Zouhir Satour 38

Abonné·e de Mediapart

19 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 août 2025

Zouhir Satour 38

Abonné·e de Mediapart

Violences urbaines : au-delà du narcotrafic, comprendre la fracture française

Zouhir Satour 38

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Juillet 2025, Béziers, Nîmes et Limoges sont secouées par une vague de violences urbaines d’une intensité notable, expliquée par les autorités et les médias principalement par un contexte de trafic de stupéfiants et de tensions entre bandes.

Nous observons que chaque nouvelle flambée de violences urbaines ravive les mêmes réflexes politiques et médiatiques. Les émeutes, les affrontements avec les forces de l’ordre, les incendies de bâtiments publics sont aussitôt interprétés comme les signes d’une emprise grandissante du narcotrafic

Il est certain, que cette lecture est désormais devenue la grille d’analyse dominante. Car elle rassure l’opinion en offrant une explication simple, d'une part et permet au pouvoir politique de répondre rapidement, par la force, en légitimant un discours d’autorité, d'autre part.

Cette lecture qui réduit des violences à de simples affrontements entre bandes sert à masquer les véritables causes structurelles du malaise, c'est-à-dire, une fracture sociale, territoriale et symbolique profondément enracinée.

Derrière l'explosion, un terreau d’abandon social 

Il n'échappe à personne, que les quartiers dits " sensibles " ou "prioritaires " cumulent depuis des décennies les symptômes de la relégation. Un chômage qui dépasse parfois les 30 %, des taux de pauvreté parmi les plus élevés du pays, un habitat dégradé, un accès restreint aux services publics, des transports défaillants, une offre scolaire appauvrie.

Ce sont des territoires où l’égalité républicaine, pourtant au cœur du pacte national, apparaît comme une promesse lointaine, voire illusoire. Ces constats, établis de longue date par les sociologues et les urbanistes, sont largement documentés dans les travaux de l’Observatoire des inégalités ou de l’INSEE qui confirment sans surprise, que ces formes de délinquance et violences sont fortement concentrées dans les quartiers populaires les plus affectés par le chômage des jeunes, la précarité et la ségrégation urbaine. Même si tous les quartiers sensibles ne sont pas frappés de la même façon.

Mais au-delà de ces constats, ce sont les vécus quotidiens qui construisent le ressentiment. Dans ces espaces souvent qualifiés de " périphéries invisibles ", selon l’expression du géographe Christophe Guilluy, les jeunes grandissent avec un double sentiment : celui d’être oubliés par les institutions et celui d’être jugés d’avance.

Ce décalage entre le discours républicain et l’expérience réelle produit une dissonance qui alimente une colère sourde. Les émeutes ne naissent pas dans le vide. Nous savons, qu'elles surviennent souvent à la suite d’un événement déclencheur, un décès lié à une intervention policière, un contrôle jugé abusif, une décision perçue comme injuste, qui agit comme un révélateur d’un mal-être plus profond.

Didier Lapeyronnie, sociologue spécialiste des banlieues, explique ces violences urbaines comme l'expression d’un " langage négatif". Selon lui, il ne s’agit pas d’un projet structuré, ni d’un mouvement politique organisé, mais d’une manière de faire irruption dans l’espace public lorsqu’aucune autre voie d’expression ne semble possible.

L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, la politique apparaît lointaine, technocratique, déconnectée , le monde du travail exclut ou discrimine.

Alors, certains jeunes, sans structure ni porte-voix, expriment leur colère dans la rue, dans la confrontation. Cette violence porte une signification politique : elle est le cri d’une jeunesse qui ne se sent ni écoutée ni reconnue.

Quand la répression masque l’urgence d’une politique d’inclusion et de reconnaissance 

La réponse institutionnelle à ces explosions de colère est pourtant presque toujours la même : mobilisation exceptionnelle des forces de l’ordre, renforcement des peines, discours sur l’autorité, annonces sur la reconquête républicaine des " territoires perdus ".

On assiste alors à une confusion entretenue entre les jeunes émeutiers et les acteurs du trafic de drogue. Or, ces deux groupes n’ont ni les mêmes logiques ni les mêmes objectifs.

