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Billet de blog 15 octobre 2025

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Une Algérienne au pays de Jean-Louis Murat

De l’Algérie à l’Auvergne, une écrivaine raconte comment la voix de Jean-Louis Murat a traversé la mer pour résonner dans sa vie. Un roman-poème né du deuil, de la fidélité et de la grâce de l’écriture.

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Illustration 1

"Aussi loin que je me souvienne de ce que j’aimais dans ma jeunesse, je sais que la musique a toujours occupé une place particulière. Pour ainsi dire, mes souvenirs ont de tout temps été bercés ou secoués par des chansons diverses".  Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

Je vis en Algérie.
C’est dans ce pays et  ce ciel familier, que la voix de Jean-Louis Murat m’a un jour traversée.
Elle m’est parvenue comme un écho venu d’ailleurs, reconnaissable pourtant, comme si elle avait trouvé le chemin jusqu’à moi pour dire ce que je n’avais pas encore su formuler.

Lorsque Murat nous a quittés, en mai 2023, l’écriture s’est imposée d’elle-même. Pas pour combler le vide, mais pour en faire quelque chose de vivant.
C’est ainsi qu’est né Zou au pays de Jean-Lou, un roman-poème qui explore l’œuvre de Murat en résonance avec ma propre vie — entre les terres rouges de Mascara et les volcans verts d’Auvergne.

Ce livre est la première partie d’un ensemble plus vaste. J’y traverse, album après album, l’univers foisonnant de Jean-Louis Murat, en y mêlant ma voix, mon regard, mes paysages. C’est un travail d’écoute et de fidélité, parfois drôle, parfois sérieux, mais toujours sincère.
Écrire à la première personne a été pour moi un exercice difficile — presque un sacrifice — mais c’était la seule manière d’approcher l’intimité de cette œuvre, d’y mettre de la chair, du romanesque et un humour tendre.

"Quand on vit en Algérie en 1991 et même avant, et jusqu’à aujourd’hui (2023), aucune chance d’acheter un album de Jean-Louis Murat, ni en magasin, ni en contrebande, ni par hasard. Je pouvais creuser et trouver du pétrole, pourquoi pas, mais tomber sur une K7 de Murat ? Même pas en rêve." Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

Je ne cherche pas à me promouvoir. Ce que je souhaite, c’est que ce livre circule, qu’il touche peut-être celles et ceux qui aiment Murat, mais aussi ceux qui ne le connaissent pas encore.
Peut-être que parmi vous, si ce n’est pas pour vous-même, il y a quelqu’un à qui vous aurez envie de faire découvrir son œuvre.
Parfois, la musique ne passe pas directement : elle a besoin d’un détour.
Et si ce détour, c’était la littérature ?

Car Zou au pays de Jean-Lou est aussi une porte d’entrée vers l’univers de Murat — une façon d’en faire entendre la voix à ceux dont les oreilles étaient jusque-là fermées à son œuvre.
Et pour les admirateurs de longue date, ce livre offre une autre manière de se replonger dans ses chansons : en les lisant, en les revivant autrement.

Avec toute modestie, je crois avoir inventé une forme nouvelle : celle d’un roman-poème critique, où la littérature se met au service de la musique. Moi-même, quand je relis certaines pages, c’est comme si les chansons reprenaient vie.

"Personne n’a jamais compris pourquoi, durant toutes ces années, je restais fidèle à mon chanteur. Pourquoi son univers musical m’habitait-il à ce point, lui, le marginal, le révolté, l’ermite épicurien, la grande gueule qui refusait la facilité des chansons fabriquées par les marqueteurs." " Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

Enfin, j’ai décidé de reverser la moitié des revenus de ce livre à l’Institut Jean-Louis Murat, afin de soutenir la transmission et la célébration de son œuvre.

Murat, l’écrivain qu’il n’a pas voulu être

À travers ses textes, Jean-Louis Murat avait tout d’un écrivain.
Je le crois même : Murat était un écrivain qui s’est ignoré, peut-être sciemment.
Il s’est sans doute imposé la barre trop haute — au point de ne pas vouloir sauter le pas.

