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Billet de blog 8 février 2024

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Allô Gérard ? On a causé de toi avec ma mère !

Après avoir lu le long article sur Mediapart et ta réponse, j’ai eu envie d’aller en causer avec ma mère. Elle a 87 ans et a longtemps été psychanalyste, tendance école freudienne. Quand j’étais petite, la Gauche prolétarienne organisait des réunions clandos à la maison, alors sur ton petit monde de l’époque, elle en connaît un rayon.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On a commencé les enregistrements il y a quelques années. Elle cause pendant des heures, je l’enregistre et je transcris ses paroles mot à mot, je travaille à l’ancienne. Je crois que j’ai plus de 40 heures, soit des dizaines de pages où elle me raconte sa vie. La guerre, son mari, ses enfants, ses amants, son travail, ses trucs inavouables et pleins d’autres choses. On a arrêté il y a un moment, mais tout à l’heure, je suis allée chez elle pour lui lire Mediapart, car elle ne voit plus très bien. À la fin, j’ai allumé l’enregistreur de mon téléphone, beaucoup plus discret que le gros truc que j’avais encore il y a quelques mois, et je ne lui en ai rien dit.
C’est un peu long, mais je n’ai rien voulu enlever pour que ça reste dans son jus. Bien sûr que j’ai été choquée, voire outrée par certaines de ses pensées, mais je trouve ça important d’essayer d’entendre ces paroles d’un autre temps, ces manières d’autres siècles. Ça me travaille tous les jours.
Prenez votre temps pour lire tout ça, y’a du lourd !

Alors, qu’est-ce que t’en penses, comme ça ? Je lui ai demandé.
Ben j’en pense qu’il argumente très bien Miller et que ce qu’il dit est assez juste, est juste. Et que par exemple, un homme de son âge qui s’appelait P., a invité chez lui deux jeunes filles de 14 ans et s’en est suivi une plainte par le père de l’une d’elles. J’en ignorais tout jusqu’à ce que le père de l’une vienne me trouver pour me révéler toute cette affaire. Et que moi, apprenant que P. était convoqué au commissariat, j’y suis allée pour lui prêter main-forte. Parce que je me doutais bien que le récit du père, et de la fille étaient sujet à caution, bien que j’ai pensé que P. n’avait pas organisé ça de manière innocente et qu’il comptait sur sa façon d’être, son appartement, sa qualité de, pour emporter le morceau. Quel morceau, je n’en sais rien. Il avait 30 ans et elle avait 14 ans.

C’était en quelle année ?
En 68, aux alentours. À l’époque où on était ensemble et on était allé en vacances dans cette famille, en Espagne. Mais ça s’est passé à Paris dans son appartement où il a invité ces deux jeunes personnes. Comme je connaissais les difficultés de P. question sexualité, je me suis dit que bon, il compensait comme ça et que j’avais bien remarqué que la petite n’avait rien d’innocent dans sa façon de faire avec les mecs, quoi ! On sait bien comment ça se passe, comment les filles font avec les mecs.

Elles font comment ?
Je sais pas, t’as pas remarqué ? Elles aguichent, ça les amuse de les aguicher parce que c’est tellement facile.

Tu crois ça ? Tu crois que les filles se disent… Qu’une môme de 14/15 ans se dit : oh c’est tellement facile d’aguicher un mec de 30 ans ! On s’amuse à faire ça.
Oh oui ! Oh oui ! Crois-en ma propre expérience ! Et franchement, si t’as jamais remarqué ça, franchement, tu m’étonnes parce que c’est tellement visible, ça les flatte de voir l’expression des yeux des mecs qui les regardent et tout ça, c’est vraiment monnaie courante.

Et donc les mecs ne peuvent que tomber…
Non pas du tout !

Qu’est-ce qu’ils font les mecs ?
Ils en profitent ! Bon. P. n’en a pas profité, Dieu sait pourquoi ! Je sais seulement que le père est venu me voir dans ma petite chambre à côté de la tour Eiffel et qu’il a essayé, un peu brutalement d’ailleurs de… comment je peux appeler ça ? Il voulait coucher avec moi, quoi !

D’accord, donc le père est venu te voir avec le désir, l’intention, de coucher avec toi, la nana du mec qui avait tenté…
À ce moment-là, non, il n’était pas question de ça, mais je me suis servie de ça pour expliquer que s’il continuait à vouloir faire un procès, etc. Moi, j’allais raconter ce qu’il avait fait chez moi.

