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Billet de blog 6 octobre 2025

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L’école française sous tension : constats, limites et perspectives

Personne ne peut nier la place qu'occupe l'école dans la société. Mais aujourd'hui plus que jamais. Non pas pour ces performances, mais pour des raisons qui tiennent à un ensemble de difficultés. il est indispensable, de repenser l'école, non pas comme un simple espace d’apprentissage, mais comme un lieu stratégique où se rejouent les grandes fractures de la société contemporaine.

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Personne ne peut nier la place qu'occupe l'école dans la société. De tout temps, elle a été au cœur de l'actualité. Mais aujourd'hui plus que jamais. Non pas pour ces performances, mais pour des raisons qui tiennent à un ensemble de difficultés : multiplication des réformes, inégalités croissantes entre établissements, perte de repères pédagogiques, crise du recrutement des enseignants, montée du décrochage scolaire, violences à l’école... Autant de signes d’un malaise profond. Dans ce contexte, je pense qu'il est indispensable, de repenser l'école, non pas comme un simple espace d’apprentissage, mais comme un lieu stratégique où se rejouent les grandes fractures de la société contemporaine.

Championne des inégalités

Il y a lieu d'observer, que toutes les études menées au cous des dix dernières années, et notamment celles réalisées par le Centre national d'étude des systèmes scolaires alertent sur l'urgence de la situation. Ce qu'elles mettent en évidence est préoccupant : baisse du niveau des élèves, dégradation des conditions de travail des enseignants, ou encore violences en milieu scolaire... Ceci montre, que l’école française peine à remplir sa promesse d’égalité des chances, en particulier dans les territoires les plus vulnérables.

Aussi, il me parait important de souligner, que les défis de l’école française ne relève pas d’un intérêt académique abstrait. C’est une nécessité politique, sociale et éthique. Alors, comment comprendre les blocages structurels du système scolaire français ? Comment imaginer les transformations nécessaires ?

L’école française qui a été longtemps pensée comme "le pilier de la promesse républicaine" traverse aujourd’hui une crise multidimensionnelle, à la fois sociale, institutionnelle et politique . Présentée historiquement comme l’instrument de la méritocratie et de l’ascension sociale, elle apparaît de plus en plus comme un système sélectif, rigide, et inégalitaire. Même si elle conserve des fonctions fondamentales, transmission des savoirs, socialisation civique, construction de l’identité nationale, on voit bien, qu'elle peine à surmonter ses limites structurelles, en particulier dans les territoires les plus fragiles socialement. En effet, l’école se trouve confrontée à un défi de taille. Comment universaliser les savoirs, à partir d’une conception de la réussite qui tient compte des conditions réelles de production des inégalités?

Il me semble important de préciser,qu'en France,les inégalités scolaires sont structurelles. Le système éducatif français est l’un des plus inégalitaires d’Europe, comme l’ont démontré les enquêtes internationales. Le rapport PISA de 2023 montre que l’impact de l’origine sociale sur les performances des élèves y est plus élevé que la moyenne des pays comparables, notamment en mathématiques et en compréhension de l’écrit. Ce constat récurrent interroge : comment expliquer qu’un pays doté d’une forte tradition centralisatrice, d’un corps enseignant hautement qualifié, produise un système aussi inégalitaire ?

Le poids de l’héritage du modèle académique, fondé sur la valorisation des savoirs abstraits, qui continue à façonner l’école française, n’y est probablement pas étranger. Celui-ci repose en effet, sur des formes de compétences culturelles implicites, maîtrise de la langue, capacités d’abstraction, posture scolaire, qui sont plus facilement acquises dans les familles dotées d’un fort capital culturel. Cette situation est particulièrement visible dans les établissements situés en quartiers populaires, souvent classés en éducation prioritaire .

Dans ces territoires, l’école est soumise à des pressions multiples : instabilité du corps enseignant, usure professionnelle, désaffiliation d’une partie des élèves... une étude du ministère de l’Éducation nationale réalisée en novembre 2020, confirme cette réalité. On y apprend, que près de 45 % des enseignants en Réseau Éducatif Prioritaire+, ont moins de cinq ans d’ancienneté, ce qui nuit à la continuité pédagogique. L’enjeu n’est pas uniquement matériel, il est aussi symbolique.

Et si la solution venait du terrain et des acteurs invisibilisés ?

