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Docteure en histoire de la médecine. Psychotropes, psychédéliques, médicaments, XIXe - XXIe siècles.

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Billet de blog 7 décembre 2025

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De la coca utilisée à Milan dès le XVIIe siècle ?

C'est la découverte fascinante que vient de faire une équipe italienne et je vous en fait le compte rendu !

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La coca est une plante extrêmement fragile ; pendant des siècles, les botanistes ne parviennent pas à en envoyer en Europe pour l’étudier, car elle ne supporte pas les longs mois de voyages en bateau. C’est donc seulement en 1750, grâce au botaniste français Joseph Jussieu, que son frère Antoine, professeur au Jardin du Roi à Paris, parvint à obtenir un plant de coca vivant. Jussieu en fit don au Museum d’Histoire Naturelle, et j’ai eu l’immense privilège d’aller voir cet échantillon dans leurs collections il y a quelques années.

Illustration 1
Merci à Laëtitia Carrive, ingénieure de recherche au Museum, pour cette visite !
Illustration 2


Le spécimen envoyé par Jussieu est classé par Lamarck dans le genre Erythroxylum Coca, il devient l’isotype de la plante, c’est-à-dire le modèle auquel les botanistes doivent se référer pour établir si une plante contient bien toutes les caractéristiques de l’espèce. Dès 1753, soit seulement trois ans après l’envoi de plants de coca en France par Jussieu, un article « coca » est présent dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (voir le super site de Enccre qui a numérisé et mis en ligne l’ensemble des volumes !). La coca n’est présentée que sous le désignant « botanique » : en effet, les récits dont fait l’objet la plante ne permettent pas à l’auteur d’avoir des connaissances suffisamment certaines sur ses propriétés. La coca est alors une plante « mythique », que les récits de voyages présentent comme stimulante, mais sans que des études scientifiques n’aient pu être menées. C’est seulement à partir des années 1850, grâce aux évolutions techniques des navires, que des plants de coca plus nombreux vont arriver en Europe et pouvoir être analysés, menant à la découverte de la cocaïne en 1859. J’ai raconté cette histoire dans le podcast Apothicast ainsi que dans un post précédent ici.

Illustration 3
Feuilles de coca séchées

Sauf que donc, une équipe italienne vient de faire une découverte exceptionnelle : des traces de cocaïne ont été retrouvées dans deux restes humains datant du XVIIe siècle Les corps examinés étaient enterrés dans la crypte d’un hôpital. Les individus dont les restes (leurs cerveaux précisément) ont été analysés font partie des couches sociales les plus pauvres de la ville, puisque soignées et décédées à l’hôpital. 3 hommes, 3 femmes et 2 personnes dont le sexe n’a pas été identifié ont été étudiés, ayant entre 11 et 45 ans environ. Sur ces 8 cerveaux, 2 présentaient des traces de cocaïne, notamment chez un homme âgé de 30 à 45 ans souffrant de syphilis. L’autre résidu cérébral n’a pas pu être rattaché à un corps pour en déduire plus d’informations. Les scientifiques ont donc retrouvé des traces de cocaïne, mais c’est la troisième molécule détectée, l’hygrine (un alcaloïde présent uniquement dans les feuilles de coca), qui permet de prouver que les traces provenaient bien de la mastication de feuilles de coca ou de feuilles infusées sous forme de thé, et non d’une contamination accidentelle.

Illustration 4
Vase Inca (entre 1430 et 1660 de notre ère) représentant une personne machant de la coca (déformation de la joue à gauche)

Autre info fascinante : le fait que ces molécules aient été détectées dans des échantillons de tissus cérébraux implique que la prise de coca a eu lieu à proximité du décès des individus. Elle peut même mettre en évidence une prise de la plante juste avant la mort du sujet, donc un usage qu’on qualifierait aujourd’hui de palliatif, pour soulager la douleur des mourants, la coca étant un antalgique connu des populations andines depuis la Préhistoire ! L’équipe n’exclut pas toutefois que l’usage puisse être également « récréatif » et que la plante ait été consommée avant l’admission à l’hôpital. Cette découverte permet donc d’établir que des connaissances sur la coca étaient disponibles dès le XVIIe siècle en Europe, certainement dans des milieux de commerçants et de marins, et que ses propriétés thérapeutiques aient pu être mises à profit bien avant que la médecine officielle Occidentale ne s’y intéresse ! Par ailleurs, cela signifie que des individus avaient trouvé un moyen de transporter les feuilles de la plante sans qu’elles ne se détériorent, et peut-être qu’il en existait un commerce européen à ce jour totalement inconnu des historien·nes ! Je le répète sans arrêt mais on a besoin de plus de recherches en Histoire des psychotropes sur ces périodes et cette découverte engendrera j’espère des vocations =)

L’équipe a également retrouvé du THC et du CBD dans 22 % d’autres échantillons de la même crypte, ce qui indique que le cannabis était utilisé par les populations italiennes, et pour le coup de manière fréquente. Or les archives de l’hôpital, conservées, ne font pas état d’usage de la plante dans la pharmacopée. Le cannabis n’était donc pas employé en tant que médicament. Les scientifiques émettent donc l’hypothèse qu’il s’agisse d’un usage « récréatif » ou d’automédication. Il s’agit à ce jour de la première étude ayant détecté de la cocaïne et du cannabis aussi anciens dans des restes ostéologiques humains. C’est passionnant !!!

L’article sur la coca : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305440324001080

L’article sur le cannabis : https://www.sciencedirect.com/science/articl

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