Oui, mais toi, t’étais une grande fille !
N’empêche, c’est ce qu’il avait tenté, et d’une manière un peu brutale.

C'est-à-dire ?
Et j’ai refusé, ne laissant aucun doute sur la question, parce que sa manière m’avait heurtée. En fait, il n’était pas désagréable comme type, jusque-là, je l’avais trouvé plutôt séduisant. Il n’avait jamais essayé de profiter de ce que je pouvais ressentir à son égard. Et tout d’un coup, il a débarqué comme ça, chez moi. C’était désagréable et je lui ai signifié de telle manière qu’il n’avait d’autre option. Je devais avoir 30 ans et lui 40. Il était prof à la fac, il avait quelques arguments mondains. Et donc, moi j’ai défendu P. parce que je le connaissais avec ses fragilités et je connaissais la rouerie de la petite que j’avais pu constater. La rouerie, ça se voit, je ne sais pas pourquoi tu ne vois pas ça.

En fait, je croyais que la pensée des allumeuses, c’était un truc d’ados, que c’était une pensée qu’on s’échangeait entre ados. Les mecs qui disent : les nanas, c’est trop des allumeuses. Je me rappelle avoir vécu ça quand j’étais ado où les mecs disaient ça, ou maintenant, dans les commentaires sur Internet. Mais personnellement, peut-être une fois dans ma vie, j’ai vu en vrai une nana qui faisait son allumeuse avec un mec plus âgé, mais je n’en ai même pas de souvenir là, tout de suite. Je ne pourrais pas dire : on sait bien, c’est bien connu que les nanas, les petites jeunettes peuvent se laisser…
Éblouir, éventuellement, mais aussi s’amuser…

Je n’ai pas cette notion-là, je n’ai pas ce logiciel-là, en fait.
Ah bon ?

Non, c’est pour ça que ça me fait bizarre de t’entendre dire ça.
Moi ça me fait bizarre d’entendre ce que tu dis, c’est tellement clair pour moi. Moi-même je l’ai fait, sans conséquence, ni pour le mec ni pour moi, parce que je pensais que c’était dangereux de jouer à ça.

Dans quelles circonstances tu as fait ça ?
Ce n’est pas par coquetterie instinctive je dirais, parce que j’étais une coquette instinctive, mais suffisamment instinctive pour sentir les dangers et me barrer très vite. Et je remarque, dans les témoignages des filles, toutes celles qui sont jeunes, elles se barrent très vite. Je me demande pourquoi. Parce que les autres se disent qu’elles ont 20 ans, elles sont responsables de ce qu’elles font, peut-être. C’est pour ça qu’ensuite, elles se sentent coupables.

Les autres ont peut-être plus conscience. En même temps, la plus récente, c’est 2016 ou 2018, y’avait pas encore vraiment Metoo en France. Visiblement, ces histoires se passent avant Metoo.
Lesquelles ? Pour les majeures ou les mineures ?

Toutes !
Oui, mais ça date de bien avant 2000.

Non, non, il y a des témoignages bien plus récents…
Oui, mais les débuts, c’est bien avant 2000.

Bien sûr. C’est de 1995 à 2016 je crois.
Oui, donc l’hypothèse, c’est que les plus jeunes ont un petit peu gambergé. Elles ont eu des expériences… Tout ce que décris Miller sur la drague, etc. elles connaissent, elles sont moins innocentes que les autres. Il doit y avoir des vagues de comportements différents. Les choses se transforment assez vite. Mais en tout cas, des vieux messieurs qui séduisent des jeunes filles et des jeunes filles qui allument les mecs, ça, c’est depuis plusieurs siècles.

D’accord. Donc, du coup, Matzneff et tout ça, ça te fait ni chaud ni froid.
Mais ce n’est pas le problème ! Oui, Matzneff, c’était à une époque, très courte d’ailleurs, de 68, où la liberté sexuelle est allée jusqu’à imaginer des rapports sexuels entre les enfants et les adultes, sans même forcément les pratiquer d’ailleurs.

