionner et à agir beaucoup plus sur ce qui est « externe » et impersonnel que sur ce qui est « interne » et intime, dans un sens opposé à notre réelle marge de manœuvre, car c’est bien dans nos vies intimes, dans le quotidien, que l’on peut avoir le plus d’impact. Les barrières sont multiples, d’une part les molécules rebelles manquent d’outils et des expériences qui leur permettrait d’analyser, de décortiquer et d’agir sur ce monde « intérieur » – pour réaliser d’abord l’importance –, et d’autre part, elles méprisent la discipline concernée, la psychologie, toujours associée aux pratiques psychiatriques généralisées, aux antidépresseurs et compagnie, à l’industrie pharmaceutique, aux expériences inhumaines et criminelles, aux fixations conservatrices et réductrices sur le phallus, la famille, l’éros et les phantasmes, la libido, le manque, etc. Des excuses de qualité pour échapper à la thérapie et à la déconstruction de et dans l’intime. Si bien tous ces reproches son valides, la psychologie est plus vaste que cela : thérapies « classiques », humanistes, systémiques, hypnose ericksonienne, psychodrame, ainsi qu’une psychanalyse moins renfermé sur elle même, plus moderne, transversaliste, etc.
4) L’amour. On aménage nos vies en fonction de lui, on y investit énormément de ressources psychiques et matérielles, il est plus fort que la politique, la philosophie, la déconstruction. Par cette voie non seulement nous nous reproduisons, mais nous reproduisons également la maladie : les traumas, les mécanismes de défense, le patriarcat, les privilèges, les idéologies comme celle-ci et d’autres constructions putrides et infectieuses, l’institution familiale… et surtout on reproduit certaines attitudes face à la vie. C’est un terrain où nous nous maîtrisons le moins et où l’on ne veut surtout pas se maîtriser car l’amour est, par définition dans l’imaginaire, une chute aveugle : on tombe amoureux, l’amour est incontrôlable. Or c’est exactement dans ce domaine où tout ce qui est pathologique chez l’humain se dévoile et s’amplifie. C’est une sorte de boîte de Pandore remplie de phantasmes, projections, transferts, parmi d’autres démons. Cette brume fétide couvre aussi bien le lit du couple que celui des « polyamoureux.ses » ou des amoureux.ses « libres », elle est aussi bien présente dans le quartier des conservateur.ices que dans celui de squatteur.euses et de zadistes avant-gardistes. Elle corrode toutes les relations. L’idéologie de l’amour qui opère dans nos tripes, s’appuie sur les conceptions bien obsolètes autour du désir, individu, inconscient, pulsion, libido, famille, père, mère, etc, dans l’imaginaire. L’actualisation de tous ces concepts déclenche nécessairement une déconstruction globale de l’amour. Tant que l’on continuera à mépriser la psychologie ou à la limiter aux confins du vieux cabinet hétéro-patriarcal, tant que l’on manquera d’une discipline analytique transversale, holistique et matérialiste concernant la subjectivité et sa production, on continuera à vivre des vies pathologiques, médiocres, et on aura peu compris à l’amour et sa poésie spirituelle.
5) La masturbation. Le chrétien confesse ses mauvaises actions ou pensées au prêtre, prie pour l’absolution de ses péchés, chant et sublime sa culpabilité et se sent soulagé d’avoir été purifié, et ensuite, puisque après tout ce rituel hebdomadaire de confession-absolution est beaucoup plus simple que d’aborder les problèmes concrètes, individuels, familiaux et sociétaux, le chrétien retombe aussitôt dans le péché. Le cycle est ainsi réalisé. On peut appeler ça masturbation car c’est une fausse « purification », le petit plaisir d’un soulagement des lâches, une absolution comme fruit d’un travail nul : à aucun moment dans la boucle péché-culpabilité-confession-absolution le chrétien s’intéresse à étudier la nature du problème, la nature du « péché ». La masturbation s’effectue en forme de spectacle à l’aide d’un au-delà ou d’une idéologie et d’un ou plusieurs médiateurs ou metteurs en scène.
Oui, diriez-vous, mais ce sont les chrétiens ! Nous, molécules rebelles, ne sommes pas des religieux ! Mauvaise nouvelle : ce même mécanisme masturbatoire est présent chez tous.tes les héritiers du christianisme, les plus athées inclus et surtout chez celleux qui défendent leur athéisme comme de chiens surexcités. Ces mécanismes psychiques ne sont pas excrétés un fois la foi en dieu a fanée, ils habitent dans une couche plus profonde que là ou ils se trouvent dieu et son spectacle. A savoir, ce qui est le plus sacrée chez les croyant.es n’est pas ni dieu et son au-delà ni ses rituels, intermédiaires ou metteurs en scène, mais leurs fonctions dans l’appareil psychique. Lors de la mort de dieu, ces mécanismes trouveront donc un autre combustible, un autre substrat, un autre spectacle masturbatoire. Voici quelques exemples :
- L’anarchiste passionné qui investit une grande partie de son énergie à faire l’anarchiste c’est-à-dire qui cherche inconsciemment à se sentir et à être identifié comme tel en adoptant des attitudes, des codes, des discours, des chants, mais qui ne s’investit autant dans le travail concret au niveau relationnel, économique, organisationnel, etc.