Le narcotrafic est une réalité indéniable : des réseaux structurés, parfois violents, occupent le terrain et peuvent chercher à affaiblir l’autorité de l’État. Mais ils ne sont pas à l’origine des émeutes. Ils en profitent parfois, mais n’en sont pas les instigateurs.

Cette confusion, pourtant entretenue par les discours officiels, permet d’effacer la dimension sociale et symbolique des violences pour n’y voir qu’un problème de sécurité.

En réduisant ainsi les événements à une simple question de maintien de l’ordre, le débat public se détourne des causes structurelles : l’échec des politiques d’intégration, le désengagement progressif de l’État social, la ghettoïsation urbaine, la crise de l’école publique dans certains territoires, le désengagement associatif, le manque d’emplois accessibles à des jeunes sans réseau, la discrimination raciale persistante .

Autant de réalités qui participent à la fragmentation de ces territoires et accentuent les dynamiques de ghettoïsation.

Vouloir traiter ces problèmes par des drones, des CRS ou des peines planchers, comme le proposent certains responsables politiques, me paraît être une stratégie de court terme qui peut apaiser temporairement les tensions, mais laisse intact, voire aggrave, les ressorts profonds de la violence.

La situation est d’autant plus préoccupante que les rapports entre les jeunes et les forces de l’ordre se sont considérablement tendus ces dernières années.

Dans un entretien accordé au journal Le Monde du 5 juillet 2023, Fabien Jobard, politiste spécialiste des pratiques policières, montre comment la loi de février 1981 a juridiquement légitimé les contrôles d'identité ciblant les jeunes issus des quartiers populaires.

Et de conclure que les contrôles d’identité répétés, les interpellations ciblées, les attitudes perçues comme provocatrices participent à construire un climat de confrontation.

En effet, comme le montrent toutes les enquêtes menées ces dernières années, les jeunes issus de l’immigration ou vivant dans des quartiers populaires sont surreprésentés parmi les personnes contrôlées. Ce traitement différencié crée un sentiment d’injustice, qui se transforme en hostilité. Loin d’apaiser les tensions, ces pratiques sécuritaires nourrissent un ressentiment durable à l’égard de l’État.

Cette défiance est particulièrement forte chez une partie de la jeunesse qui se sent exclue non seulement socialement, mais aussi symboliquement.

Elle ne se reconnaît ni dans les institutions, ni dans les élites, ni dans le récit républicain. Elle n’a pas de place dans l’espace médiatique, sauf pour être montrée du doigt. Elle n’est pas écoutée dans les espaces politiques, sauf pour y être accusée d’hostilité.

Cette fracture du lien civique est peut-être la plus inquiétante. Elle témoigne non seulement d’une crise de redistribution, mais aussi d’une crise de reconnaissance.

Face à cela, il serait illusoire de penser que la solution peut venir uniquement du répressif. Il est certes nécessaire de protéger les personnes et les biens. Mais l’ordre seul, sans justice, ne suffit pas.

Il faut penser une réponse à la hauteur des enjeux : une politique volontariste de lutte contre les inégalités, un effort massif dans l’école, la santé, l’emploi, la culture, la médiation sociale.

Il faut réinvestir ces quartiers non comme des zones à pacifier, mais comme des territoires à considérer, à comprendre, à intégrer pleinement.

Et surtout, il faut cesser de parler sur ces jeunes, et commencer à parler avec eux.

Les violences urbaines, aussi inacceptables soient-elles dans leurs formes, sont le symptôme d’une République en panne dans certains de ses territoires. En les réduisant à une question de narcotrafic, on choisit la facilité politique.

Mais cette facilité a un prix : celui d’entretenir le cycle de défiance, de stigmatisation, et d’exclusion. Pour y mettre fin, il faut oser une autre approche : plus sociale, plus humaine, plus politique.

Non pas excuser la violence, mais en comprendre les causes. Non pas justifier l’émeute, mais reconnaître ce qu’elle révèle. Et reconstruire, patiemment mais résolument, le lien entre l’État et ceux qu’il a trop longtemps regardés de loin.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.