Au moins, les penser.
Au moins, les théoriser, comme ont pu le faire Cohn-Bendit, Finkelkraut et quelques autres. Mais la question de mon approbation, ce n’est pas ça le problème. C’est la transformation effectivement très rapide des comportements des gens, de la conscience qu’ils ont de leurs responsabilités. L’emprise, ça date de quand, la notion d’emprise ? C’est pas vieux ! Et les mecs, ils sont tellement contents de faire bouffer leurs plumes (dans tous les sens du mot d’ailleurs) en séduisant les gamines, parce que, eux, ça les… Ils en tirent une gloire auprès des copains. Quand Masure est avec lui dans la pièce, je trouve ça vraiment de la gaminerie débile. D’ailleurs, le pauvre Masure, j’ai l’impression qu’il est resté sur la touche. Il n’a pas profité de la situation. Il n’avait peut-être même pas capté lui-même.
Si tu veux, toute la littérature est passée là-dessus. Marivaux, Balzac… Donc les rapports entre les hommes et les femmes, les hommes puissants et les jeunes filles qui savent se servir de leurs charmes… Tout ça est d’une banalité extraordinaire.
Bon, dans ce siècle dernier, les femmes ont commencé à dire que ça n’allait pas et que, malgré les bénéfices qu’elles pouvaient en tirer, elles étaient quand même plutôt perdantes et que y’en avait marre d’être humiliées, d’être tenues pour moins que rien, etc. Ça a commencé quand même très tard, c’est-à-dire fin du 19e, donc ce n’est pas vieux.
Elles se sont fait ridiculiser, moquer, humilier à nouveau et ça a mis beaucoup de temps pour qu’elles conquièrent suffisamment de force et de maturité pour dire, ben non, ça va pas. Les comportements sexuels, ils sont branchés là-dessus, parce que la conquête sexuelle, c’est quand même là où s’exerce le pouvoir. Et on peut frimer devant les copains ou on peut frimer devant les copines ou on peut s’assurer de son charme, s’assurer de l’effet qu’on a sur les gens et le fait que les hommes, avec leurs réussites sociales, de l’effet qu’ils ont sur les jeunes personnes et même sur les moins jeunes personnes.
Et donc, le plaidoyer de Miller me semble tout à fait tenir la route. Juger des comportements d’il y a 30 ans à la lumière de ceux de maintenant ou de ceux qui sont vilipendés maintenant, c’est pas très juste. Parce que tous ces jeunes gens, Miller et compagnie étaient… pratiquaient joyeusement ce genre de dominations. D’ailleurs, tu le sais très bien puisque t’as entendu parler des comportements des mecs de la GP à l’égard des femmes.

Oui, bien sûr.
Donc c’est récent par rapport au siècle…

C’était les années 70. Là, on est 30 ans plus tard, même si on a encore fait un bond de 30 ans.
Metoo, c’est 60 ans plus tard.

Oui c’est ça, deux fois 30 ans. Les années 70 et puis là, les faits qui sont relatés sont 30 ans plus tard, et là, on est encore 30 ans plus tard.
Et ça va à la fois très vite et pas vite.

Et le fait que ce soit un psychanalyste, ça ne te gêne pas ? Ça ne te trouble pas ?
Oh non ! Ça ne me gêne pas, on n’en est pas moins homme. Dans mon cas, R. pourrait porter plainte contre moi, par exemple. Alors que c’est lui qui m’a séduite. Moi, j’ai été vertueuse comme tout, mais là, on peut considérer que même après que j’ai rompu la relation de patient à analyste entre lui et moi, malgré tout, quand il est revenu et que je l’ai trouvé dans la salle d’attente, j’aurais dû continuer mon attitude professionnelle et vertueuse.
On pourrait dire ça. On pourrait dire aussi que dans ma profession de prof d’Alexander, j’avais des gestes contestables. Alors que tu sais qu’il n’en est rien. Tout le monde le sait, mais bon, quelqu’un de mal intentionné pourrait… D’ailleurs, je travaillais avec une compagnie de théâtre à un moment, ceux avec qui j’ai fait un spectacle que presque personne n’a vu. La femme du metteur en scène avait un fils qui avait un copain. Je ne sais pas comment ça s’est trouvé, mais elle, ça l’a amusée de leur proposer de venir me voir pour faire une séance. Ils devaient avoir 15 ou 16 ans. J’ai acquiescé à sa demande, toujours partante pour enseigner ce merveilleux savoir, et après ils ont dit à la femme, qui me l’a rapporté sans aucune récrimination ni mise en cause, que ça leur avait vraiment fait des trucs. La mère aurait pu m’accuser de séduction. Je te dis ça pour illustrer la fragile différence qui peut exister dans un comportement ou dans un autre. Et que Miller ait eu des comportements tels que ceux qu’elles décrivent me parait malheureusement vraisemblable et que je le regrette beaucoup. Pas parce qu’il est psychanalyste, parce qu’elles n’étaient pas en position de patientes à son égard. Parce que les psychanalystes, dans la vie, ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent. Il n’y a pas de « je suis psychanalyste, donc je vous garantis que… »