Cependant, cette perception généralisante mérite d’être nuancée. De nombreuses familles des quartiers populaires, bien qu’éloignées des codes scolaires dominants, s’impliquent activement dans la scolarité de leurs enfants. Elles participent aux réunions, sollicitent les dispositifs d’accompagnement scolaire, et expriment une forte attente vis-à-vis de l’école comme vecteur de réussite. Leur implication, bien que parfois informelle ou en marge des canaux traditionnels, témoigne d’un attachement réel à l’institution scolaire et d’une volonté de soutien, souvent dans des conditions de vie difficiles. Le manque de reconnaissance de ces formes d’engagement contribue parfois au malentendu entre école et familles, mais n’enlève rien à leur existence. Sans parler des réformes éducatives, nombreuses au cours des dernières décennies, souvent conçues à la hâte et qui n’ont pas permis de modifier en profondeur cette dynamique.

Le dispositif d’éducation prioritaire, lancé en 1981, portait une ambition claire : compenser les inégalités de départ par une allocation différenciée de moyens. Mais les réformes successives ont dilué cet objectif initial. La Cour des comptes relevait en 2020 une "efficacité limitée du dispositif" soulignant des problèmes de ciblage, un manque d’évaluation rigoureuse, et une instabilité des politiques éducatives locales.

Dans les faits, les établissements en REP+ sont souvent perçus comme des lieux de relégation, et objets d’un évitement scolaire massif, notamment dans les grandes métropoles. Cette ségrégation scolaire est aggravée par la liberté croissante laissée aux établissements dans l’offre de spécialités ou l’accueil des élèves, renforçant la polarisation entre établissements dits "attractifs " et ceux qui ne le sont pas.

La comparaison internationale permet de relativiser le fatalisme français. Des pays comme la Finlande montrent qu’un système éducatif peut conjuguer qualité et équité, à condition de repenser la gouvernance scolaire. En l’absence de hiérarchisation entre les établissements, la formation longue et valorisée des enseignants, et l’autonomie pédagogique accordée aux équipes contribuent à des résultats scolaires homogènes et de bon niveau.

Ce qui n'est pas le cas en France où, l’autonomie scolaire est souvent confondue avec une logique managériale importée du privé . Les chefs d’établissement deviennent souvent à leur corps défendant, des gestionnaires de performance plus que des garants du projet éducatif.

Face à l’ampleur des défis, une refondation pédagogique, institutionnelle et politique de l’école est nécessaire. Il ne s’agit plus de multiplier les réformes techniques, souvent déconnectées des réalités de terrain, mais d’interroger les finalités mêmes du système éducatif.

L’école ne peut être un instrument de tri social ou de sélection académique. Elle doit redevenir un lieu d’apprentissage émancipateur, de construction du commun, et de réduction active des inégalités. Cela implique des choix forts :

- Repenser la formation initiale et continue des enseignants, en intégrant des modules sur les inégalités sociales, les enjeux interculturels, les pratiques inclusives, ainsi que sur la coéducation et le travail avec les familles .

– Investir massivement dans les établissements des territoires prioritaires, avec une politique de stabilisation des équipes, un soutien pédagogique renforcé, et une reconnaissance salariale adaptée.

– Revaloriser les filières professionnelles, encore trop souvent perçues comme une voie par défaut, alors même qu’elles pourraient être des espaces d’innovation pédagogique et de réussite sociale.

– Favoriser une plus grande mixité scolaire, par une régulation active de la carte scolaire.

– Reconnaître et encourager les formes d’implication parentale dans les quartiers populaires, en créant des espaces de dialogue inclusifs et respectueux, loin des jugements implicites sur les "bons" ou "mauvais" parents.

Enfin, il me semble indispensable de redonner du sens à l’école et notamment, pour les enfants issus des milieux défavorisés qui ne s'y sentent pas toujours à leur place .Cela doit se faire, non pas à travers des slogans, mais par une réflexion collective sur sa mission dans une société traversée par les fractures économiques, culturelles et territoriales. Loin d’un discours nostalgique ou moralisateur, cette réflexion doit partir du terrain, des réalités vécues par les élèves, les enseignants et les familles.

L’école ne peut pas tout, mais elle reste l’un des rares espaces communs, à condition de reconnaître tous les acteurs qui y contribuent, et en particulier les parents des quartiers populaires, souvent engagés mais invisibilisés.

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