Dans Zou au pays de Jean-Lou, ce n’est pas Murat que j’ai voulu raconter, mais l’œuvre de Murat.
C’est elle, l’héroïne de ce roman.
Et quelque part, c’est une forme de justice : rendre à son écriture ce qu’elle a toujours contenu — une matière littéraire.

Car Murat était fait pour la littérature.
Il aimait la langue française comme un artisan amoureux de sa pierre.
Il composait des strophes, des vers, des images, mais refusait qu’on les appelle poésie.
Pourtant, tout en lui relevait de cet art-là : celui qui donne forme à l’invisible.

Je ne m’en rendais pas compte en écrivant ce livre, mais aujourd’hui je le sais :
Murat est littérature.
Son œuvre méritait de se déposer sur la page, de devenir roman, d’être lue autrement.
C’est ma manière, à moi, de lui rendre hommage — et peut-être d’inviter d’autres lecteurs, d’autres écrivains, à poursuivre ce geste.

"La Vie en Clips: "– L’ange déchu (Cheyenne Autumn, 1989)

 « Je jette une orange vers l’astre mort, quand s’éveille l’ange ».

On évoque souvent la madeleine de Proust ; pour moi, ce sera l’or’ange Murat, beau comme un ange, silhouette fragile prenant le train dans un film ancien, comme aux temps du cinéma muet. Une image suspendue comme un astre vivant qui se reflète en moi, petite fille muette qui chantonnait en secret dans sa tête.

« Chaque jour / Les nostalgies nous rongent / Sans retour nous dérivons »

« Je crains tant le souffle / Du temps sur moi. »

Le souvenir s’installe comme un brouillard, nécessaire et inquiétant à la fois " Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

L’art qui devient soi

"Je vis dans une langue apprise par le chant, dans une mémoire faite de souvenirs vrais et d’inventions nécessaires. Je suis un peu d’ici, un peu d’ailleurs, façonnée par les airs d’Égypte, les révoltes de Paris, les silences de Mascara. " Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

Depuis que j’ai écrit Zou au pays de Jean-Lou, j’ai compris qu’il existait un état particulier — celui de la résonance.
Écrire sur la musique de Jean-Louis Murat, c’était d’abord une manière de traverser le manque, de l’apprivoiser. Mais au fil du travail, quelque chose s’est déplacé : la douleur s’est transformée en joie.
J’ai découvert ce que j’appellerais la grâce créatrice — cet instant où l’écriture cesse d’être un effort pour devenir un souffle.

Chaque relecture me ramène à cet état. Il y a dans ces pages une énergie que je ne m’explique pas, une clarté intérieure. Relire un passage, c’est comme réécouter une chanson : les mots vibrent, les images se rallument, et une paix étrange s’installe.
Parfois même, quand la fatigue ou la douleur m’alourdissent, il me suffit de rouvrir le livre, de relire une phrase, pour que tout s’allège.
Comme si j’avais, sans le savoir, capturé un peu de cette lumière que la musique de Murat portait en elle.

Écrire ce livre a été une expérience presque alchimique.
L’émotion s’y changeait en forme, la mélancolie en rythme, la voix de Murat en matière littéraire.
Et à travers ce lent passage de la musique aux mots, quelque chose s’est accompli : l’art est devenu soin, et l’écriture, une manière d’habiter la vie.

Zou au pays de Jean-Lou est paru aux Éditions du Net.
Mais au-delà de la parution, il s’agit avant tout d’un geste de fidélité — un lien entre deux terres, deux sensibilités, et une voix qui continue, envers et contre tout, à chanter dans nos vies.

"-Et toujours Murat : D’un col à l’autre, à travers la voix

Ma fascination pour les montagnes et les cartes est née un jour de musique, dans le sillage des chansons de Jean-Louis Murat : Le Col de la Croix-Morand, Montagne. Des titres comme des passe-montagnes pour franchir l’horizon, deux morceaux de territoire chantés qui ouvraient en moi des paysages inconnus. Je venais de découvrir l’Auvergne sans quitter ma chambre, porté par une voix qui savait faire surgir les reliefs d’un mot. " Extrait de Zou au pays de Jean-Lou

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