Ils peuvent avoir une conscience des actes plus importante que la moyenne générale.
Pas forcément. Peut-être que la notion d’emprise leur a échappé parce qu’ils ont trop baigné dans le climat de la suprématie du mâle. Ils ne sont pas étrangers à l’idéologie régnante du monde dans lequel ils vivent. Ils ne sont pas plus coupables que d’autres. C’est arrivé que des psychanalystes en exercice séduisent ou se laissent séduire par un patient ou une patiente. C’est arrivé à la femme de M. ou à lui-même. C’est arrivé à d’autres dont j’ai plus ou moins entendu parler, mais ce n’est quand même pas rare. Et ils n’ont pas de responsabilité morale particulière à l’égard des gens qu’ils rencontrent dans la vie. Comme disait mon analyste : si un patient me traite de salopard ou de con, je dis : ouuiii. Mais si quelqu’un me traite de salopard dans la rue, je lui casse la gueule, pour faire la différence.

Quand j’ai eu fini de te lire la réponse de Miller, tout de suite, tu as enchaîné sur P.
Oui, pour te donner un exemple de quelque chose, de quelqu’un que t’as connu.

Est-ce que c’était chez lui, un fonctionnement régulier.
T’as pas vu P. avec les femmes ! T’as pas remarqué !

Ben j’ai pas la même expérience que toi avec lui.
Ben je vais te dire, moi j’ai l’expérience. Comment il a fait avec moi, c’est très bien, j’en suis très contente. Il m’a séduite, ok. Il a pris son temps, il s’est renseigné de savoir comment ma vie évoluait, grâce à une copine de mon mari. Quand il a jugé le moment opportun, sans aucune malice, simplement parce que je lui plaisais et voilà. Il a fait tout le parcours de la séduction, c’est parfait. Mais je l’ai connu faire avec d’autres d’une manière… un allumeur. Et en plus, il le faisait sous mes yeux, ce qui était particulièrement délicat.

En fait, le monde n’est fait que d’allumeurs et d’allumeuses !
Oui, bien sûr, avec plus ou moins de délicatesse, d’élégance, de charme, oui, bien sûr ! Comment t’as conquis l’un ou l’autre de tes partenaires ? C’est pas en jouant les bonnes sœurs !

J’ai pas le souvenir d’avoir vécu la chose en allumeuse tel que tu les décris !
Non, mais en charmeuse ! Pas forcément en allumeuse qui est un mot un peu…, pas insultant, mais de plaisanterie. Tu t’es servie de ton charme parce que tu avais envie de séduire. Ils te plaisaient, donc t’as fait ce qu’il fallait pour que…

Oui, mais je n’arrive pas du tout à m’identifier comme tu décrivais les jeunes filles tout à l’heure.
Oui, tu es comme tu es !

Ça me choque parce que même les femmes et les jeunes filles que j’ai pu connaître au long de ma vie, je ne pourrais pas en dire ça.
Je ne les définirais pas comme ça, mais je dirais que tous et toutes, nous sommes habités par le désir de plaire, d’être reconnus…

Oui, mais ce n’est pas la même chose que les minettes qui aguichent les messieurs…
Mais si ! Ça s’appelle la libido ! Ça a des habits plus ou moins différents qui peuvent plaire ou déplaire, mais c’est une énergie, une énergie sexuelle. Voilà.

Et qu’est-ce que tu penses que les nanas racontent ça maintenant ? Qu’elles aient le besoin de le faire.
Ben, je ne mets pas en doute leur sincérité en tout cas. Et qu’elles se rendent compte après coup, et qu’elles s’en souviennent encore et ce que ça leur a fait. Que sur le moment, elles n’ont visiblement pas trouvé matière à redire…

Elles ont plutôt été tétanisées non ? Tu ne crois pas ?
Oui, elles ont été tétanisées, absolument. Ce qui n’a pas empêché qu’elles enfouissent le truc dans leur tête parce qu’elles avaient honte d’avoir cédé. Parce qu’elles se rendaient compte plus ou moins qu’elles avaient été manipulées, sans vouloir se l’avouer. Elles ont mis un certain temps à s’en rendre compte, et c’est éventuellement le mouvement Metoo qui leur a fait prendre conscience de ça. Et que ça leur ait fait du mal, ça je n’en doute pas. Mais le mec, lui, il ne se rend pas compte. Enfin, il ne se rendait pas compte, à l’époque. Une époque qui devient de plus en plus reculée de nos jours, où la bureaucratie arrive à se creuser un trou, presque en réclamant que le mec signe un papier ou que la fille signe un papier disant qu’elle est consentante. Tu t’imagines, y’a un mec qui te plaît, tu vois dans ses yeux que tu lui plais et vous vous rapprochez, vous dansez ensemble, lala, et au moment où les choses se précisent un peu plus, il te dit : est-ce que t’es consentante ? Moi, je lui flanque une gifle et je m’en vais !

