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Billet de blog 3 novembre 2025

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La valse des ministres et la mélodie de l’impuissance

Cette succession de ministres-éclairs n’est pas qu’une curiosité politique : elle dit quelque chose de notre époque. Elle révèle un gouvernement du geste, pas du temps. On ne gouverne plus pour transformer, mais pour signaler qu’on agit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est des phrases qui reviennent comme des refrains dans la bouche des ministres. Celle du moment, "la situation n’est pas satisfaisante", a été prononcée récemment par le ministre de l’Industrie. Elle aurait tout aussi bien pu l’être par ses prédécesseurs, ou par n’importe lequel de ses collègues : ministre de l’Éducation, de la Santé, de la Fonction publique… tous ont eu leur moment de lucidité tardive, juste avant de disparaître dans le grand manège des remaniements.

Le ministre de l’Industrie donc, fraîchement arrivé, plaide pour une "réindustrialisation massive" de la France. Une noble ambition, certes, mais à laquelle on ne peut s’empêcher de sourire, un sourire mêlé de lassitude. Car combien de fois avons-nous entendu ce discours ? À chaque gouvernement, le pays doit "retrouver sa souveraineté industrielle", "reconquérir son tissu productif", "relancer l’innovation française". On organise des "Assises de la reconquête", des "États généraux de la compétitivité", des "plans France 2030", "France 2040", "France éternelle", pourquoi pas.
Et pourtant, le résultat est le même : on ferme une usine ici, on inaugure un prototype là, et on se félicite d’avoir "posé les bases" d’un renouveau que plus personne ne verra.

La comédie se joue à un rythme soutenu. Chaque nouveau ministre arrive, découvre les statistiques (les mêmes depuis vingt ans), s’indigne, et annonce un plan "structurant", "ambitieux", "transformant". Mais comme son temps de mandat se compte en mois, parfois en semaines, il ne verra jamais le début d’une mise en œuvre. C'est la politique du temps court, celle où l'urgence médiatique a remplacé la vision historique.

Les ministres sont désormais des passants dans leurs propres bureaux. Ils n’ont plus le temps d’être des politiques. Ils sont des gestionnaires de communication, condamnés à commenter la situation qu’ils n’ont pas le temps de changer.

Prenons l’Éducation nationale, symbole parfait de cette tragédie comique.
Chaque nouveau ministre arrive avec la certitude de "refonder l’école". C’est un classique du genre. Le précédent voulait "restaurer l’autorité" ? Le suivant veut "réenchanter la transmission". L’un parle de "socle commun", l’autre de "choc des savoirs". Tous se disputent le même diagnostic : le niveau baisse, les profs sont à bout, les élèves décrochent. Mais plutôt que de s’inscrire dans une continuité, chacun veut laisser "son empreinte", une marque de fabrique, un concept à son nom. Alors on réforme, on contre-réforme, on supprime ce que l’autre avait mis en place, avant d’être soi-même balayé par le vent du remaniement.
Les enseignants, eux, regardent tout cela avec la résignation d’un peuple habitué aux invasions successives : "Tiens, un nouveau ministre… Voyons ce qu’il va vouloir tester cette fois."

Et pendant que l’on change de ministre comme on change de décor, la réalité, elle, ne bouge pas. Les entreprises continuent de fermer faute de stratégie à long terme ; les élèves continuent de décrocher faute de stabilité. La France devient le pays des réformes qui n’arrivent jamais à maturité, éternellement "en transition", vers quelque chose d’autre, toujours remis à demain.

Cette succession de ministres-éclairs n’est pas qu’une curiosité politique : elle dit quelque chose de notre époque.
Elle révèle un un gouvernement du geste, pas du temps.
On ne gouverne plus pour transformer, mais pour signaler qu’on agit. L’annonce, la conférence de presse, le tweet, la photo devant une usine : voilà la véritable action publique. L’effet immédiat remplace l’effet durable. Le symbolique supplante le concret. C’est une politique d’apparence où l’on cherche moins à produire du changement qu’à produire de l’image.

Le ministre de l’Industrie qui plaide pour la réindustrialisation, c’est le pompier qui, depuis des décennies, commente les incendies de son propre service.
Le ministre de l’Éducation qui promet la refondation, c’est le remplaçant du remplaçant, chargé d’enseigner la réforme avant la fin du trimestre.
Et tout cela se déroule sous le regard d’un public devenu cynique, qui a cessé d’attendre autre chose que des déclarations d’intention.

Tragique, car le pays s’affaiblit à force d’immobilisme. Comique, parce que chacun joue son rôle avec un sérieux désarmant.
On se croirait dans une pièce de théâtre absurde. Les acteurs changent toutes les dix minutes, mais la scène reste la même, celle d’un pays en attente de continuité.

Alors, quand le prochain ministre déclarera que "la situation n’est pas satisfaisante", on ne pourra que lui donner raison. Mais on le sait déjà. Il n’aura pas le temps de la rendre meilleure.
Il aura à peine celui d’y réfléchir avant de rendre les clés du ministère, avec pour seul héritage un discours de plus dans la collection des promesses non tenues.

Et pendant ce temps, nous continuons d’attendre, patiemment, qu’un jour quelqu’un reste assez longtemps pour peut-être tenir parole.

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