- Le communiste orthodoxe qui sublime ses propres peines en chantant l’internationale avec la voix d’un puissante foi en le grand soir, en la victoire du prolétariat.
- L’anarchiste qui passe beaucoup plus de temps gueuler contre l’argent, la justice, l’état, les prisons qu’à étudier leur fonction et leur histoire, ainsi que les possibles alternatives et le véritable marge de manœuvre pour les mettre en œuvre.
- L’anarchiste évangéliste : celui qui prêche l’anarchie dans le vieux et dans le nouveau monde et qui méprise toustes celleux qui ne vibrent pas en écoutant son évangile. « Moi, l’anarchiste révolutionnaire, je ne suis plus un complice ! Et vous ? Si j’ai été éclairé par la sainte parole de Malatesta, Bakunin et compagnie, vous vous pouvez être également transformé.es ! Il suffit de ouvrir votre cœur et d’écouter, lire, et chanter l’évangile ! Mais vous ne le faites pas, vous êtes des complices de toutes les violences… vous êtes des lâches ! Regardez moi, changer est possible ! ». Ce comportement se produit dans n’importe quel mouvement. C’est important de souligner que cette attitude montre un grand vide en termes de sensibilités psycho-sociologiques ; il y a un certain nombre de facteurs qui jouent dans la production ou non-production d’anarchistes : héritage politique, classe, configurations et psychopathologies au niveaux familial, singularités au niveau du parcours, contexte politique et socio-économique à l’échelle du quartier, du village, etc, les rapports singuliers avec l’autorité (parents, professeurs, etc) et les traumatismes qui en découlent, et ainsi de suite.
Méfiez vous de vous mêmes, molécules dissidentes, méfiez vous lorsque vous allez vous baptiser avec l’eau bénite de l’écologisme, du socialisme, du communisme, du syndicalisme, du zadisme, du transféminisme ou de l’anarchisme. Après la mort de dieu, ces mécanismes feront racine dans n’importe quel matière : patrie, travail, famille, mais également vérité, science, progrès, bonheur, amour, politique, aide aux prochain.es, militantisme… ou révolution ! Le potentiel fasciste couvre tout le spectre politique.
6) L’inertie. On est portés par des courants. Elles sont animés par différentes forces, où le biologique et le culturel sont juxtaposés/imbriqués. Tout d’abord, les projections de la part de nos familiers, en particulier nos parents, des projections qui rayonnent déjà les attentes et exigences de la société. Puis la société plus directement à travers l’école. Après évidement dans la sphère du travail, les attentes et exigences du marché et du capitalisme. On peut commencer a se questionner sérieusement à quel moment dans cette course de plus en plus exigent on bascule sur l’individu autonome, lucide, qui fait des choix par et pour lui même. Une course où aucun centimètre échappe la tempête d’attentes et projections, c’est-à-dire la force des institutions, la force de la machine. On navigue avec un bateau rudimentaire dans les violents courants d’haute mère. L’impuissance du petit gouvernail face au vent et aux vagues sans pitié représente bien notre illusoire libre arbitre. Pourtant on en est accrochés, on fait tout ce qu’on peut ou on se fait croire qu’il est en pilote automatique. On fait ce qu’on a appris. Pourtant/cependant, dans la tempête, quelques îles passent à droite et à gauche, mais malheureusement c’est notre point aveugle. Et pour celleux qui les voient, beaucoup préfèrent un mal connu que l’opportunité d’un changement inconnu, d’un naufrage extractive. C’est bien l’effet de l’inertie. On est façonnés et poussés par des forces et on a du mal à s’en extraire, même si l’atterrissage sur une île inconnue pourrait nous éviter tant de souffrances et des tristes noyades. On continue à croire que le grand défi consiste en maîtriser le mieux le petit gouvernail, alors que c’est le moment de changer totalement de stratégie, c’est le moment d’abandonner le bateau, de sauter et nager jusqu’à la premier île d’apparence déserte. Détacher les mains du gouvernail, lever la tête, marcher vers le bord du bateau, sauter, plonger dans l’océan et nager la nage risqué et excitante de la singularisation.
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