T’as toujours été consentante, toi ?
Je ne peux pas dire que j’ai toujours été consentante. Je n’ai pas été violée, ça c’est sûr. Je n’ai pas été brutalisée. J’ai été dégoûtée. Avec mes concubins, ton père ou d’autres, j’ai pu consentir, alors que je n’avais pas envie par exemple. Mais ça n’a jamais été plus loin dans la contrainte, si tu veux. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance ou si je savais reconnaître une situation périlleuse, et que j’arrivais à me barrer avant que ça tourne mal. Je ne sais pas trop. Tout cela est vrai selon les circonstances, mais que, à mon insu ou pas, j’ai été séductrice, ça, ça m’est arrivé certainement. Je dis certainement parce que j’ai toujours été réservée. Je trouvais vulgaire d’exhiber son intérêt. Dans mon idéologie de jeune fille, c’était l’homme qui fait les premiers pas. Donc, je ne faisais rien, mais je voyais bien que chez les garçons, il y avait de la tentation. Je pense à l’époque où j’avais 15, 16 ans et que j’allais dans les partys et quand je voyais ça chez les garçons que je pouvais rencontrer, j’avais la trouille en général. Ou si j’avais pas la trouille, c’était juste des petits flirts, tout à fait innocents. Ton père était aussi innocent que moi. Je me rappelle même pas la première fois où on s’est embrassés, c’est quand même bizarre. Parce que notre rencontre a été assez romanesque. Je l’avais repéré à la bibliothèque et j’avais bien vu qu’il m’avait repéré. J’étais sortie avant lui et je traînais pour rentrer chez moi en espérant qu’il sortirait aussi et qu’il m’aborderait ! Tu vois ma rouerie ! C’était très mignon tout ça. Donc lui, il a pris le chemin le plus détourné, par hasard peut-être. Il avait parmi ses copains un futur député d’extrême droite, et il a donc dû se trouver que je le connaissais, mais que je fréquentais pas du tout. Je crois qu’il a dû avoir des renseignements sur moi par ce biais, mais crois-moi, je n’étais pas du tout innocente.

Oui, mais ce n’était pas un mec de 50 ans.
Oh ! Ben les mecs de 50 ans qui me regardaient avec un œil intéressé, j’étais flattée. J’étais craintive, mais j’étais quand même flattée. Tu vois, ta mère est un cas de fourberie !

Absolument, je suis très choquée. En fait, je suis un peu interloquée par ce que t’en dis… On peut mettre tout cela sous le coup du pouvoir, mais dans ce que tu dis, j’ai l’impression que pour toi, l’emprise, ce n’est pas important.
Mais si, c’est très important, mais on ne le sait qu’après coup.

Oui, la personne victime de l’emprise ne le sait qu’après coup.
Mais celle qui emprise aussi.

Mais celle qui emprise, quand c’est à répétition… Quand t’as une histoire où tu es dans l’emprise, sous l’emprise, mais quand c’est un mode de fonctionnement…
C’est un mode de séduction. Ce n’est pas vécu forcément comme de l’emprise de la part de l’empriseur. Il veut arriver à ses fins.
Toi, tu penses qu’il sait très bien qu’il est coupable et que oui, il sait qu’il y a une différence d’âge, que maintenant ce ne serait pas accepté. Ça, ça me fait rigoler un peu parce que je crois que l’âge n’a jamais rien changé à l’affaire. Maintenant, les mecs savent qu’on va les inculper s’il y a une trop grande différence d’âge. La différence d’âge, ça n’a jamais été un problème ! Les hommes ont toujours été plus vieux que les femmes. Ils les épousaient quand c’était des tendrons, comme on disait. À 20 ans, elles étaient déjà trop vieilles et elles épousaient des barbons.

