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Billet de blog 4 décembre 2025

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Quand LCI banalise la parole raciste sur les quartiers populaires

En relayant, sans aucun travail de contextualisation, des stéréotypes à la fois racistes et néocoloniaux, LCI et bien d’autres médias contribuent activement à imposer une grille de lecture biaisée, où les quartiers populaires se voient réduits à une dangerosité supposée, au détriment de leur complexité sociale et de leur diversité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeudi 27 novembre 2025, dans l’émission "Brunet sans filtre", sur LCI, une chroniqueuse, en l’occurrence, Isabelle Saporta a fustigé sans merci, les jeunes des quartiers lors d’un débat sur le nouveau service national. Répondant à la proposition d’un ancien général de l’armée, qui suggérait d’encourager ces jeunes à s’engager, elle a déclaré : "Il y a une question qui m’angoisse : comment encourager l’engagement de ces jeunes, alors qu’ils ont tous versé dans le narcotrafic ? Ils sont tous armés." Elle a ajouté, avec ironie : "C’est peut-être pour leur apprendre à mieux tirer....d’ailleurs, on ne pourra jamais les récupérer dans la République."

Il me parait, que ce type de déclaration offre un prisme révélateur des processus contemporains par lesquels se construit l'altérité, tant sur le plan social que racial. Ce qu'il met en lumière, c'est la manière dont l’espace médiatique français, contribue à renforcer des catégories stigmatisantes et à légitimer une vision hiérarchisée de la citoyenneté.

Il faut bien voir, que l’association systématique entre résider dans un quartier populaire et appartenir à une sphère délinquante constitue une généralisation scandaleuse.

En gommant la diversité d’une population au profit d’une uniformisation artificielle, cette stratégie évacue toute nuance sociologique. Elle impose une norme fondée sur une réalité minoritaire, substituant aux faits une image stéréotypée et réductrice. Celle-ci, vise à produire une catégorie d’individus perçus comme déviants avant même toute observation factuelle.

L’affirmation selon laquelle, ces jeunes seraient "armés" et susceptibles de détourner un dispositif civique à des fins d’entraînement au tir relève purement du fantasme. Or, ce type de discours, largement documenté par les travaux sur les processus de racialisation, consiste à attribuer à certaines populations une dangerosité intrinsèque, indépendamment de leurs comportements effectifs.

En propageant de telles représentations, on opère un glissement insidieux : la question sociale se trouve évacuée au profit d’une lecture exclusivement sécuritaire, rendant toute analyse structurelle des inégalités impossible. Ainsi, quand cette chroniqueuse affirme que ces jeunes, assimilés sans nuance à l’ensemble des habitants des quartiers populaires, auraient "quitté la République", elle transforme leur marginalisation en un choix délibéré, occultant les mécanismes mêmes qui la produisent.

Elle passe délibérément sous silence une réalité. Les quartiers populaires cumulent les difficultés. Manque d'investissement public depuis des années, discriminations à l'embauche et lors des contrôles policiers...

Autrement dit, la marginalisation ne résulte pas d’une défection volontaire, mais de conditions sociales structurelles. Et cela, Isabelle Saporta le sait bien.

En imputant à une population la responsabilité d’une situation qu’elle subit, ses propos opèrent une dépolitisation, en toute connaissance de cause.Cela permet de faire disparaître les logiques institutionnelles au profit d’une lecture moraliste. Cette inversion est l’un des ressorts majeurs de la stigmatisation contemporaine.

En relayant, sans aucun travail de contextualisation, des stéréotypes à la fois racistes et néocoloniaux, LCI et bien d’autres médias contribuent activement à imposer une grille de lecture biaisée, où les quartiers populaires se voient réduits à une dangerosité supposée, au détriment de leur complexité sociale et de leur diversité.

Il parait évident, que ce cadrage a pour but, d'orienter l’opinion publique vers des solutions exclusivement sécuritaires, au détriment des politiques sociales.

Le fait que ces propos n’aient pas été contestés en direct leur confère une légitimité implicite.

Cette absence de régulation constitue un problème démocratique majeur. Car, elle transforme la parole médiatique en instrument de consolidation des préjugés, plutôt qu’en espace de vérification ou d’analyse.

Le discours de la chroniqueuse révèle une conception implicite et différenciée de la nation : certains jeunes seraient présumés “déjà dedans”, d’autres , "impossible à intégrer" ou à “à surveiller”.

Appeler à l’unité nationale, tout en validant des représentations qui fragmentent symboliquement la société constitue une contradiction majeure.

Le Service national ne peut prétendre à l’universalité, si certaines catégories de citoyens sont préalablement construites comme illégitimes ou potentiellement dangereuses.

Les propos tenus sur LCI constituent un jalon supplémentaire dans un processus plus large de stigmatisation médiatique des quartiers populaires et leurs populations postcoloniales. Leur caractère problématique tient surtout, à leur capacité à produire et stabiliser des catégories sociales qui structurent l’action publique.

En essentialisant une partie de la jeunesse, en inversant les responsabilités de la marginalité et en substituant aux analyses structurelles un récit sécuritaire simplificateur, ce discours contribue à fragiliser encore plus, la cohésion sociale.

Il confirme, également une tendance préoccupante. La libération de la parole raciste, qui ne se limite plus aux sphères de l’extrême droite, mais gagne désormais des espaces publics, médiatiques et même politiques. C'est ainsi, que des discours autrefois marginalisés sont normalisés.

Une telle conception n’est pas sans conséquences. Elle justifie des politiques discriminatoires, et exacerbe les fractures sociales. Elle réduit, par ailleurs, "l’universalité républicaine", si tant est qu'elle ait existé, au rang de slogan sans substance.

Enfin, je crois nécessaire de souligner, que la complicité du ce média face à ces propos révèle l’imposture de sa prétendue vocation démocratique. En l’absence de contradiction ou de contextualisation, l’espace médiatique cesse d’être un lieu de délibération pour devenir un vecteur de reproduction des hiérarchies sociales.

Dans ces conditions, je pense, que la critique n’est pas seulement nécessaire : elle est impérative.

Car, le risque est grand, qu'on s’achemine vers une fermeture autoritaire, portée par une politique assumée de surveillance, de tri social et d’exclusion.

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