Ce qui naît ne saurait inspirer autre chose que le rêve et l’espérance, alors à l’aube de cette année 2013, osons même l’utopie d’un monde où la coopération pousserait hors de la piste mondiale la concurrence.
Pourtant, c’est bien la concurrence qui oriente idéologiquement tous nos échanges, à commencer en Europe où la versatilité du contrat est préférée à la stabilité de la loi, et « les solutions induites par le marché » (sic) prônées comme les vecteurs magiques de la diversité.
Parmi les ardents défenseurs de la diversité, on repère en première ligne ceux qui refusent le plus de contribuer à son financement : les importateurs de matériels électroniques dont l’intérêt marchand ne résisterait pourtant pas longtemps à l’assèchement des contenus culturels. Ainsi la part de la copie privée (25% en France) qui abonde les programmes de soutien à la création artistique, aux festivals, et à des missions d’intérêt général telles que l’appui aux réseaux professionnels (par exemple Zone Franche) fait actuellement l’objet de remises en cause brutales de la part d’industriels arrogants et aux visées courtes. En France, ce sont environ 50 millions d’euros qui sont suspendus à la décision de la cour européenne de justice, saisie sur le sujet de la part affectée à des actions autres que la redistribution aux ayants-droit. Parallèlement à cela, la main ferme et souvent invisible de l’Union Européenne remet en cause la souveraineté des Etats à mener des politiques publiques sociales, culturelles, toujours au nom d’une concurrence non faussée, idéologie libérale travestie en neutralité pragmatique qui ne souffrirait aucune controverse.
Nous devons donc défendre la responsabilité éthique de la puissance publique à protéger et promouvoir la diversité culturelle.
Dans un contexte dont on ne conteste pas les mutations technologiques et leur impact sur les activités de commerce, nous affirmons la permanence de valeurs qui ne se monétisent pas. A commencer par celle de la découverte d’une autre musique, d’un autre langage, l’expérience sensible de l’art, dont personne ne peut rendre compte autrement que par notre tacite et commun accord, de celui que l’on vit au «concert», ce moment si justement nommé, antidote au combat hélas permanent qu’il faut mener pour que cette diversité soit plus qu’un accessoire dans des discours, des habillages marketing, voire des postures intellectuelles qui n’engagent à rien.
Dans le sillage du chantier pour un centre national de la musique mené sous le précédent gouvernement, la Ministre de la culture a lancé une nouvelle mission de concertation, dite «Lescure», plus radicalement orientée sur les contenus numériques. Des premiers constats rendus publics en décembre, on sent que l’énergie de la mission est tournée trop exclusivement vers la protection d’un marché intérieur, malmené par une « prédominance américaine (qui) soulève des problèmes de souveraineté économique et culturelle. Il est crucial que l’industrie de la culture adopte une attitude offensive dans sa conversion au numérique » (cf rapport d’étape de la mission, 6 décembre 2012).
Il serait regrettable qu’en agitant le chiffon rouge d’une guerre économique à mener pour combattre les effets néfastes de la mondialisation on en oublie de promouvoir les effets les plus positifs, à savoir l’enrichissement de l’humanité toute entière par la dialectique entre toutes les cultures et l’égale reconnaissance des savoirs, des pratiques. Et que sous prétexte que quelques géants du monde occidental s’affrontent sur un axe est-ouest, on raye de notre imaginaire la relation nord-sud, certes contrastée, mais qui scelle une communauté de destin.
Il serait urgent que les responsables des politiques publiques écoutent plus fort les voix plurielles, majoritaires en nombre mais minoritaires en moyens médiatiques, à commencer par celles des publics que l’on ne sait questionner autrement que par le comptage de ses actes de consommation.
Dans un précédent édito, Frank Tenaille soulignait le renouvellement récent du discours politique autour de la francophonie. Nous retiendrons du discours du président Hollande le lien qu’il fit entre francophonie et démocratie. Nous attendons que les concertations initiées par la sphère culturelle se fassent sous les auspices de la démocratie, et non de simples correctifs appliqués à un libéralisme économique qui fossilise la diversité culturelle, et par là même, appauvrit notre humanité toute entière.
Fabienne Bidou, directrice de Zone Franche
Janvier 2013