C’est quoi les barbons ?
C’est les vieux mecs de Molière. Tu sais, ils séduisent Agnès, ils sont veufs probablement, parce que sans doute ils ont fait des enfants à leur femme qui est morte en couches et donc ils cherchent à avoir du bon temps, profiter de leurs sous et ils cherchent un tendron, parce que c’est plus facile. De préférence si elle est pauvre parce que ça joue quand même. Le père de la jeune fille va être très content de donner sa fille à un type qui pourra assurer. Il est tout fier qu’elle intéresse un monsieur, un homme d’une situation sociale plus élevée que la sienne. Donc l’âge ! Alors là, je ne comprends pas pourquoi Miller met ça en cause. Maintenant, ça n’existe plus tellement parce que l’idéologie du mariage par amour a tellement pris d’importance depuis… vingt ans, qu’il est rare qu’une jeune fille tombe amoureuse d’un barbon.

Et qu’est-ce que tu penses du fait qu’elles le racontent ?
Je pense qu’elles ont raison de le raconter pour elles-mêmes. Peut-être pour se purger du dégoût qu’elles ont éprouvé. À la fois du mec et d’elles-mêmes. Et que Miller a raison de replacer les choses, historiquement. Il y a quelque chose d’un peu violent dans le fait d’être dénoncé pour des actes pour lesquels il n’aurait pas été dénoncé aux moments où ils se sont produits.

S’ils n’ont pas été dénoncés à l’époque, c’est qu’il y avait une omerta là-dessus, la parole s’est libérée.
Mais même pas une omerta, c’était normal. On n’y voyait pas l’humiliation, l’oppression des femmes tel qu’on le voit maintenant, on ne voulait pas le voir. C’est violent, tant pis pour les mecs, ils n’avaient qu’à pas le faire, d’accord. Surtout, ce que je réprouve en particulier, c’est leur grossièreté, je trouve ça incroyable.

Quelles grossièretés par exemple ?
Ben… cette attitude… de gros porc quoi ! Je trouve ça incroyable que leur désir persiste, malgré l’évident refus de la fille à qui ils ont affaire. Leur désir, leur désir de quoi, on peut se demander, persiste et signe, ils l’accomplissent, et qu’ils n’aient pas fait une analyse digne de ce nom pour ne pas se commettre avec des comportements pareils…

C’est pour ça que je te demande si en tant que mec psychanalyste, ça ne te dérange pas qu’il ait des comportements pareils ?
Non, non, non et non, ce n’est pas le même sujet.

Il doit pouvoir l’avoir analysé, mais on dirait que parce qu’il est psychanalyste, il ne peut pas analyser ses comportements.
Bien qu’il soit psychanalyste, il n’est pas capable de le faire.

Je n’entends pas « bien qu’il soit psychanalyste ». J’entends « parce qu’il est psychanalyste ».
Pourquoi tu utilises le « parce que », je ne comprends pas, ça n’a pas de rapport.

Tu as l’air de dire, précisément, que comme il est psychanalyste, il ne peut pas analyser la situation.
Non, parce que, bien qu’étant psychanalyste, il est soumis aux lois du genre qui vaut pour tous les humains et malheureusement, son analyse personnelle ne lui a pas permis de se rendre compte de ce qu’il était en train de faire. Parce que son analyse personnelle ne lui a pas permis d’échapper à l’idéologie régnante. C’est bien dommage, mais je n’en suis pas étonnée. Parce que nombre de psychanalystes dont j’ai pu entendre parler ou que j’ai connus se prennent pour des substituts du père, des donneurs de leçons, c’est incroyable. Ce qui va assez bien avec l’idéologie régnante et avec la fréquence de l’inceste, en plus.

Eh bien voilà une discussion fort intéressante ! Je suis désolée que tu n’aies pas apporté ton enregistreur !

Qu’est-ce que tu crois ? j’ai répondu en lui montrant mon téléphone.

Génial, je suis ravie ! Tu ne m’as pas prévenue espèce de saloperie ! T’as eu raison, c’était impossible de faire autrement.

Nous avons donc 57 minutes d’une pièce exceptionnelle dans notre collection.

Absolument, je ne renie rien de ce que j’ai dit. J’ai été absolument sincère.

J’étais en train de me dire que j’allais le transcrire et le publier, si tu m’autorises.

Si tu veux ! T’es une vraie saloperie quand même ! T’es bien une journaliste ! J’adore ta duplicité. Mais je cite des gens…

Je mets des initiales ? Ok, pas de soucis. Même pour P. ?

Même pour P., paix à ses cendres.

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