Je pars du principe que les fachos ne passeront pas, parce que ça m’arrange. En général, je suis une assez mauvaise pronostiqueuse, mais j’ai envie d’y croire. J’ai besoin de me donner un peu d’espoir, même si depuis le début de la semaine, je ne peux pas m’empêcher de regarder de travers les habitants de mon village dont 436 sur 1260 votants ont donné leur voix au rassemblement national.
Je crois vous en avoir déjà causé, mais c’est pas évident de parler politique dans ce qu’on appelle la ruralité. Pour exemple, au village, on a un lieu associatif ouvert depuis quelques années, mais lors des dernières élections législatives, quand j’ai proposé de louer l’endroit (parce que je savais que le prêter, ça passerait encore moins) pour une réunion publique de la Nupes, il a fallu le voter en Conseil d’administration et c'est passé à un cheveu. Vous voyez le niveau !
Quelque temps plus tard, au ciné-club du même lieu, j’ai diffusé Debout les femmes, le film de Ruffin, et j’ai enfoncé le clou avec deux films prônant une agriculture différente, voire avec des femmes à la tête des exploitations et là, c’en était trop. Les femmes et les écolos, ça allait bien cinq minutes, ça allait faire fuir les gens du village, on allait vraiment finir par être totalement catalogués en gauchistes.
Moi, je m’en fous, j’en suis une de gauchiste et je les emmerde, mais du coup, on n’a pas parlé avec les gens, on n’a pas débattu, on n’a pas initié la réflexion et chacun est resté dans son chez soi, ses convictions et le résultat a empiré, passé de 197 voix à 436 pour un mec qu’on n’a jamais vu et que personne ne connaît dans le coin ! Ça fait 240 personnes qu’on aurait pu attraper au vol pour leur raconter une autre histoire que celle qu’ils entendent à la télé tous les soirs.
Aujourd’hui, j’ai quitté l’association et je vois mes anciens camarades avec des tronches de 10 mètres de long. Voilà ce que ça donne quand on ne s’engage pas, quand on ne suscite pas le débat de peur de déplaire, de peur du qu’en-dira-t-on, de peur de perdre une subvention. Je ne dis pas que c’est de leur faute, juste qu’à force de ne rien faire, de ne rien dire, on laisse s’installer un climat de méfiance, de peur, et on alimente la bête.
Alors lundi, il va falloir repartir au taf sans attendre une prochaine campagne électorale, et pas que dans les cités. Il faut aller sur les places de village, dans les fermes, à la sortie des usines, dans nos salons, et utiliser tous les moyens pour convaincre les gens qu’un autre monde est possible. Que c’est pas obligé de crever chacun dans notre coin en pestant sur des gouvernants qui font n’importe quoi. Que la politique, ce n’est pas la haine de l’autre.
Oui, je sais, vous aussi vous êtes désabusés, mais c’est rien à côté de ce que vous devrez supporter quand les fachos seront vraiment en place. Quand les avocats récalcitrants, qualifiés de vermines en robe noire, auront été éliminés. Quand les vrais antisémites et purs racistes auront tellement gerbé leur haine qu’on ne comptera plus les morts. Quand l’IVG, au lieu d’être constitutionnalisée, sera interdite. Quand l’audiovisuel public aura été entièrement privatisé. Quand on portera tous un uniforme. Quand le droit du sol aura été supprimé, tout comme l’aide médicale d’État (AME). Quand la peine de mort sera rétablie…
Si vous préférez des exemples concrets de saloperies, la carte de la honte est à portée de clic. Concoctée par des étudiants indépendants, et plagiée sans vergogne par l’équipe de Renaissance avec son "Tour de France de la honte" (ils ont oublié de s’y inclure !), elle est disponible à cette adresse : https://cartedelahonte.github.io/#6/46.808/3.966
Bon week-end !
Agrandissement : Illustration 1
via 24x36.art