L’incompréhension suscitée par cette démission a été telle, immédiate et unanime, que Clémentine AUTAIN n’a pas ménagé ses efforts pour tenter de faire oublier la position de son groupe. Diffusions en boucle de la vidéo de son intervention à l’Assemblée nationale doublées de multiples déclarations à la presse.
Il ne peut être question de dénier à Clémentine AUTAIN son engagement pour les Ouighours, comme pour d’autres peuples opprimés d’ailleurs, et sa récente intervention à l’Assemblée nationale, précise et sans complaisance pour le régime chinois, en a été une nouvelle illustration.
Elle aura pris soin de lister longuement, sans parvenir à être exhaustive, les crimes du régime chinois : «Destruction à marche forcée d’une culture », « mise au pas cauchemardesque d’un peuple » « politique de nettoyage ethnique », ou les contours d’un ethnocide.
Et d’en conclure qu’à défaut de preuve de l’intention d’une extermination physique et totale des Ouighours par le régime chinois, la qualification de crime contre l’humanité peut seule être retenue. Et d’en conclure aussi au caractère indispensable d´une enquête, préalable, de l’ONU.
Historienne de formation, elle s’interroge : peut-on mettre sur un même plan, les trois seuls génocides reconnus et les crimes commis contre les Ouighours ?
Pas de génocide sans « l’intention revendiquée, affirmée, systématique d’exterminer tout ou partie d’un peuple ». « Au moment de la Shoah, aucun Juif, même s’il se pliait au régime des nazis, n’avait vocation à rester en vie. La volonté d’extermination systématique caractérise le génocide ». Il conviendrait donc de parler de « dynamique génocidaire » et non de crime de génocide.
Sous couvert de rigueur intellectuelle, force est de constater que c’est une version étriquée des lois, privée de leur esprit, et de leur finalité préventive qui nous ainsi a été présentée.
Défenseur des droits de la défense, droit de l’Hommiste, on ne peut qu’être consterné par cette posture qui nous condamne à la résignation et sclérose la reconnaissance des crimes génocidaires. Cette interprétation des textes internationaux, aussi accommodante pour les criminels que juridiquement erronée, assurerait en effet une quasi-immunité aux états génocidaires.
Nous devrions donc patienter sagement, le temps que les massacres de masse soient appréciés, ou non, à la hauteur de ceux, historiques, reconnus par l’ONU, pour, finalement, leur concéder la qualification de « génocides ».
Or, le défi de notre temps n’est-il pas justement de les prévenir, d’agir avant que le pire n’arrive, à l’aune de l’objectif que s’étaient fixés les états au lendemain de la seconde guerre mondiale ? Soit l’essence même de la convention pour la prévention et la répression de crime de génocide du 9 décembre 1948.
L’article 2 de la Convention de 1948 définit le génocide comme l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, en commettant des meurtres de membres du groupe, des atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, des transferts forcés d'enfants du groupe à un autre groupe.
L´absence d’intention d’extermination physique totale et systématique n’exclut donc pas le génocide. Pas plus que la qualification ne fixe de critère quantitatif. La notion de « destruction », ne se limite pas, quant à elle, à la destruction physique d’un groupe.
Sa définition par Raphael LEMKIN, père de la notion de génocide au lendemain de la seconde guerre mondiale, conserve toute sa pertinence :
« D’une manière générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation. Il signifie plutôt un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction des fondations essentielles de la vie des groupes nationaux avec le but d’annihiler les groupes eux-mêmes.
L’objectif d’un plan pareil serait la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion, et de l’existence économique des groupes nationaux, et la destruction de la sécurité personnelle – de la liberté, de la santé, de la dignité, et même des vies des individus qui appartiennent à ces groupes. Le génocide est dirigé contre le groupe national comme entité, et les actions qu’il entraîne sont dirigées contre les individus, non dans leurs capacités individuelles, mais comme membres du groupe national. »
L’objectif de la convention est donc avant tout de sauvegarder l’existence des groupes humains avant leur destruction physique. De ce fait et en cela, un ethnocide est déjà un génocide.
Quant à l’intention génocidaire, elle n’est pas juridiquement définie. Elle n’est évidemment (plus) jamais écrite et non « affichée » ou « revendiquée », par les régimes qui la mettent en pratique. Les juridictions internationales doivent donc procéder méthodiquement, analyser les dossiers, les actes, les faits, leurs conséquences, écouter les témoignages, pour déduire cette intention.
Pendant le procès des accusés du Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie , les juges ont ainsi assimilé la politique du parti serbe à l’intention spécifique propre aux dirigeants politiques et militaires qui l’ont prônée et effectivement conçue.
C’est encore de façon méthodique que le tribunal ouighour de Londres réunissant des experts et groupes d’avocats, spécialisés en droit international et en droits de l’homme, a retenu le 9 décembre 2021, malgré l’absence de preuve de massacre de la minorité musulmane ouïgoure, la prééminence « des éléments d’un génocide intentionnel », tels que définis par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’Organisation des Nations-Unies (ONU).
Ce rapport faisait suite à celui rendu par un think thank indépendant américain, Newlines institute for strategy and policy de mars 2021 ayant aussi retenu l’intention génocidaire et donc le crime de génocide.
Intention balayée par la déclaration laconique de Clémentine AUTAIN, experte parmi les experts : « le tribunal de Londres a une définition du génocide extensive, qui n’est pas celle qui fait consensus au sein de la communauté internationale ».
« L’inflation des mots ne peut pas camoufler la faiblesse des actes de ceux qui sont au pouvoir ». Il est pour le moins illusoire, sinon hypocrite, de se récrier sur une qualification de génocide, tout en poursuivant des rapports commerciaux assidus avec la Chine.
Mais « mal nommer les choses, [n’est ce pas] ajouter aux malheurs du monde » ?
Le pragmatisme n’est pas non plus considérer que nos choix nous positionnent mécaniquement aux côtés ou contre un bloc impérialiste ou non. Rien n’empêche la Chine d’être exemplaire et transparente. Son sort ne dépend pas de nous et nous ne sommes complices de rien, si ce n’est de de nos « pudeurs de gazelles ».
Nous sommes en revanche comptables de certains devoirs, indissociable contrepartie des droits dont on estime qu’ils sont notre droit.
Qu’ils nous conduisent à utiliser tous les moyens fussent-ils juridiques, symboliques, étatiques, que sais-je encore, pour élever notre conscience et notre indignation, non pas « au rang de juges », mais à celui de procureurs exigeants, requérant l’effectivité des droits et de la dignité humaine.
Rappelons nous qu’«on n'est grand Homme qu'à la condition d'être Homme d'abord ».